Quels sont les partis où les femmes occupent des postes avancés dans leurs structures internes ? Combien de blocs parlementaires sont-ils présidés par des femmes ? Combien de femmes députées siègent au Parlement ?
Après l’annonce du chiffre magique de 40% de présence des femmes dans le futur gouvernement, c’est la douche froide. Le pourcentage est très en deçà de ce qui a été annoncé. Habib Jemli pensait plutôt à la présence des femmes et des jeunes réunis dans son équipe ? Peut-on lui donner le bénéfice du doute ? S’est-il emmêlé les pinceaux sous les projecteurs ? A-t-il des collaborateurs, piètres élèves en calcul ? En vérité, 10 femmes d’entre 42 en tout, siègent dans l’équipe gouvernementale qui attend le vote de confiance. Quatre ministres et six secrétaires d’Etat sont des femmes, soit 23,8% exactement.
Les compétences féminines, ce n’est pas ce qui manque dans le pays. Mais, avant d’annoncer sa liste, Jemli & Co, parce qu’il n’est pas seul à décider, c’est évident, ont discuté avec les partis politiques qui devront voter en faveur de cette équipe. Théoriquement, la liste a été préalablement validée. De ce fait, les formations politiques qui pèsent de par leur nombre de députés à l’hémicycle ont eu leur mot à dire à l’avance. Et, de notoriété publique, les partis proposent rarement des femmes, surtout lorsqu’ils ont très peu de postes à pourvoir. Le chef du gouvernement désigné a affirmé qu’il voulait le maximum de femmes. Jusque là, il n’y a pas de raisons objectives de ne pas le croire. En revanche, la composition gouvernementale est à l’image des états majors des partis politiques. Peut-être même sous cet angle, le gouvernement, avec les postes attribués aux femmes, serait en avance.
Quels sont les partis où les femmes occupent des postes avancés dans leurs structures internes ? Combien de blocs parlementaires sont-ils présidés par des femmes ? Combien de femmes députées siègent au Parlement ? C’était bien un scrutin de liste qui était adopté dans les élections législatives ? Mais quand les femmes sont mal placées sur lesdites listes, d’office, elles ne seront pas élues. Ce qui a été le plus souvent le cas. La vraie question est donc : quelle était la marge de manœuvre du chef gouvernement désigné ? Limitée. C’est encore une évidence. Il a dû contenter le plus grand nombre de formations politiques pour obtenir leur oui, lors du grand jour.
Les femmes marginalisées au sein de leurs propres familles politiques
Nous avons choisi de faire parler des femmes connues pour leur militantisme en faveur des droits des femmes. Bochra Bel Haj Hmida, avocate, militante, femme politique, ancienne députée, pense que la première responsabilité incombe au chef du gouvernement désigné qui a tôt fait de déclarer un pourcentage qui n’a pas été respecté.
« Ce n’est pas crédible, dénonce-t-elle. Comment annonce-t-on un chiffre qui n’a pas été vérifié au préalable » ? Et d’ajouter : « Quoi qu’il en soit, il a annoncé que ce serait un gouvernement restreint avec une présence édifiante des femmes. Résultat des courses, c’est un gouvernement élargi et la présence des femmes est réduite.
Mise à part la responsabilité du chef du gouvernement, la faute originelle incombe aux partis politiques qui ne proposent pas de femmes. Malgré l’attirail de lois, malgré le rôle prépondérant joué par les femmes, notamment après la révolution, leurs présence et influence au sein de leurs propres familles politiques sont très limitées.
Les responsables des partis prétendent être en faveur des droits des femmes, en faveur de la présence des femmes sur la scène politique. Ce n’est qu’une posture de façade. Un leurre. Il n’y a pas de convictions réelles. Les femmes sont marginalisées. Les dirigeants des partis sont pour la plupart misogynes, n’ont jamais élaboré de vrais programmes pour le droit des femmes. Et je ne vous révèle pas un secret, même quand on impose aux partis de proposer des CV de femmes, parallèlement ils font leur lobbying en faveur de leurs candidats hommes. Les femmes sont éliminées de facto par un travail de sape effectué par leurs propres partis.
