Le ministère de l’Agriculture a décidé de prolonger jusqu’à nouvel ordre les restrictions relatives au rationnement de l’eau potable et à l’interdiction de son utilisation dans certaines activités. Ces mesures inédites avaient été décrétées depuis mars dernier et appliquées dans la plupart des régions et différents quartiers du Grand Tunis. Celles-ci viennent d’être prolongées.
Le Grand Tunis n’est pas la seule région concernée. C’est l’ensemble du pays qui subit ces mesures considérées comme drastiques par les citoyens. Pour les autorités, les alternatives sont peu nombreuses face au stress hydrique. Pour répondre au déséquilibre enregistré entre l’offre et la demande, à cause de la pénurie en ressources en eau et la persistance de la sécheresse durant des années consécutives, la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (Sonede) a instauré depuis le 31 mars un système généralisé de quotas et de coupures. Des rationnements justifiés, selon l’entreprise, par le faible niveau de remplissage des barrages.
La situation est vraiment inquiétante et le manque de précipitations l’aggrave. Le taux de remplissage des barrages dans la région du Cap Bon ne dépasse pas à présent les 7%, tandis qu’il n’excède pas les 26% au niveau national.
Le stock des précipitations retenues pendant les mois de mai et juin derniers ont été répartis à des fins d’irrigation et de consommation d’eau potable, indique le président de l’Union locale de l’agriculture et de la pêche à Menzel Bouzelfa, Bayrem Hamada.
Si le taux de remplissage des barrages explique et justifie les mesures inédites prises par les autorités, du côté des citoyens, on décrit un changement de mode de vie. A Radès par exemple, le rationnement d’eau potable est quotidiennement appliqué par la Sonede depuis avril dernier. Cela provoque le désarroi des habitants confrontés à des situations très inconfortables, notamment le soir. «La situation est vraiment compliquée, imaginez que chaque jour, on fait nos approvisionnements en eau avant la tombée de la nuit. Ça revient au même, après tout, puisque la consommation est la même et que nous stockons de l’eau tous les jours», témoigne Maher, père de famille et résidant à la banlieue sud de Tunis.
Quid de l’efficacité ?
Autant dire que ces mesures sont critiquées non seulement par les citoyens, mais aussi par les experts. Selon ces derniers, les dispositions prises par les autorités peuvent être nécessaires pour gérer la pénurie d’eau, mais elles ne sont pas sans inconvénients. Ils pointent surtout ces mesures qui peuvent limiter la capacité des individus à maintenir des normes d’hygiène adéquates, ce qui peut entraîner des problèmes de santé, en particulier dans les régions où l’eau est nécessaire pour lutter contre la propagation des maladies. Ils estiment, en outre, que celles-ci peuvent entraîner des effets contre-productifs dans la mesure où les citoyens vont surconsommer l’eau pendant la journée.
Radhia Essamin, membre de l’Observatoire tunisien de l’eau, évoque des mesures incomplètes face à une situation beaucoup plus grave. Elle regrette l’absence de vision stratégique de préservation de l’eau en dépit de ces mesures de rationnement. «En Tunisie, la question de l’eau doit constituer une priorité pour le gouvernement comme pour les citoyens. Or, il n’y a eu aucune vision stratégique depuis des années. Les mesures de restrictions doivent répondre à tout un contexte de rationalisation de la consommation de l’eau en Tunisie, alors que des fuites existent partout dans le système de distribution, le citoyen est le premier touché par les coupures», explique-t-elle à La Presse.
Et d’ajouter que la situation ne cesse de s’aggraver, laissant croire que les zones où l’eau est régulièrement coupée sont de plus en plus nombreuses. «Entre 2020 et 2021, le nombre d’alertes a doublé, passant de 1.345 à 2.633. Un chiffre effrayant et qui reflète la souffrance quotidienne du citoyen», a-t-elle regretté.
Il faut rappeler que l’Observatoire tunisien de l’eau avait appelé à décréter l’état d’urgence hydrique et à mobiliser les moyens financiers nécessaires pour aider les personnes touchées par cette situation, notamment les petits agriculteurs. L’organisation a estimé que la décision du rationnement de l’eau ne traduit aucune transformation des politiques hydrauliques nationales. Ils ont, à ce titre, exhorté les autorités à clarifier les décisions prises et à respecter les horaires de coupure annoncés préalablement dans le cadre du régime de quotas.
Abdallah Rabhi, ancien secrétaire d’Etat chargé des Ressources hydrauliques et expert dans ce domaine, avait appelé à son tour à décréter l’état de sécheresse. «Le gouvernement doit faire preuve de proactivité dans ses actions et mettre en place des mesures à la hauteur des défis auxquels nous sommes confrontés. Si nous attendons jusqu’au mois de février prochain, nous n’aurons plus suffisamment de marge de manœuvre», a-t-il alerté.
Les forages anarchiques, une menace
En Tunisie, autre élément et non des moindres qui a aggravé la situation : les forages anarchiques. Ils se réfèrent à la pratique de creuser des puits pour extraire de l’eau sans respecter les lois, les réglementations et les normes en vigueur. Ces installations contribuent à la surexploitation des réserves d’eau souterraine, ce qui peut diminuer la quantité d’eau disponible pour les futurs usages, y compris l’approvisionnement en eau potable, l’agriculture et l’industrie.
Dans ce contexte, la société civile a appelé les autorités à prendre des mesures urgentes pour lutter contre les forages et les raccordements anarchiques, à interdire le remplissage des piscines privées et publiques par les eaux distribuées par la Sonede et à fixer la liste des productions agricoles prioritaires en matière d’irrigation, selon une carte agricole nationale, actualisée et conjoncturelle.