Le frère de Charles II, Jacques II d’Angleterre, acheta deux étalons, Curwen-Barbe et Toulouse-Barbe, offerts au Roi Louis XIV par le Sultan Moulay Ismail. Leurs descendants seront présentés à Godolphin Barbe né en Tunisie en 1724, sous le nom de Sham. Cette époque connut la création du pur sang anglais qui restera, dans l’histoire, le cheval de course par excellence !
Ce cheval est né d’une saillie accidentelle pour certains et désirée pour d’autres. Est-ce le fait du destin ?
L’histoire de sa création ne peut être le fait d’un simple hasard ! Cette belle histoire, qui s’est passée en 1730 entre un cheval barbe et une jument anglaise, est comparable à celle qui est arrivée entre des êtres humains tels que Romeo et Juliette en Europe, Kais et Leila en Orient.
Ce serait l’histoire d’une rencontre en Angleterre entre un Berbère et une Anglaise (le cheval Godolphin Barbe et la jument Roxana). Leur histoire figure dans quelques pages d’un recueil paru aux éditions Plon, sous le titre de « Le bonheur des uns » de Maurice Druon. Ce grand écrivain, qui fut secrétaire perpétuel de l’Académie française et ancien Ministre de la culture, a été un grand ami du cheval et un ancien cavalier du cadre noir de Saumur, en France. Cet auteur a consacré quelques pages superbes à l’un des chevaux les plus célèbres de l’histoire. Il s’agit de Godolphin barbe, l’ancêtre du pur sang anglais, l’amant humilié puis triomphant, qui portait une étoile blanche au front, et que sa destinée le fit naître sur les rives de Carthage pour le mener mourir dans les collines de Cambridge.
Un regard aussi expressif
«Godolphin barbe » eut ses biographes, ses peintres et sa légende et, honneur suprême, une page de l’encyclopédie britannique est consacrée au petit prince du désert et à la race issue de lui. Aussi, nous avons le plaisir de partager avec vous cette très belle histoire, écrite en 1957.
L’histoire que je vais vous conter commence à Paris, au printemps de 1730, dans le quartier des Gobelins. Ce jour-là, traditionnellement, la célèbre manufacture exposait ses pièces de collection et ses productions de l’année.
Cocke, touriste anglais, portant lourde perruque et petit chapeau rond, s’en revenait de visiter l’exposition. En vérité, il n’était pas suffisamment attentif, car soudain il se sentit heurté violemment à l’épaule par un cheval et s’en fut rouler dans la poussière.
Le cheval qui tirait le tonneau, un animal crotté, d’aspect misérable, si maigre qu’on lui voyait saillir les os, et dont la peau, en maintes places, était blessée par le harnais, un mors trop lourd, trop large pour sa bouche, le faisait souffrir visiblement.
M. Cocke regardait le cheval et le cheval le regardait. Pour celui qui connaît les chevaux et les aime, le regard d’un cheval peut être aussi expressif, aussi révélateur qu’un regard humain. Et les chevaux aussi reconnaissent parmi les hommes ceux qui savent les comprendre. Un cheval choisit son maître, autant que le maître choisit la monture. Ce grand œil sombre, à la fois fier et effrayé qui se tournait vers l’Anglais, n’appartenait pas à une bête de trait, à un animal né pour une condition serve. ” Laissez-moi voir ce cheval ” dit M. Cocke. ” D’où vient-il, comment l’avez-vous acheté ? “
Un cadeau du Bey de Tunis
L’Auvergnat avança finalement un prix qui lui semblait énorme, soixante-quinze francs. M. Cocke accepta sans discuter.
Dès le lendemain, M. Cocke se mit en quête des origines de Sham. Le cheval était déjà passé par plusieurs mains. Remontant de propriétaire en propriétaire, tous petites gens qui s’étaient servis de Sham pour l’atteler. Sham provenait effectivement des écuries royales, il avait fait partie d’un lot de huit étalons barbes envoyés à Louis XV, en cadeau, par le Bey de Tunis, à l’occasion d’un traité de commerce.
M. Cocke était plutôt embarrassé de son acquisition. Il revendit Sham pour vingt guinées au tenancier de la taverne, lequel mit le jeune étalon au vert pendant quelque temps.
Le prince du désert reprit alors son aspect véritable : il retrouva ses formes rondes, sa longue crinière frémissante, sa queue fournie, qui tombait jusqu’à terre avec des mouvements d’éventail, sa belle croupe large, ses muscles ciselés et son pelage soyeux d’un noir si intense que, sous la lumière, il virait au bleu.
Les courses hippiques avaient déjà grande vogue en Angleterre, et cela depuis une trentaine d’années, mais les chevaux qu’on y présentait ne ressemblaient en rien à ceux d’aujourd’hui.
M. Williams, le tavernier aimait la plaisanterie. «Je vais faire courir le nègre», dit-il, car c’est ainsi qu’il appelait Sham. Mais Sham, lui aussi, avait le sens de l’humour, lorsqu’on l’amena sur le terrain, il refusa de prendre le départ, et comme on le pressait un peu trop entre les éperons, il rua, pointa, jeta le jockey à terre, et secouant sa crinière, retourna aux écuries.
