Alors que Kaïs Saïed, fidèle à son identité en tant que spécialiste en droit constitutionnel, optait pour une approche axée sur l’application de la loi, la suprématie de la Constitution et du prestige de l’Etat, mais aussi sur le pouvoir local, l’autre candidat, à savoir Nabil Karoui, a plaidé en faveur d’un programme qui combat notamment la pauvreté et qui promeut les nouvelles technologies et ce qu’il a appelé la diplomatie numérique;
Il s’agit certainement de l’un des moments les plus marquants de cette phase électorale. Le débat télévisé entre les deux finalistes du second tour de la présidentielle anticipée a eu lieu vendredi dernier, quelques heures avant le silence électoral observé tout au long de la journée d’hier. Un débat qui a attiré des millions de Tunisiens à l’intérieur du pays comme à l’étranger, marquant la fin d’une campagne électorale présidentielle atypique. D’une durée d’à peu près deux heures, le débat s’est déroulé dans une ambiance plutôt sereine, calme et respectueuse en dépit de quelques séquences de confrontation directe entre les deux candidats, qui ont fait preuve de responsabilité.
Autour de quatre principaux thèmes, la défense et la sécurité nationale, la politique étrangère, les prérogatives du président de la République et des questions d’ordre général, les candidats étaient appelés à répondre à trois questions communes pour chaque thème avant d’avoir un espace libre pour présenter leurs visions et entrer en discussion si souhaité.
Les deux rescapés du premier tour de l’élection présidentielle anticipée, le constitutionnaliste et candidat indépendant, Kaïs Saïed, et le président du parti Au cœur de la Tunisie, Nabil Karoui, étaient, en effet, les deux auteurs d’un face-à-face historique, dans lequel ils avaient, chacun sa stratégie, tout en essayant d’étaler leurs visions et programmes électoraux en répondant à des questions qui allaient dans tous les sens, des affaires sécuritaires, arrivant aux prérogatives présidentielles en passant par la normalisation avec l’entité sioniste.
Alors que Kaïs Saïed, fidèle à son identité en tant que spécialiste en droit constitutionnel, optait pour une approche axée sur l’application de la loi, la suprématie de la Constitution et du prestige de l’Etat, mais aussi sur le pouvoir local, l’autre candidat, à savoir Nabil Karoui, a plaidé en faveur d’un programme qui combat notamment la pauvreté et qui promeut les nouvelles technologies et ce qu’il a appelé la diplomatie numérique.
Même si le débat présidentiel s’est déroulé dans une réelle atmosphère de courtoisie à féliciter, des séquences de confrontation provoquées notamment par les deux journalistes qui l’ont animé, Chaker Besbes et Asma Bettaïeb, ont eu lieu. En effet, une confrontation qui a porté notamment sur le programme de Kaïs Saïed axé sur l’instauration d’un véritable pouvoir local, chose qui a été critiquée par le second candidat, qu’il a jugée utopique et inapplicable au vu de l’actuel régime politique tunisien.
Elargir la notion de la sécurité nationale
Concernant la sécurité nationale, premier volet de ce débat, les deux prétendants au Palais présidentiel se sont convenus de la nécessité d’élargir la notion de la sécurité nationale loin de ses aspects purement sécuritaires. En effet, ils ont appelé à introduire des questions comme les ressources hydrauliques, les semences, l’agriculture et même l’éducation dans cette notion.
Concernant les moyens susceptibles pour renforcer les stratégies sécuritaires afin de combattre la menace terroriste, Nabil Karoui a axé son intervention sur la nécessité de créer une agence commune pour les renseignements et d’investir dans la cyber sécurité. Il souhaite également tripler le salaire des martyrs des forces sécuritaires. Quant à Kais Saied, il a prôné la création d’un établissement qui permettra aux familles des martyrs des institutions sécuritaires de bénéficier des salaires, des avantages et des promotions professionnelles, «comme s’ils exerçaient toujours».
Pour ce qui est des affaires des assassinats politiques et de ce qu’on appelle «l’appareil secret d’Ennahdha», Kaïs Saïed a estimé que tout le problème réside dans la justice. «Je ne suis pas un service de renseignement pour savoir si l’histoire de l’appareil secret est vraie. Mais il faudra que la politique ne rentre pas dans la justice indépendante, ni dans le domaine public», a-t-il déclaré.
Quant à Nabil Karoui, il a proposé de créer «un tribunal ou une commission spéciale, qui doit enquêter et dévoiler la vérité sur ses dossiers». Et à Kaïs Saïed d’intervenir immédiatement, «constitutionnellement, cela n’est pas possible».
Diplomatie et crise libyenne
Concernant la politique étrangère de la Tunisie, Nabil Karoui a plaidé en faveur d’une diplomatie économique, numérique et des investissements étrangers, d’une ouverture sur de nouveaux horizons qui pourraient avoir une forte valeur ajoutée en Tunisie, contrairement à Kaïs Saïed, qui a favorisé la continuité de l’Etat en relation avec les accords et conventions conclus avec les autres pays.
Pour ce qui est de la crise en Libye, Nabil Karoui comme Kaïs Saïed n’ont pas apporté de solutions concrètes. Alors que Karoui a évoqué la nécessité de consulter les grandes puissances mondiales telles que la Russie, la France, l’Italie, les Émirats arabes unis et le Qatar, Kais Saied, lui, estime que les Libyens doivent prendre leur destin en main et décider de leur propre sort d’une manière indépendante.
La question de la normalisation avec l’entité sioniste était l’un des moments les plus forts de ce débat, les deux candidats ont, bien entendu, férocement défendu la Palestine. Mais c’est notamment la position de Kaïs Saïed qui s’est distinguée sur ce volet, car pour lui il ne s’agit pas de normalisation mais plutôt de «haute trahison». «Normalisation avec qui? Le mot normalisation est faux. C’est une traîtrise. Celui qui traite avec l’entité sioniste doit être jugé pour haute trahison. Nous sommes en situation de guerre. Nous n’avons pas de problème avec les juifs mais nous ne traitons pas avec le gouvernement israélien. Non, ils ne rentreront pas en Tunisie avec un passeport israélien mais avec un autre passeport, oui», a-t-il insisté.
Le débat a été l’occasion pour les deux candidats de proposer leurs premières initiatives une fois élus, le président du parti
Au cœur de la Tunisie a promis de créer une charte contre la pauvreté qui implique tout le monde, alors que le spécialiste en droit constitutionnel s’est engagé à créer un Haut conseil de l’éducation et de l’enseignement.
Au final, les deux candidats ont étayé leurs idées sans pour autant convaincre tout le monde. Aux Tunisiens de faire leur choix, de décider qui sera leur président pour les cinq prochaines années. Mais une chose est sûre, l’organisation de ce débat n’est qu’un pas de plus vers la concrétisation de la démocratie en Tunisie.