Accueil A la une L’artiste-plasticien Ridha Dahmane, à La Presse : «L’art devrait avoir nécessairement une fonction didactique»

L’artiste-plasticien Ridha Dahmane, à La Presse : «L’art devrait avoir nécessairement une fonction didactique»

 

Peintre du village, peintre de la culture des grands-parents, de ces bonnes choses que la modernité sauvage relègue tristement à l’oubli, peintre de la vie en général, il oscille continûment entre le réalisme quelquefois crû et l’impressionnisme quelque peu poétique sans cesser d’interroger les styles et les formes afin d’avancer vers le meilleur et atteindre un jour le plus fort et le plus beau de sa créativité. Compagnon de route d’autres remarquables artistes plasticiens de sa ville tels Hédi Zaouia, feu Mahfoudh Selmi, feu Salem Bourkhis et bien d’autres jeunes, filles et garçons, très prometteurs, il a commencé à tenir des expositions publiques de ses œuvres depuis déjà 1973. Sa récente exposition, au cours du mois de septembre dernier, à la Maison de la culture d’Hammam-Sousse, a mérité attention.

Ancien élève de l’Ecole normale des instituteurs de Sousse, Ridha Dahmane est, d’abord, maître d’école dont la carrière avec les enfants est bien longue et riche qui l’a emmené, à travers tant de sacrifices, d’épreuves et de réalisations, à une belle retraite bien méritée que l’art pictural qu’il pratique, depuis presque 50 ans, a accueillie les bras ouverts. Ainsi Ridha Dahmane emploie-t-il tout le temps libre que lui donne la retraite, à cet art, son art qui lui est cher et auquel il a commencé à s’adonner entièrement depuis qu’il était élève à l’école primaire et qu’il se distinguait en matière de dessin. Ses anciens camarades de l’école «Al-Akhlak», à Hammam-Sousse, se souviennent encore que les murs de leur salle de classe étaient couverts de ses dessins et premières peintures. Peintre du village, peintre de la culture des grands-parents, de ces bonnes choses que la modernité sauvage relègue tristement à l’oubli, peintre de la vie en général, il oscille continûment entre le réalisme quelquefois crû et l’impressionnisme quelque peu poétique sans cesser d’interroger les styles et les formes afin d’avancer vers le meilleur et atteindre un jour le plus fort et le plus beau de sa créativité. Compagnon de route d’autres remarquables artistes plasticiens de sa ville tels Hédi Zaouia, feu Mahfoudh Selmi, feu Salem Bourkhis et bien d’autres jeunes, filles et garçons, très prometteurs, il a commencé à tenir des expositions publiques de ses œuvres depuis déjà 1973. Sa récente exposition, au cours du mois de septembre dernier, à la Maison de la culture d’Hammam-Sousse, a mérité attention. Interview.

Vous avez tenu dernièrement durant tout un mois à la Maison de la culture Ali Douaji, à Hammam-Sousse, une exposition de vos œuvres qui a drainé un large public. Quelles conclusions avez-vous pu tirer de cette exposition sur le rapport du public avec votre propre peinture et avec l’art pictural en général ?

A vrai dire, je m’estime bien heureux de ce que j’ai remarqué concernant le rapport de mon public à ma nouvelle exposition titrée : «La vie, une vue panoramique». Il m’a félicité d’avoir réalisé des toiles de différents sujets et selon différentes techniques mixtes traitées avec originalité sous des angles de vue divers, loin de toute abstraction et qui développent une variété de sujets mettant essentiellement l’accent sur un ensemble de problèmes intriguant l’être humain dans sa vie inconstante et même infernale. Une grande partie de mon public avoue l’affinité de mon style et la festivité de mes couleurs intelligemment choisies et combinées avec un agencement harmonieux des divers éléments d’une œuvre artistique. Certains de mes visiteurs m’ont dit : «Nous sommes aux temps difficiles du refus, du doute et de l’ambiguïté, l’âge d’or de l’art pictural est passé, mais heureusement, face à vos toiles nous avons l’impression de nous réconcilier de nouveau avec la peinture». Je suis enchanté de pouvoir peindre des toiles que les gens trouvent vivantes et intéressantes. Cela me donne beaucoup de courage et de persévérance.

