Dans un contexte déjà marqué par une tension et une campagne menée par certaines parties contre les médias et les journalistes, le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) a tenu, hier, une conférence de presse pour présenter son rapport sur les agressions commises contre les journalistes durant la période électorale. Le rapport dénonce des agressions en masse contre les journalistes qui ont couvert les différentes étapes du dernier processus électoral.
Soixante-dix-neuf (79) journalistes avaient été agressés durant la période électorale s’étalant du 22 juillet au 17 octobre dernier, englobant les deux scrutins, législatif et présidentiel. En effet, le rapport épingle des agressions en masse contre des journalistes travaillant pour différents médias, publics et privés.
Ainsi, 79 journalistes ont été agressés physiquement ou verbalement ou ont été interdits de travailler dans 22 gouvernorats lors des campagnes électorales des premier et deuxième tours de l’élection présidentielle anticipée et lors des élections législatives, mais aussi lors des jours des scrutins.
L’observatoire mis en place par le Snjt pour relever et documenter ces agressions a expliqué dans ce sens que les principaux auteurs de ces formes de violence sont principalement des membres du personnel de l’Instance électorale, des candidats aux premier et deuxième tours de la présidentielle, le personnel de sécurité et de protection des personnalités et des sympathisants des candidats.
A cet effet, le rapport note que parmi les 79 agressions enregistrées contre les journalistes, ce sont 35 femmes qui ont été ciblées pour diverses raisons. Deux chaînes de télévision, à savoir Elhiwar Ettounssi et Al-Watania (première chaîne nationale) ont fait objet également de campagne de lynchage sur les réseaux sociaux, a-t-on également souligné.
Il est à noter que ces agressions ont été commises contre des journalistes travaillant pour neuf radios, huit chaînes de télévision, trois journaux, deux sites électroniques et une seule agence de presse. La plupart de ces agressions ont eu lieu sur le terrain, c’est-à-dire lorsque les journalistes étaient chargés de couvrir des évènements électoraux, tandis que seulement trois agressions ont été commises dans les locaux de médias. Le rapport dénonce également des campagnes de lynchage, de violence verbale et d’insultes et des menaces contre les journalistes et les médias, notamment sur les réseaux sociaux. Il est à signaler que 24 cas d’intimidation et 32 tentatives d’interdire des journalistes d’exercer leur travail ont été également recensés, outre les menaces et la privation d’informations qui constitue, rappelle le syndicat, un droit garanti par la Constitution.
Ces agressions ont été commises sur tout le territoire tunisien à l’exception des deux gouvernants de Ben Arous et de l’Ariana, où aucune agression n’a été recensée, et c’est dans le gouvernorat de Tunis que le plus grand nombre d’agressions a été commis et estimé à 23.
Pour une autorégulation des médias
Le président du Syndicat national des journalistes tunisiens, Neji Bghouri, a profité de cette occasion pour exprimer ses craintes de voir la Tunisie régresser en matière de liberté de la presse au vu du grand nombre d’agressions enregistrées et des campagnes de diffamation ciblant les journalistes. Pour lui, cette situation pourrait se traduire par un retour aux mécanismes d’autocensure qui menace la liberté d’expression et de la presse. « Nous constatons tous la campagne menée actuellement par certaines parties contre les journalistes qui met en péril leur sécurité. Aujourd’hui, il n’est pas question que des journalistes exercent leur métier sous les menaces et sous la pression de telles campagnes », a-t-il estimé.
Neji Bghouri a reconnu, d’autre part, que le rendement de certains chroniqueurs n’était pas à la hauteur des exigences de cette période électorale qui nécessite, selon ses dires, un sens de responsabilité et de retenue. « Le rendement de certains chroniqueurs a été marqué par un excès, une exagération, voire des dérives et n’a pas respecté la déontologie du métier contrairement aux 1800 journalistes tunisiens qui ont couvert la période électorale convenablement et d’une manière professionnelle », a-t-il noté, plaidant en faveur d’une autorégulation des médias à travers la mise en place, très prochaine, du Conseil de la presse.
Présent également lors de cette conférence de presse, le président de la Fédération des directeurs des journaux, Taïeb Zahar, a réaffirmé sa solidarité à tous les journalistes et médias qui font l’objet de telles campagnes de diffamation et d’agression, estimant également que la liberté de la presse est aujourd’hui menacée. Il a fait savoir, d’autre part, que la mise en place du Conseil de la presse, organe indispensable pour l’autorégulation des médias, est entrée dans sa phase finale. « Ce n’est qu’une question de quelques jours, nous annoncerons prochainement la composition finale de ce Conseil, et ça tombe bien au vu de l’actuelle situation hostile aux libertés d’expression et de la presse », a-t-il affirmé.
Notons que plusieurs organisations et composantes de la société civile ont également pris part à cette conférence de presse pour réitérer leur position refusant toute agression ou campagne contre les journalistes et les médias, car, pour eux, la liberté de la presse est une ligne rouge.