Le rendement des journalistes tunisiens a été marqué par une dominance de l’opinion et du commentaire au détriment de l’information. Or dans cette guerre, le public a besoin de s’informer avant tout.
Plus de douze mille morts, des milliers de blessés et de disparus et plus de la moitié de la population déplacée. Les Tunisiens suivent avec intérêt et émotion la guerre à Gaza, souvent à travers des chaînes étrangères, même si les médias nationaux couvrent quotidiennement l’actualité. Avec le bilan lourd des victimes actualisé, ainsi que les derniers bombardements d’Israël.
Journaux, radios, télévisions et supports électroniques, toute l’attention médiatique s’est focalisée sur l’actualité venant de Gaza. Depuis les premiers jours, les médias tunisiens ont médiatisé tous les aspects de cette guerre atroce. Aujourd’hui, plus de quarante jours après, l’attention aussi bien des médias que de l’opinion publique n’a pas baissé.
D’un côté, ces médias ont joué un rôle important dans la sensibilisation du public quant à la situation à Gaza, en multipliant notamment des reportages sur les bombardements israéliens et en humanisant les victimes, et racontant leurs histoires. D’un autre côté, pour certains, cette couverture a souvent été superficielle, souffrant surtout d’un manque de contextualisation des faits.
D’autres estiment que la couverture est en train de perdre de son ampleur alors que la guerre s’annonce visiblement longue.
Fonder un Etat
Les médias tunisiens ont-ils fourni suffisamment d’informations sur les histoires des Palestiniens ou sur les perspectives de la résolution du conflit ? Ont-ils présenté les éléments qui peuvent aider le public tunisien à mieux percevoir tous les aspects de cette guerre et la crise de grande ampleur qu’elle génère ?
La réalisation des contenus journalistiques répondent-ils aux exigences d’une couverture médiatique efficace ?
Les médias tunisiens, à l’image du peuple, ont toujours soutenu la cause palestinienne, en privilégiant de fait le traitement du récit palestinien. Si historiquement, les médias occidentaux, qui se veulent une référence en matière de professionnalisme et d’éthique journalistique, ont toujours eu cette tendance à présenter le dossier palestinien sous un angle pro-israélien, en Tunisie, les médias nationaux traitent ce dossier sous l’angle du droit des Palestiniens dont le premier et l’imprescriptible: fonder un Etat.
En effet, cette couverture médiatique constitue le prolongement de la position officielle de la Tunisie qui a toujours été une fervente défenseuse de la cause palestinienne à l’échelle l’internationale avec un refus soutenu de normaliser avec Israël.
Côté traitement technique et autant du fond que de la forme, aux yeux des professionnels, la couverture nationale de la guerre en Palestine reste limitée, voire biaisée par certains aspects.
Manque de contextualisation
La parole a été donnée à Atidel Majbri, présidente du Conseil de presse, pour un éclairage. Dès le départ, elle soutient le fait que les médias tunisiens ont été dépassés par le poids et l’engouement pour les réseaux sociaux dans la médiatisation de cette guerre. «Les médias tunisiens ont médiatisé tardivement cette guerre, ce qui explique en partie le fait que les Tunisiens ont opté pour des chaînes de télévision étrangères. Les médias locaux ont essayé de se rattraper, mais je pense que cette médiatisation souffre d’un déficit énorme en matière de contextualisation et d’explication», a-t-elle analysé.
Pour Majbri, le rendement des journalistes tunisiens a été marqué par une dominance de l’opinion et du commentaire au détriment de l’information. «Nous avons toujours observé ce réflexe de recourir directement à l’opinion et au commentaire, or, dans cette guerre, le public a besoin de s’informer avant tout», poursuit-elle.
Les correspondants sur place peuvent apporter un autre regard sur les faits
Il y a des exceptions, certes, affirme-t-elle, mais cette médiatisation est pauvre sur le plan technique. «De nos jours, il existe de nombreux moyens de raconter ces histoires, en se basant sur la technologie, il y a par exemple la question des cartes interactives qui est primordiale pour comprendre les différents aspects de cette guerre. Même sur le plan éditorial, cette couverture manque de portraits par exemple pour revenir sur les figures de cette résistance», conclut-elle.
Pour sa part, Zied Dabbar, président du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt), estime que la réponse des médias tunisiens était immédiate. Il affirme que sur le plan éditorial, le réflexe était parfait. «Il faut dire que cette couverture médiatique ne s’est pas basée sur des correspondants sur place qui peuvent apporter un autre regard sur les faits. Il y a aussi l’aspect technique qui n’a pas répondu aux attentes des publics, cela s’explique certainement par un manque de moyens qui pénalise les rédactions, mais ce n’est pas la volonté qui manque», a-t-il assuré.
Selon Dabbar, le potentiel technique existe et peut être exploité par les médias tunisiens pour mieux couvrir cette guerre. «La médiatisation de cette guerre peut être une occasion pour regagner la confiance des publics et ce, par le biais de la technologie. Les médias doivent comprendre que ces technologies entrent aujourd’hui dans les mécanismes de narration éditoriale», a-t-il ajouté.
Le génocide à Gaza se poursuit
Pendant ce temps, plus de 12.300 Palestiniens sont tombés en martyrs depuis le début de la guerre, le 7 octobre. Parmi les morts recensés à ce jour, figurent plus de 5.000 enfants et 3300 femmes. Ce bilan fait également état de 30.000 blessés. Des dizaines de corps jonchent les rues du nord de la bande de Gaza et il est impossible de les recenser car l’armée israélienne vise les ambulances et les soignants qui tentent de s’en approcher.
Alors que 1,5 million de personnes ont dû fuir leurs foyers depuis le début de la guerre, les camps de réfugiés, au sud de Gaza, sont surpeuplés. En plus d’un manque de nourriture, d’eau potable ou encore d’accès à des installations sanitaires, les Gazaouis doivent désormais faire face à la propagation de plusieurs maladies contagieuses.