Vous avez exposé plus de 30 toiles dont certaines sont de grandes dimensions. Combien d’années avez-vous passé à réaliser ces toiles nombreuses et à préparer cette exposition qui n’est pas du tout votre première ? Etes-vous sous l’impératif du temps dans votre création ?

En général, je ne peins pas sous l’impératif du temps. Je prends bien en compte le côté plaisir, quand je m’installe devant ma toile vierge, bien inspiré dans un bain musical si doux en me laissant aller à de vagues rêveries. J’étais enseignant, j’exerçais la peinture en parallèle avec l’enseignement, par conséquent la peinture je la pratique toujours dans mon temps libre de mon plein gré. Il m’est arrivé de passer des jours voire des mois sans aucune envie de tenir mon pinceau ; je suis un peintre spontané, je me laisse guider par mon instinct, ma peinture représente la plus haute joie que je puisse donner à moi-même. Ma toile n’est pas seulement qu’une œuvre artistique ; elle est un spectacle prodigieux !

Lors du vernissage de votre exposition, avez-vous fait attention à la réaction des gens par rapport particulièrement à certaines de vos toiles qui se distinguent par leur réalisme quelque peu crû, comme par exemple celles qui s’intitulent «Un sanguinaire traversant la ville» ou « Je n’ai pas trouvé ma place sur cette terre» ou «L’émigration vers le non-lieu et le non-temps» ou encore «l’ouvrier moribond des mines» ou enfin «Le mendiant couchant par terre» ?

Insuffler la vie dans ma peinture sans me cantonner à un seul thème ou à une seule technique, cela me confère beaucoup de possibilités en produisant des tableaux qui simulent la réalité et en évoquant le sort malheureux des gens auxquels j’ai essayé de sensibiliser les spectateurs de manière à les inciter à la réflexion et à la méditation profonde afin d’écouter le silence de mes tableaux et l’interpréter en fonction de ce qu’ils ont senti.

 

Au spectacle de tous vos tableaux, on pourrait dire que vous vous situez sommairement à cheval entre le genre réaliste et le genre impressionniste ; deux genres qui, normalement, s’excluent mutuellement. Qu’est-ce qui fait que vous concevez et réalisez vos créations dans ces deux genres différents ?

En fait, lors de mon parcours en peinture et à partir précisément de ma première exposition, en juillet 1973, à l’âge de 20 ans, je suis passé par plusieurs techniques et courants pour enfin choisir le réalisme et l’impressionnisme contenant une part cachée dont naissent leurs qualités captivantes. J’ai l’intime conviction qu’ils se complètent et sont toujours de connivence. Le réalisme, l’impressionnisme et moi-même nous nous entendons. Nous nous combinons pour le bien d’une toile qui fait la différence. Elle emplit certainement le cœur d’une gaieté merveilleuse et crée l’émotion. Sans aller trop loin dans le réalisme, et par le biais de l’impressionnisme, je pilote ma toile selon mon propre style.

Ces dernières années, vous utilisez bien souvent l’acrylique au lieu de la peinture à l’huile que vous avez utilisée avant. Pourriez-vous nous préciser l’apport pour vous de ce nouveau produit pictural ?

J’apprécie beaucoup l’acrylique qui a de nombreux atouts : une consistance agréable comportant une gamme de couleurs équilibrée bien définies et repérable immédiatement avec une vivacité remarquable. Je l’utilise souvent directement du tube comme Vincent van Gogh le faisait, sans y ajouter aucun auxiliaire, il sèche rapidement et sa pâte plutôt épaisse que fluide a une bonne consistance. Sa dilution à l’eau ne pose aucun problème. L’acrylique s’harmonise avec mon rythme rapide, en exécutant ma peinture. De jour en jour, j’explore la magie de l’acrylique.