Aussi, Williams fut enchanté de céder Sham à l’un de ses clients,Lord Godolphin, en se contentant d’un mince bénéfice. ” J’enverrai le nègre à Gog-Magog “, décida Lord Godolphin.
Un jour mémorable
La nature féminine a le goût de l’étrange et de l’inhabituel, l’attrait du dépaysement. L’arrivée du bel oriental provoqua quelque émoi parmi les juments de Gog-Magog. Voyant ses pouliches élargir les naseaux et redresser le col au passage de Sham, Lord Godolphin ordonna que le cheval, pour gagner son avoine, tint le rôle «d’agaceur».
Lorsque des épousailles étaient décidées à Gog-Magog, le prince du désert était amené auprès de la future mère pour la mettre en humeur amoureuse. Puis, quand la belle, sensible à la séduction du petit cheval noir, semblait suffisamment préparée, on faisait entrer le maître étalon, le Roi du Haras, l’énorme Hobgoblin, qui s’avançait, lourd portant, satisfait, se dandinant un peu dans sa grasse apparence, pour accomplir avec le moindre effort l’œuvre de paternité.
Les choses se passèrent de la sorte, jusqu’au jour, mémorable entre tous dans l’histoire des chevaux de courses, où apparut devant Godolphin Arabian une superbe blonde, une alezane dorée, très jeune encore, mais déjà opulente en ses formes et fort nerveuse, inquiète d’être conduite à ses premières noces. Elle s’appelait Roxana. Qu’elle vint des haras royaux, où Lord Godolphin l’avait payée soixante guinées, ne l’empêcha pas d’éprouver le coup de foudre pour l’agaceur oriental.
Plus intuitive, sans doute que les hommes, elle avait reconnu en Godolphin Arabian un sang royal. Et le prince du désert, lui aussi, montra dès l’abord, pour la blonde Roxana, un élan, une passion, plus fougueux qu’il n’en avait jamais témoigné. Entre ces deux commença une danse d’amour éperdue, somptueuse, un véritable ballet de la séduction.
Au moment où Roxana, éperdue, allait s’abandonner, on approche, ainsi qu’à l’accoutumée, le gigantesque, le gras, le puissant Hobgoblin. Mais on vit alors le petit cheval noir, ivre de rage, se dresser et se précipiter, sabots levés, vers son rival. En vain les lads tiraient sur les longes, Godolphin cassa le cuir de ses liens, et la bataille s’engagea, sous les yeux terrifiés des hommes d’écuries qui n’osaient avancer de peur d’être assommés.
Le lourd Hobgoblin, habitué à d’autres traitements, n’était pas préparé à une telle attaque, il était trop lourd pour riposter aux assauts furieux de son mince adversaire. A coups de sabots et à coups de dents, Godolphin, en quelques instants, tua l’énorme Hobgoblin.
Brisant les portes, sans que personne ne puisse s’opposer à sa violence, il s’élança vers la liberté, entraînant la belle Roxana, éblouie de cette victoire, amoureuse et à jamais conquise. Ils s’enfuirent ensemble dans la forêt voisine. On les retrouvera le soir, heureux. Un peu las et à nouveau dociles, appuyés l’un sur l’autre. La tête de la blonde Roxana posée sur l’encolure noire de son conquérant.
L’épouse d’un seul cheval
Or, le produit de cette union romanesque fut un cheval nommé Lath qui naquit en 1732 et, dès qu’il parut sur les champs de courses, remporta tous les prix. On n’avait jamais vu pied plus sûr, ni train plus rapide. Ses lourds concurrents peinaient à vingt longueurs derrière lui. Cet enfant de l’amour était invincible. Du même coup, la race dite curieusement «de pur sang anglais» était née.
Godolphin Arabian fut relevé du rôle d’agaceur, mais Roxana, de son côté, refusait toute alliance, elle ne voulait appartenir qu’à Godolphin. Les deux chevaux semblaient souffrir, lorsqu’ils se trouvaient séparés ils devenaient nerveux, refusaient la nourriture. Roxana était décidément l’épouse d’un seul cheval.
Ils n’eurent pas beaucoup d’enfants, car la magnifique blonde mourut, hélas dix jours après ses deuxièmes couches, en 1734. Mais eurent beaucoup de petits-enfants. Leur second fils, Cade l’orphelin de mère qui fut élevé au lait de vache, devait être le père de l’illustre Matchem qui gagna onze courses sur treize, leurs descendants croisés aux produits de deux étalons arabes, The Byerly Turck et The Darley Arabian, ainsi appelés du nom de leurs propriétaires respectifs, le Captain Byerly et Mgr. Darley D’alby Park, sont les ancêtres de tous les chevaux qui, depuis, courent sur le globe.
(D’après «Le Barbe à l’origine de la création du plus célèbre coursier «Eclipse» par Ahmed Rayen).