« Toute neutralité cache une lâcheté (…). Indignez-vous, engagez-vous car celui qui n’est pas dégoutté par ce qui est dégoûtant, est encore plus dégoûtant que ce qui ne le dégoûte pas », dixit Me Jacques Moukanga, avocat du barreau de Lubumbashi, en République démocratique du Congo (RDC).
La vidéo a fait le buzz sur les réseaux socio-numériques (Facebook et Twitter) à travers les pages et les comptes francophones. On parle ici d’un buzz qui n’a rien a voir avec ce que nos médias tunisiens ont l’habitude de partager sur leurs supports. D’ailleurs, dans le paysage audiovisuel tunisien, cette vidéo est passée inaperçue.
En effet, il s’agit d’une vidéo mettant en relief un magnifique discours de Me Jacques Moukanga, un jeune avocat africain du barreau de Lubumbashi, RDC (République démocratique du Congo), lors de la 33ème Conférence internationale des Barreaux de tradition juridique commune, du 5 au 8 décembre 2018, à Lausanne, en Suisse, sous le thème : « L’avocat du XXIe siècle et les modes de résolution des conflits ».
Les mots de ce juriste congolais ont épaté l’auditorium, non seulement par sa maîtrise de la langue française et son éloquence, mais aussi par l’étendue de son art oratoire à travers un plaidoyer intitulé: la neutralité est-elle une forme de lâcheté ?
La Presse de Tunisie vois propose la retranscription complète de cette sublime réflexion où la rhétorique et le sens de répartie reprennent leurs lettres de noblesse:
« Mesdames, Mesdemoiselles et Monsieur,
La neutralité est-elle une forme de lâcheté? Sans blague ce sujet n’est pas une blague. Car c’est du procès de la neutralité qu’il s’agit. Procès ardu s’il en est. Il me semble que cette audience eût dû se tenir ailleurs plutôt qu’à Lausanne, ici sur le territoire suisse. Cette suisse qui altière qui aura fait de sa neutralité bicentenaire une religion d’état. Il y aurait tout lieu d’ordonner le renvoi des juridictions pour cause de sureté public mais passons.
Honorables jurés commençons par dissiper tout malentendu sur le sujet et voyons en quoi le neutre diffère à la fois de l’écliptique et du partisan.
En effet devant une problématique donnée, le partisan assume ou la thèse ou l’antithèse. L’écliptique se situe à califourchon sur la thèse ou sur l’antithèse dont il tire la synthèse, alors que le neutre lui se refuse de prendre partie ni pour la thèse ni pour l’antithèse, ni pour la synthèse. Ni pour l’un, ni pour l’autre des deux antagonistes. Ni pour Césaire, ni pour Senghor, ni pour Voltaire ni pour Rousseau. Ni pour ni contre l’avortement, ni pour, ni contre la peine de mort et pour être contemporain, le neutre n’est ni pour le grand Barça, ni pour l’autre équipe.
Je sais, oui je sais. On nous a vanté mille vertus de la neutralité. On a répandu que la neutralité serait la sagesse de la prudence ou la prudence de la sagesse. Que la neutralité préserverait de la vengeance, de l’affrontement.
Qu’elle garantirait la paix républicaine. On a même soutenue que la neutralité serait gage de crédibilité. Mais non, ce n’est là qu’une péroraison tonitruante.
À dire vrai Dieu sait que toute neutralité cache une lâcheté qui a honte à s’avouer. La neutralité c’est de la lâcheté. Est-il besoin de le prouver? En fait vous le savez bien autant que moi, la raison humaine est jugement et le cœur humain est parti pris. Il en résulte aussitôt qu’éclairé par les données d’un débat ou d’un conflit humain, on ne peut pas ne pas prendre parti. La neutralité donc si tenté qu’il soit possible d’être neutre, la neutralité dis-je n’est qu’une posture d’imposteur, adopté pour les besoins de la cause ou pour la cause du besoin. Un leurre, une ruse.
Et Pierre Billon a eu tant raison d’affirmer que la neutralité est une chose qu’on retrouve dans le discours et pas dans le cœur des gens. Dès lors si s’interdire de clamer si haut ses convictions par peur d’en subir les conséquences n’est pas de la lâcheté. Si s’interdire l’action par peur des représailles n’est pas de la lâcheté. Si, Mais en fin voir l’injustice et passez son chemin n’est pas de la lâcheté, admettez au moins, admettez néanmoins que cela y ressemble beaucoup.
