L’Ecole nationale des finances (ENF) organise le 28 novembre prochain un séminaire d’envergure qui portera sur le rôle de la formation dans l’application des principes de la décentralisation et du pouvoir local. L’accent sera mis notamment sur les modalités de l’implication des instituts et écoles de formation en finances dans le processus de décentralisation. Ainsi des responsables administratifs des communes, du ministère des Finances, du ministère des Affaires locales, des représentants du ministère de la Fonction publique, des formateurs et des experts tunisiens et étrangers, des bénéficiaires/apprenants seront réunis pour débattre du sujet. C’est dans ce cadre que nous avons donné la parole au directeur général de l’Ecole nationale des finances Abdelkader Labbaoui pour revenir sur ce sujet, mais aussi évoquer l’expérience et les objectifs de son établissement et interroger la réalité des finances en Tunisie. Diplômé en 1992 de la faculté des Sciences économiques et de gestion de Tunis (maîtrise spécialisée en économie et relations internationales), puis en 1996 de l’Ecole nationale du trésor de France (ENT) et en 1997 de l’Ecole nationale d’administration (ENA) diplôme du cycle supérieur – spécialité finances, notre interlocuteur cumule une grande expérience au sein de l’administration tunisienne puisqu’il a assumé des responsabilités au ministère des Finances et à la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam). Il a également assumé les responsabilités de président-directeur général de la Société du complexe industriel et technologique (Scitek), et garde toujours la casquette de président de l’Union tunisienne du service public et la neutralité de l’administration (Utspna). Interview.
Présentez-nous l’Ecole nationale des finances ?
L’Ecole nationale des finances est chargée d’assurer les besoins du ministère des Finances dans tous les domaines de la formation et notamment la formation initiale pour les admis aux concours externes organisés par le ministère des Finances pour l’accès aux cycles de formation des inspecteurs centraux, des inspecteurs et des attachés d’inspection des services financiers (non encore mise en œuvre). La formation d’initiation à la vie professionnelle au profit des inspecteurs, des attachés d’inspections et des contrôleurs des services financiers, nouvellement recrutés suite a leur admission aux concours externes organisés par le ministère des Finances. La formation continue au profit des agents du corps du ministère des Finances. La promotion et le perfectionnement des compétences par notamment l’organisation de sessions de formation au profit du personnel du ministère des Finances dans les domaines de la fiscalité, de la comptabilité publique, du secteur financiers, de l’informatique, des nouvelles technologies et des langues. L’organisation de sessions de formation au profit du personnel du ministère des Finances de différents grades en vue de les préparer aux concours internes organisés par le ministère des Finances et l’organisation de séminaires et de journées d’études au profit des cadres du ministère des Finances, des établissements et entreprises économiques et des professions en relation avec le secteur financier.
Il s’agit également de l’organisation de sessions de formation spécifique au profit du personnel de l’Etat, des établissements publics à caractère administratif et des collectivités publiques locales, dans des thèmes bien précis tel que la gestion budgétaire par objectif (GBO).
Notre structure se charge également de la réalisation et la publication des recherches et des études notamment à caractère fiscal, financier et comptable. Elle assure aussi des actions de formation à la carte au profit du personnel d’autres ministères ainsi que des entreprises publiques et ce moyennant une convention signée entre les deux parties.
Les outputs de l’ENF sont-ils immédiatement opérationnels dès leur sortie de l’école ?
Les sortants des divers cycles de formation de l’ENF sont directement affectés à leurs postes de travail au sein des différents services du ministère des Finances. Ils sont opérationnels dès leur sortie de l’école pour le simple fait qu’on leur dispense une formation au cours de laquelle sont joints les volets théorique et académique et les aspects pratiques des connaissances et disciplines qu’ils étudient. D’autant plus que le corps de formateurs renferme à la fois des hauts cadres praticiens de l’administration tunisienne, des experts comptables, des juges et des universitaires, ce qui est de nature à assurer une formation assez équilibrée qui repose sur le mariage utile et bénéfique entre la théorie et la pratique.
