Présidentielle 2019 : Oubliée, Goubellat oublie de voter

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« Je travaille dans les chantiers lorsque mes jambes me le permettent, mes filles travaillent parfois dans les champs. Il est tout à fait normal que j’aille voter, c’est mon pays malgré tout ».

Dans ce beau pays qu’est la TunIsie, certaines régions, villes ou communes sont souvent victimes de préjugés. C’est le cas de la délégation de Goubellat , gouvernorat de Béja, qui se trouve à seulement 40 minutes de Tunis. Facile d’accès, cette délégation de 17000 habitants a été, il y a un an, sous les feux des projecteurs médiatiques suite à une opération antiterroriste à succès qui a vu l’élimination de 9 terroristes, et malheureusement le décès de deux agents de la Garde nationale. En ce jour de scrutin, nous avons donc choisi de nous rendre dans cette délégation, pour donner la parole aux habitants et voir quel regard ils portent sur ces présidentielles.

A une centaine de mètres seulement du panneau qui indique notre arrivée à Goubellat, apparaît à gauche l’école primaire Ibn Khaldoun. Des agents de la Garde nationale et des militaires postés à l’entrée de ce centre de vote observent avec curiosité et vigilance l’arrivée d’un journaliste. Dès que nous avons franchi les portes de l’école, Moncef Riahi, instituteur et président du centre de vote fixe les règles : “Faites votre travail, mais ne filmez surtout pas les forces de l’ordre et les soldats présents”. Il est 8h30 et à l’intérieur des bureaux de vote, les électeurs ne se bousculent pas, c’est plutôt calme. En revanche, les observateurs délégués par les candidats eux, sont nombreux. Présents également dans ce centre de vote, deux observateurs indépendants pour le compte de l’Union Générale Tunisienne du Travail (Ugtt). “Dans la délégation de Goubellat , nous sommes au total 23 observateurs de l’Ugtt”, déclare Kaouther Kalboussi, observatrice. A notre grande surprise, les membres des bureaux de vote sont en grande majorité des jeunes femmes. “En fait, il y a deux raisons à cela, nous explique Marouane Hannachi, coordinateur local de l’Isie. D’abord il est vrai que beaucoup de femmes ont spontanément candidaté pour être membres des bureaux de vote. Ensuite, c’est une question de dispatching, nous avons choisi de mettre des femmes dans les centres de vote qui se trouvent en ville, et des hommes dans les centres de vote plus reculés notamment sur les hauteurs”.

Amira Riahi, 29 ans, adjointe du président du centre de vote, confirme cet engagement féminin. “Je participe avec l’Isie à toutes les échéances électorales depuis 2011”, déclare-t-elle.

A la sortie des urnes, nous avons rencontré Mohamed Belhassine, 68 ans, qui a tenu à accomplir son devoir de vote, malgré son âge avancé et sa santé vacillante. A la question: “Pourquoi êtes-vous venu voter?”, notre interlocuteur semble étonné. “C’est notre pays ! Comment ne pas aller voter?”, s’exclame-t-il. « Je travaille dans les chantiers lorsque mes jambes me le permettent, mes filles travaillent parfois dans les champs. Il est tout à fait normal que j’aille voter, c’est mon pays », nous confie-t-il.

Lorsque je m’apprêtais à partir, deux jeunes hommes, remarquant mon gilet et mon badge de journaliste me font signe de la main et m’invitent à boire un café. Remarquant moi aussi qu’ils n’avaient pas d’encre à l’index gauche, j’obtempère en espérant comprendre pourquoi ils n’avaient pas encore voté. “Vous voyez bien que contrairement à ce que les gens de la capitale pensent, Goubellat est l’un des endroits les plus sûrs», m’interpelle l’un d’eux. ”Ici les valeurs d’antan sont toujours de rigueur”. “Ici, les gens n’attendent rien du pouvoir central ou local, dès l’âge de 15 ans on apprend à se débrouiller pour gagner sa vie”, me dit l’autre. Selon lui, aucun candidat n’est venu faire campagne à Goubellat. “Personnellement, je ne vote pas et je n’ai jamais voté, de toutes les manières rien ne va changer», fini par lâcher l’un des deux jeunes. J’ai vu cela en 2011 et 2014, aucun n’a tenu ses promesses, je n’ai pas confiance”.

Je continue ma route, en scrutant l’index de ceux que je croise. A 11 heures du matin, ils sont très peu nombreux à avoir accompli leur devoir. A quelques mètres du marché hebdomadaire, se trouve le centre de vote de l’école primaire Ibn Sina. Ici, sur les 3433 électeurs inscrits, seuls 150 d’entre eux sont venus voter. Ces chiffres sont confirmés par les taux de participation révélés par l’Instance Supérieure Indépendante pour les Elections. A 13 heures, seuls 4,97% des électeurs du gouvernorat de Béja se sont mobilisés.

Un peu plus loin, nous suivons Marouane Hannachi, coordinateur local de l’Isie, vers un centre de vote dans la localité de Grème, relevant de la délégation de Goubellat . Si l’affluence des électeurs n’est pas impressionnante, notre attention est attirée par la présence relativement massive de personnes âgées, déterminées à mettre un bulletin dans l’urne.

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