En Tunisie, les politiques, quasi-identiques suivies durant la dernière décennie, ont réverbéré la même géographie des inégalités sociales et régionales. Les défis du développement humain local, ainsi que la réduction des disparités socioéconomiques entre les différentes régions du pays constituent depuis longtemps une préoccupation majeure des autorités publiques.
L’ensemble des stratégies et des réformes initiées par le Plan national de développement 2016-2020 ont été conçues pour améliorer les conditions socioéconomiques du pays et consolider les liens entre ses régions, afin de réduire la pauvreté et les inégalités régionales croissantes. Parmi ses objectifs, le plan prévoyait une croissance annuelle du PIB de 4 %, une amélioration de 30 % de la part des activités à forte croissance, une réduction de 30 % de l’écart entre les indicateurs de développement régional et la création de 400.000 emplois à la fin de 2020, à même de réduire le taux de chômage de 15 à 12 % et de diminuer le taux de pauvreté de 2 %, selon des données officielles. Pourtant, ces objectifs se sont, jusque-là, révélés irréalistes.
Disparités croissantes
Aujourd’hui, la Tunisie se montre encore affligée par des disparités économiques croissantes, favorisant les régions côtières, qui représentent plus de 80 % des zones urbaines et 90 % de l’emploi global, d’après les chiffres de l’INS (Institut national de la statistique).
La pandémie du Covid-19 et la crise sanitaire qui en a résulté, elles, n’ont fait que détériorer davantage l’économie tunisienne, déjà fragile et confrontée à de nombreux obstacles structurels exacerbés par l’instabilité politique qui a suivi la révolution de 2011. En effet, le PIB s’est effondré de 8,6 % en 2020 par rapport à 2019, le déficit budgétaire s’est creusé à 10,2 % du PIB, et la dette publique du pays a atteint 87,6 % du PIB fin 2020. La Tunisie était également étranglée par le poids de sa dette extérieure, alors égale à 30 milliards de dollars.
Ces deux dernières années, bien que des développements positifs aient été enregistrés, tels que l’amélioration des termes des échanges commerciaux et une reprise du secteur touristique, la croissance du PIB tunisien pour l’année 2023 a été d’environ 1,2 %. Il s’agit d’une relance modérée en comparaison avec les pays voisins de la région et la moitié du taux de croissance de l’année 2022, selon la Banque mondiale. Le rapport y afférent précise, en effet, qu’une prévision de croissance de 3 % en 2024 reste sujette à des risques liés à l’évolution de la sécheresse, aux conditions de financement et au rythme des réformes.
Les recettes touristiques ont, elles, connu une augmentation de 47 % jusqu’à fin août dernier, ce qui, combiné aux services de transport, a contribué à hauteur de 0,8 % à la croissance globale du PIB, aidant ainsi à réduire le déficit du compte courant.
Mais, malgré ces développements, les indicateurs sociaux signalent une détérioration de la situation sociale, surtout dans les régions de l’intérieur. D’ailleurs, l’examen de la répartition du PIB par habitant et du taux de pauvreté entre les grandes régions n’est pas rassurant. Il montre l’incapacité de certaines régions à diminuer la pauvreté. D’autant que le taux de pauvreté en Tunisie traduit de fortes disparités, les gouvernorats les plus touchés étant ceux du Centre-Ouest (30,8%) et du Nord-Ouest (28,4%), selon l’Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives (Itceq).
Malaises sociaux et grogne populaire
Sur le plan régional, les investissements culturels restent insuffisants. Et le taux de réussite au baccalauréat variant entre 53.68% à Sfax et 23.65% à Kasserine reflète des dissemblances très importantes. La récente analyse de l’indice de Gini publiée par l’Itceq éclairerait mieux sur la dispersion du bien-être. Dans son ensemble, cet indice s’est amélioré (passant de 36.5 en 2010 à 35.3 en 2021). Néanmoins, au niveau régional, la situation diffère. Les régions du Centre-Ouest et du Sud-Ouest ont connu une augmentation significative des inégalités, d’après la même source.
En Tunisie, également, seulement 50 % de la population bénéficie d’une couverture sociale, laissant près de la moitié sans garantie en cas de maladie, de maternité ou d’arrêt d’activité. Le niveau élevé du secteur informel peut expliquer en partie cette protection assez faible par les systèmes de sécurité sociale.
Ces malaises sociaux continuent à alimenter la grogne populaire contre la pauvreté, le chômage et les inégalités sociales dans plusieurs régions du pays. D’où la nécessité pour le gouvernement actuel d’accélérer la cadence pour jeter les fondements d’une vraie justice sociale, donc d’un véritable développement équitable du pays.
Même modèle, même résultat
Les gouvernants actuels sont aussi appelés à procéder, autant que faire se peut, à des réformes qui doivent prendre en compte les caractéristiques socioéconomiques et les différentes potentialités des régions les plus marginalisées. Ces réformes doivent également être complétées par des mesures compensatoires, afin de contrebalancer les effets négatifs des politiques régionales précédentes, telles qu’une allocation plus équilibrée des fonds publics qui créerait des opportunités d’emploi et rendrait les services publics plus accessibles aux pauvres.
Force est de constater, au demeurant, que l’adoption du même modèle de développement basé sur les inégalités sociales et les disparités régionales ne fait que violer le droit d’accès à une éducation de qualité pour les enfants du même pays. Soit, les mêmes causes produisent les mêmes effets.
C’est que le maintien de ce dangereux choix qu’est la privatisation des services d’éducation, qu’ils soient réglementés (enseignement privé) ou informels (cours particuliers), afin de réduire les dépenses de l’Etat, ne fait qu’entraîner la dégradation des infrastructures et la limitation des recrutements nécessaires, privant ainsi les catégories pauvres et vulnérables du principe de l’égalité des chances», de l’avis des analystes du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (Ftdes).
S’ils entendent, du reste, être à la hauteur des jugements de l’histoire, les gouvernants actuels de la Tunisie nouvelle, n’auront d’autres choix que d’accélérer les réformes dans le sens d’un développement équitable et inclusif qui favoriserait l’éducation publique pour un vrai progrès social. Ce dont on ne cesse de parler depuis plusieurs années, sans toutefois avancer d’un iota.