Quelles relations l’ENF a-t-elle avec les autres établissements de formation ou d’enseignement supérieur spécialisés en finances ?
L’ENF a tissé beaucoup de relations «win-win» avec les institutions publiques similaires et fait déjà partie, en tant que membre fondateur, du réseau national des institutions publiques de formation. Avec les établissements d’enseignement supérieur à vocation plutôt financière, l’ENF a déjà signé plusieurs conventions de partenariat en vertu desquelles les institutions partenaires procèdent à des échanges de formations, d’expertises, de bonnes pratiques ainsi que de formateurs et mutualisent leurs ressources pour mieux servir les intérêts réciproques de leurs apprenants/«clients» .
Quelle est votre vision sur la formation et l’enseignement en relation avec l’économie et le marché de l’emploi en Tunisie ?
L’ENF est un acteur clé dans la conduite du changement au sein de l’administration publique tunisienne. Elle joue un rôle pivot dans l’accompagnement des réformes des finances publiques, notamment à travers la mise en œuvre du plan de formation GBO eu égard aux dispositions de la nouvelle loi organique du budget «LOB». Elaborée en collaboration avec les différents services du ministère des Finances (Dgrh, DGI, Dgcpr, DGD…), la vision de l’ENF a pour objectif fondamental d’assurer via une approche institutionnelle d’élaboration, de mise en œuvre et d’évaluation d’une politique de formation-levier de développement du capital humain.
Le développement du capital humain représente en Tunisie, depuis des décennies, une partie intégrante de sa politique économique et sociale de façon à ce que l’enseignement supérieur et la formation professionnelle sont devenus une priorité des stratégies nationales de développement et de croissance. L’ENF accorde, en effet, la plus grande importance à son rôle en tant qu’acteur principal dans le processus de modernisation des administrations financières et dans l’accompagnement du changement, conformément aux priorités nationales, en termes de développement du capital humain de façon à résorber l’asymétrie entre les opportunités en termes de recrutement ou de promotion dans l’administration et les compétences des diplômés.
En réalité, toute administration publique ou ministère possède un patrimoine de savoirs et d’expériences qu’elle se doit de gérer efficacement pour assurer le maximum de performance.
Ces enjeux reflètent le rôle accordé à la fonction RH. Cantonnée auparavant dans la gestion administrative du personnel, elle est entrée dans une nouvelle ère, elle est devenue stratégique pour l’administration publique. La formation professionnelle est un des leviers majeurs pour répondre à l’ensemble de ces problématiques. Elle permet non seulement de consolider l’employabilité et l’adaptabilité des fonctionnaires mais également de renforcer le sentiment d’appartenance et la satisfaction donc la motivation des collaborateurs. De plus, les progrès technologiques marqués par l’automatisation, la digitalisation et l’émergence de nouveaux modes d’apprentissage constituent une véritable opportunité pour chaque administration souhaitant faire de la formation un investissement stratégique et un facteur clé de performance.
Qu’en est-il du e-learning ?
L’ENF a déjà lancé depuis 2017 un projet de mise en place d’une solution de formation en ligne afin de faciliter la diffusion des contenus de formation et de tirer avantage des nouvelles technologies de l’information. La raison d’être de ce projet n’est autre que de recentrer les ressources humaines du ministère des Finances, en premier temps (quelque 15.000 fonctionnaires) au cœur même de la mission de l’école, puis de permettre à tous les fonctionnaires de l’Etat, des EPA et des collectivités publiques locales (plus que 700.000 fonctionnaires) d’accéder à la formation en ligne via la plateforme nationale de e-Learning, dans le cadre du «Réseau national des institutions publiques de formation».