Il faut que l’on sache que les hommes sont choqués, c’est le mot, quand une dirigeante exprime une position qui va à l’encontre de celle adoptée par la majorité masculine. Ils se considèrent, parce que hommes, comme des leaders nés qui doivent imposer leurs choix et leurs opinions. Les femmes doivent suivre et acquiescer. J’ajouterais que si ces responsables politiques défendent le droit des femmes, ils le font parfois par pique, contre des partis considérés comme conservateurs à l’instar d’Ennahdha. Je vais donner un autre exemple : on peut s’amuser à comparer les programmes politiques des partis, section femmes, toutes tendances confondues. Ils sont similaires. Les différences sont minimes entre des partis de gauche, de droite, progressiste, islamiste ».
Chaque nouveau responsable annonce d’emblée que les droits des femmes ne seront pas touchés, pourquoi ?
Rabaa Abdelkéfi, universitaire, militante, romancière, se pose des questions quant au nombre de femmes nommées, mais également aux tendances politiques auxquelles ces ministres et secrétaires d’Etat appartiennent. Notamment, la ministre de la Femme : « Il semblerait, regrette-t-elle, qu’elle ne soit pas particulièrement attachée aux droits des femmes ».
Elle ajoute : « Je suis très gênée. Pour un gouvernement qui prétend être de compétences, c’est raté. Annoncer un gouvernement de compétences et mettre de côté les femmes. C’est incompréhensible ! Je m’attendais à presque une parité. Parallèlement, il faut reconnaître que dans les partis politiques, les femmes sont quasi-absentes.
Et pour cause. Mais regardons dans les administrations, les universités, les femmes sont en première ligne. Mais lorsqu’il s’agit de nommer des femmes à des postes de hautes responsabilités, elles sont toujours minoritaires. Donc, il faut dire les choses comme elles sont : c’est un gouvernement politique où les hommes sont majoritaires. Pour les mêmes postes gouvernementaux, il existe des Tunisiennes bien plus qualifiées que les hommes soi-disant sélectionnés. C’est une équipe de hautes compétences ? Qu’est-ce qui le prouve ? Pour les diplômes obtenus à l’étranger, pour les prix reçus? Je suis très déçue et même inquiète.
Et puis, qu’est-ce que c’est que cette mauvaise habitude que chaque nouveau responsable vienne annoncer d’emblée que les droits des femmes ne seront pas touchés ! Pourquoi a-t-on besoin de le dire ? Pourquoi a-t-on besoin d’évoquer les acquis qui sont censés être des acquis, donc intouchables ?! Alors qu’on ne parle pas de consolidation des droits des femmes. Dès lors qu’ils annoncent que les acquis seront préservés, cela signifie surtout que les avancées ne sont pas garanties. A mon avis, le non-dit de ces propos se traduit ainsi : on ne touchera pas à ce qui existe, mais pour ce qui est de la question de l’héritage qui est en débat, en chantier, on peut faire une croix dessus ».
Pour la petite histoire, dans les régimes autoritaires, les femmes étaient imposées, parfois par conviction, sous Bourguiba, notamment pour animer la galerie, sous Ben Ali. Aujourd’hui, nous vivons dans un modèle qui se veut démocratique, le système des quotas partisans est donc inévitable. Si un bloc parlementaire vote en faveur du gouvernement, ce sera en contrepartie de quoi ? La présence des femmes reste à ce stade donc symbolique et tributaire de la volonté politique. C’est pourquoi, l’on s’acheminera vers la parité, le jour où il y aura des femmes qui s’imposeront évidemment par leurs compétences, contre les préjugés et surtout au sein de leurs propres camps politiques qui sont visiblement les premiers, pour le moment, à leur faire barrage.