Vous utilisez dans vos tableaux intitulés «Jemereconstruis» (en un seul bloc, sans espaces entre les mots) et «les enfants et le pont», l’écriture graphique comme dans une affiche. Ainsi pourrait-on lire en haut de l’un de ces deux tableaux : «Nous, enfants d’aujourd’hui, nous déclarons que nous n’avons plus confiance en vous, les grands». Votre recours à l’écriture, aux mots de la langue, trahit-il le sentiment chez vous que les formes et les couleurs n’ont pas assez de force et de lisibilité pour traduire clairement le message que vous désirez faire parvenir au spectateur de votre œuvre ?

Le graphisme, une représentation écrite d’un langage parlé ou musical et considéré comme un art qui a sa spécificité, son élégance et son charme. Il présente un caractère original et exclusif. Alors la peinture et l’art graphique, quand ils se combinent dans un tableau cela lui permet d’être plus attractif et de donner davantage d’émotions. D’après moi, je pense que tout ouvrage artistique devra toujours profiter de la recherche conduite par l’artiste lui-même sur la vision qui préside à sa création picturale.

Investissez-vous votre peinture d’une formation didactique? L’art devrait-il avoir nécessairement cette fonction-là ?

Oui, tout à fait, l’art devrait avoir nécessairement une fonction didactique. En tant qu’enseignant, il m’est arrivé maintes fois de transformer tout l’espace de ma salle de classe en un paysage panoramique au moyen de la peinture qui en fait un espace ouvert donnant à mes élèves et à moi-même l’impression d’étudier et de travailler en plein air au point d’éprouver un plaisir très vif et agréable. La nature est un livre ouvert, comme disait Jean-Jacques Rousseau. C’est une salle de classe sans écriteaux collés et éparpillés ça et là souvent sans goût et dont le grand tableau est planté au milieu de la nature. Depuis le début de ma carrière, le dessin, la peinture, la musique et le théâtre étaient mes outils d’aide avec lesquels j’accomplissais le déroulement de mes cours merveilleusement réussis. Mon recours à ces activités artistiques éveillait le plaisir d’apprendre chez mes apprenants…

Dans les années précédentes, vous avez eu tendance à privilégier la peinture de votre village Hammam-Sousse, devenu aujourd’hui une grande ville. C’est la vie traditionnelle qui est en train d’y disparaître au regret de beaucoup d’habitants que vous avez peinte. Un critique d’art vous a qualifié de «mémoire du village». Pourquoi dans cette nouvelle exposition, on ne voit presque rien dans vos tableaux de ce village dont vous avez tant affectionné l’ancien mode de vie, les habits traditionnels et l’atmosphère naïve et chaleureuse ?

Mes tableaux parlent de ma ville Hammam-Sousse quand elle était village en représentant des scènes de la vie quotidienne de ses habitants si chaleureux et actifs qui menaient une vie simple, modeste, pleine de respect. Personnellement, j’affirme que mon village, c’est moi. Seulement en tant qu’artiste peintre, je suis appelé à travailler sur tout un éventail de registres différents et variés au niveau des sujets et des techniques comme le cas dans ma dernière et récente exposition intitulée «La vie, une vue panoramique».

La nature, c’est-à-dire le soleil, la lune, le jour, la nuit, les arbres, l’herbe, l’eau, est fort présente dans vos tableaux. Est-ce là votre façon de signifier que même en dehors de tout romantisme, l’artiste ne peut jamais se passer de la nature qui pourrait constituer son refuge ou l’espace privilégié de ses rêves et rêveries ?

La nature constitue, vraiment, mon meilleur refuge pour échapper au quotidien si banal et ennuyeux et me reposer et reprendre mon souffle en me débarrassant du stress empoisonnant et, par conséquent, quand l’observateur contemple mon œuvre, il va certainement se perdre dans sa composition où la nature avec ses différents éléments est fort présente et respirer la splendeur de la lumière et le mariage de couleurs et leur synchronisation. Peindre la nature reste toujours une œuvre d’art riche en émotions surtout quand cela se fait de manière impressionniste. La nature en mouvement constitue mon sujet de ma prédilection.

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