En effet, la concrétisation des nouvelles orientations en matière de qualité dans la formation, d’encadrement des apprenants et de développement des compétences du capital humain du ministère ne peut se faire sans le recours à l’innovation tant au niveau de l’approche qu’au niveau des outils. Ce projet se veut réalisable en trois phases: la mise en ligne des contenus existants, sous formats Doc, PDF ou PPT, le ré-engineering (conception pédagogiques) des contenus en modules e-learning interactifs, illustrés, intégrant des animations, voire des vidéos commentées et l’intégration d’outils synchrones tels que les classes virtuelles, ou les webinaires (séminaires sur le web). Pour ce faire, le projet prévoit : une infrastructure informatique, une plateforme pédagogique, plusieurs cursus de formation ou modules orientés métiers, de l’expertise dans l’accompagnement dans de tels projets faisant recours à des techniques d’encadrement, de modération, de tutorat et de motivation.
L’ENF organise un symposium sur la gouvernance publique. Quel sera le thème central de ce séminaire et quels objectifs sont-ils derrière ?
L’ENF organise, en fait, la 2e édition 2019 du Symposium national de la bonne gouvernance, le 28 novembre 2019 à Bizerte. Cette édition portera sur le thème : «La formation, appui au processus de décentralisation ». Le séminaire se veut une occasion ou un forum de rencontre de tous les instituts publics de formation afin de fédérer davantage les moyens, mutualiser les ressources et partager les expériences réussies et les bonnes pratiques, pour ainsi atteindre une forme de synergie, à même de permettre à nos institutions de relever les défis de la formation des RH des collectivités publiques ainsi que des services déconcentrés de l’Etat. Il permettra aussi de réunir les acteurs de la décentralisation (responsables administratifs des communes, responsables du ministère des Finances, responsables du ministère des Affaires locales, représentants du ministère de la Fonction publique, formateurs et experts tunisiens et étrangers, bénéficiaires/ apprenants)afin de débattre des difficultés et proposer des solutions.
La gestion des finances publiques en Tunisie représente de plus en plus un défi majeur tant pour les pouvoirs politiques que pour les citoyens ?
Le pays traverse depuis des années une situation socioéconomique assez critique caractérisée essentiellement par une stagnation économique ayant aggravé les déficits jumeaux (déficit budgétaire et déficit commercial). Tous les diagnostics menés jusque-là ne font que confirmer la nécessité impérieuse d’une refonte du modèle de développement dans le cadre d’un nouveau contrat social favorable à une croissance inclusive. Le principal défi est de transformer la structure de l’économie tunisienne pour stimuler la compétitivité, la valeur ajoutée et la productivité, dans le but d’atteindre une croissance plus élevée et plus inclusive. La réalisation de ces objectifs exige une action concertée afin d’améliorer les institutions de gouvernance économique et financière du pays. En effet, l’adoption d’une nouvelle gouvernance économique en Tunisie nécessiterait le réajustement des déséquilibres du modèle de développement économique et social en place dans l’optique de remettre le pays sur la voie d’une croissance plus élevée et plus inclusive. Il s’agit en fait d’accroître le rythme de la réforme dans plusieurs axes prioritaires : une transformation structurelle capable d’engendrer une amélioration nette de la compétitivité et une plus importante valeur ajoutée. Le pays doit orienter l’économie vers des activités à plus forte valeur ajoutée. La propulsion du développement régional pour réduire les inégalités, à travers la mise en œuvre d’une nouvelle approche du développement régional qui ira de pair avec le processus de décentralisation en cours. Il est possible de promouvoir une croissance inclusive par des politiques visant à combattre les inégalités spatiales dans l’accès aux services de base, et dans leur qualité, dans l’accès à de bonnes infrastructures et plus généralement en s’attaquant aux échecs institutionnels générateurs de «chances» inégales. Le renforcement de la stabilité financière et de la gouvernance du secteur bancaire. La réforme de l’administration publique en guise de plus de performance (réforme de la fonction publique et renforcement de la capacité des fonctionnaires). L’introduction d’une plus grande transparence et responsabilité dans les entreprises publiques. Et, enfin, la consolidation de la bonne gouvernance via la mise en œuvre intelligente, responsable et lucide des réformes en cours de lutte contre la corruption et la gouvernance ouverte.