L’Unité de recherche en droit international, juridictions internationales et droit constitutionnel comparé (Fsjpst- Université de Carthage), sous la direction du Professeur Rafâa Ben Achour, en partenariat avec la Fondation Konrad Adenauer (KAS), a organisé les 24 et 25 octobre 2019, à Tunis, un colloque d’envergure portant sur les juridictions internationales régionales et sous-régionales en Afrique, une occasion pour présenter ce cadre juridictionnel et revenir sur ses lacunes. Il était question également de lancer le nouveau Master de recherche en droit et politiques de l’Union africaine à la faculté des Sciences juridiques de Tunis, Université de Carthage, premier du genre en Afrique, mais aussi dans le monde.
Les institutions judiciaires et juridictionnelles constituent un pilier majeur de la démocratisation et du respect de l’Etat de droit. Cependant, en Afrique, et quels que soient les avancées, progrès et réussites de cette justice, nombre de critiques et de reproches ont été adressés, par différents intervenants, au système juridictionnel africain, composé de juridictions régionales et sous-régionales. D’ailleurs, comme l’ont expliqué les différents intervenants de ce colloque, on accuse même la justice en Afrique d’être corrompue, partiale, opaque dans ses procédures et inaccessible au citoyen africain ordinaire. Comment fonctionne le système juridictionnel africain, comment améliorer son rendement et quelles réformes sont-elles, aujourd’hui, nécessaires ?
«Ce colloque s’intéresse à l’activité juridictionnelle des organisations africaines qui font observer une multiplicité juridictionnelle, certaines ont une dimension continentale, alors que d’autres sont limitées à une région précise du continent. Ceci soulève un problème de complémentarité, ces juridictions sont-elles réellement complémentaires ou est-ce qu’elles sont compétitives ? D’une manière générale, c’est la complémentarité qui s’impose, jusque-là nous n’avons pas noté de divergences dans les positions des différentes juridictions, mais cette question se pose toujours, et c’est la raison pour laquelle nous avons tenu ce colloque, mais aussi pour faire connaître ces juridictions africaines, qui sont très importantes pour le citoyen africain, comme par exemple la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples», explique, à notre journal, Rafâa Ben Achour, Professeur émérite à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis et Juge à la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples. Et d’expliquer qu’aujourd’hui, un citoyen tunisien peut saisir cette Cour s’il constate que l’un de ses droits fondamentaux a été violé, à condition qu’il épuise toutes les voies de recours internes.
Expliquant le fonctionnement de ces juridictions régionales et sous-régionales africaines, Ben Achour est allé dans le sens de la mise en place de réformes pour garantir ce qu’il appelle un élan des Etats africains vers ces juridictions. «Il s’agit d’un problème beaucoup plus général, celui de la démocratie et des Etats de droit en Afrique. Je crois que plus l’instauration de la démocratie avancera plus l’Etat de droit sera ancré en Afrique et plus il y aura des recours devant ces cours africaines. La principale réforme souhaitée c’est que le protocole portant création de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples soit amendé dans le sens de la suppression de la condition de la déclaration qui est faite par l’Etat pour que ses nationaux puissent saisir cette Cour et ces juridictions. Ce recours doit être automatique sans aucune condition préalable nécessaire», a-t-il expliqué.
Un système juridictionnel timide
Sylvain Ore, président de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples, a déclaré à La Presse que l’organisation de ce colloque présente une extrême importance dans la mesure où elle constitue une excellente occasion pour débattre du système juridictionnel africain qui est timide, selon ses dires. «Il s’agit d’une importance indéniable, puisque c’est l’occasion de réfléchir sur les mécanismes pour favoriser la Paix et le développement en Afrique à travers le renforcement de l’activité de ces juridictions. Je considère que le système juridictionnel africain est timide, il cherche encore ses marques en matière d’exécution des décisions prises par ces juridictions», a-t-il noté.
Pour sa part, Holger Dix, représentant de la Konrad-Adenauer-Stiftung en Tunisie, a souligné l’importance de l’organisation d’un tel colloque à Tunis, car pour lui, il s’agit d’une opportunité pour la Tunisie de s’ouvrir sur le continent africain, par le biais du système juridictionnel, et à travers la présence d’un grand nombre de juristes et spécialistes de droit africain.
Pour sa part, le représentant du ministre des Affaires étrangères de la République Tunisienne, a souligné l’intérêt de ce colloque pour apporter plus de cohérence et de complémentarité entre le droit produit par les organisations et les communautés économiques régionales auxquelles la Tunisie a adhéré récemment comme le marché commun de l’Afrique orientale et australe aussi connu sous son acronyme anglais Comesa, et le droit produit par l’Union Africaine.
Ces juridictions régionales et sous-régionales se présentent donc comme une solution, lorsque les institutions nationales ne parviennent pas à faire respecter la loi ou qu’elles sont à l’origine de la violation. Ainsi, les victimes peuvent toujours recourir à des mécanismes de protection pour obtenir réparation au-delà des frontières nationales.
Premier Master du genre
Comme nous l’avons signalé, ce colloque intervient également dans le cadre du lancement du Master de recherche en Droit et politiques de l’Union africaine à la Faculté des Sciences juridiques de Tunis, Université de Carthage, premier du genre en Afrique, mais aussi dans le monde. Le Mastère de recherche « Droit et politiques de l’Union africaine » a pour objectif principal de permettre aux étudiants d’acquérir une solide connaissance des règles de fonctionnement de l’Union africaine et des principes fondamentaux du droit de l’Union africaine. C’est aussi un Mastère inédit car aucune Faculté de Droit et de sciences juridiques, publique ou privée n’a, jusqu’à présent, créé un Mastère de recherche dédié à l’Union africaine.
A cet effet, Hajer Gueldich, Maître de Conférences agrégée à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis- Université de Carthage et Responsable du Master de recherche en Droit et politiques de l’Union africaine, nous a expliqué que c’est la demande et le besoin qui ont dicté le lancement d’un tel Master. «Il était temps de lancer un Master de recherche spécialisé dans les questions africaines, nous avons fait une étude d’impact à ce propos. C’est un Master inédit, une première dans le monde entier. Nous avons remarqué qu’il n’y a pas des juristes tunisiens dans les instances africaines. Il était de notre devoir de faire cette vulgarisation des institutions et du droit de l’Union Africaine et de préparer le terrain pour les juristes tunisiens lorsqu’ils iront dans l’Union Africaine ou dans les différentes Cours».
Il est à noter qu’un grand nombre de juristes et spécialistes de droit africain issus du continent africain ont pris part à ce rendez-vous d’envergure dont notamment Sylvain Ore, président de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples, et le Professeur Rafâa Ben Achour, juge à cette Cour.
Notons qu’au niveau continental, une attention particulière a été dédiée à l’étude du rôle de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples (CAfDHP) ainsi que la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) dans l’affermissement de la démocratie et de l’Etat de droit en Afrique.
Au niveau sous-régional, les discussions ont été consacrées à l’expérience de quelques exemples de Cours sous-régionales, notamment l’Instance judiciaire de l’UMA (pour l’Afrique du Nord), la Cour de justice d’Afrique de l’Est (pour l’Afrique de l’Est), la Cour de justice du Comesa et le Tribunal de la SADC (pour l’Afrique Australe et en partie l’Afrique de l’Est), les Cours de justice de la CEEAC et de la CEMAC (pour l’Afrique Centrale), les Cours de justice de l’UEMOA et de la CEDEAO (pour l’Afrique de l’Ouest) et la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA (pour l’Afrique Centrale et l’Afrique de l’Ouest).