Non jamais, jamais la neutralité n’est pas une vertu, des individus aux états, elle reste une veulerie. Et quoi! Un ami qui a à fait vœux de ne pas prendre parti pour personne. Non merci. En quoi serait-il mon ami, lui qui ne porterait pas sa part de mon malheur. Que la neutralité nous préserve du chaos, de l’affrontement oui j’entends bien autant heureusement qu’elle permette à l’injustice de prospérer. Voir la shoah, l’apartheid, la ségrégation raciale, la xénophobie, l’esclavage sexuel, des avocats emprisonnés, des millions de morts et de viols à l’est du Congo mon pays, la république très très démocratique du Congo.
Mais oui voir tout cela et passez son chemin, ah oui c’est cela l’héroïsme de la neutralité, et dire que la paix perpétuelle de certains est à ce prix comme si au-delà de la patrie il n y a pas l’humanité. Vous savez un régime qui opprime son peuple aurait tout à gagner que des états tiers demeurassent neutre conflit. Mais Desmond Tutu considère avec raison que si vous êtes neutre dans les situations d’injustice, vous avez choisi le côté de l’oppresseur car la neutralité aide l’oppresseur, jamais la victime.
Alors, on m’objecterait volontiers que la neutralité nous aurait épargné l’enfer Libyen ou l’Irak, l’Afghanistan, le Darfour, les migrants certes. Mais comprenez-moi bien, si je conçois que l’indifférence et l’inaction qu’implique la neutralité sont funeste, je n’applaudis pas pour autant des interventions arbitraires dictées par des convictions parfois insincères. Et encore. Et encore toute parturition d’un monde nouveau n’est-elle pas douloureuse.
620 mille soldats tombèrent sur le champ de bataille de la guerre de cession qui déchira l’Amérique de Lincoln. Mais il y avait un message de justice dans le crépitement de chaque balle tirée durant cette guerre-là. Oui, ces crépitement d’obus étaient autant de voix qui s’élevaient en chœur pour rappeler si besoin en était encore, que tous les hommes naissent libres et égaux en dignité et en droits…les noirs aussi. La neutralité c’est un leurre, tenez : le géant d’Asie à promit d’être de toute neutralité.
Sapristi, une aubaine pour le roitelet du Gondwana qui jubile les rangs de grâce aux descendants de Mao d’avoir des droits de l’homme une vision aussi grande que leur taille.
Mais ne vous y méprenez pas. Pékin se tait parce que Mao est à table, la table de Mendeleïev. Et en Afrique lui dit-on qu’il est impoli de parler quand on mange, et mal poli de jaser la bouche pleine. La neutralité…La neutralité à engendré la langue de bois. Ce patois des politiques et des technocrates irrésolus, des lâches qui effraient l’opinion publique. Ils disent aux uns vous avez raison, aux autres vous n’avez pas tort.
Mais je vais dire qu’il est honteux d’être sans honte. Est-ce cela la politique? Voilà mesdames et messieurs, il ne me reste plus rien à prouver. Oh que si vous rappelez que Dieu même à en horreur la neutralité. Ainsi parce que tu es tiède, et que tu n’es ni froid ni bouillante, je te vomirais déclare-t-il.
Voilà, mesdames et messieurs, la preuve est faite. Maintenant laissez-moi vous dire que j’ai un rêve. Moi aussi bien sûr n’ayant pas le monopole du sommeil, Martin Luther King ne peut avoir celui du rêve. J’ai fait un rêve, et mon rêve le voici. Et si ce 33ème congrès de la CIB était la rencontre de chaque avocat avec sa cause humaniste, l’idéal pour lequel pour lequel il devrait désormais vivre et même mourir s’il le faut.
Quittez la tranquillité de votre neutralité. Pour les avocats dignes de la robe qu’ils portent disaient Jacques Izorni, il n y a que le grand combat avec tous ses dangers et ses risques car un avocat sans histoire n’est pas un avocat, c’est tout au plus un fonctionnaire de la justice qui fait ses heures de justice et les vend le mieux qu’il peut.
Quittez le confort de votre neutralité et descendez dans l’arène vous mêlez des choses qui ne vous regardent pas. L’humanité vous en sera bien gré. Comme Zola pour Dreyfus accusé, comme voltaire… qui défendit Calas.
Comme Sartre, Che Guevara, soyez de tous les combats. Comme Mandela quittez votre robe d’avocat s’il le faut et allez vers le large. Et comme (Jacques) Vergès sauvez Djamila (Bouhired) et épousez-la.
Indignez-vous, engagez-vous car celui qui n’est pas dégouté par ce qui est dégoûtant, est encore plus dégoûtant que ce qui ne le dégoûte pas. ».
Voilà des mots qui ne laisseront personne indifférent… À méditer !