On dit toujours que la liberté d’expression et de la presse se présente comme étant le seul véritable acquis de la révolution. Mais pour certains, ces formes de libertés sont toujours menacées notamment par le pouvoir financier et par les possibles intentions des partis politiques de s’emparer du paysage audiovisuel et des médias d’une façon générale. Neuf ans après la révolution, quels sont les grands traits qui caractérisent ce paysage ? Les médias tunisiens sont-ils à l’abri des pouvoirs politique et financier ? Quels reproches peut-on faire aux médias audiovisuels alors, qu’après neuf ans, ils devraient adopter les réformes structurelles et organisationnelles nécessaires pour leur viabilité et indépendance ? Quel rôle pour l’Etat pour protéger ce secteur face à une crise financière généralisée ? Le membre de la Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica), Hichem Snoussi, a dressé un bilan de neuf ans d’effervescence et de mouvance au sein du paysage audiovisuel.
Neuf ans après la révolution, comment peut-on décrire le paysage audiovisuel tunisien ?
Ce que nous avons déjà accompli et ce que nous considérons comme un véritable acquis, c’est que nous avons brisé la barrière de la peur de voir un paysage médiatique diversifié et multicolore. La Tunisie compte aujourd’hui 50 médias audiovisuels entre télévisions et radios publiques, privées et associatives. Ce que nous considérons également positif, c’est que 80% des contenus médiatiques consommés en Tunisie sont tunisiens et créés par des médias tunisiens. Ceci n’empêche pas le fait que des manquements et des lacunes sont à relever. L’absence d’une vision et d’une stratégie étatiques et de décision politique à même d’améliorer le rendement de ce secteur est à déplorer. Nous craignons toujours qu’une mainmise politique ne soit exercée sur ce secteur, ce qui mettra en péril la liberté de la presse. La Haica sait parfaitement que le pouvoir exécutif, représenté par les différents gouvernements qui se sont succédé depuis la révolution, a toujours voulu mettre la main notamment sur les médias publics; d’ailleurs, les limogeages de P.dg à la tête de ces médias ne peuvent qu’en témoigner.
Justement. Si la liberté de la presse est connue pour être l’unique acquis de la révolution, est-elle aujourd’hui menacée ?
La liberté d’expression et de la presse doit être menacée, c’est un signe de santé, c’est normal car nous parlons d’une véritable liberté. Cette liberté constitue parfois un souci, une préoccupation voire une obsession pour les partis politiques et pour les politiciens, elle restera toujours menacée. Pourquoi ? Car la majorité des partis n’est pas démocratique et ne croit pas en la démocratie. Les politiciens parlent et évoquent toujours les libertés générales sous forme de slogans, mais ils n’ont pas encore assimilé le principe de la démocratie lui-même, car à l’intérieur de leurs structures politiques, ils ne sont pas démocratiques. C’est pour cette cause que la liberté de la presse restera toujours menacée, tant que les acteurs politiques n’auront pas assimilé tout le contexte démocratique en Tunisie. Quand ils seront convaincus par cette notion, ils feront tout pour préserver l’indépendance des médias.
Quels reproches peut-on faire à l’actuel paysage audiovisuel ?
Ce qui marque le plus l’actuel paysage audiovisuel, ce sont les médias hors la loi, soutenus par des partis politiques. Chaque média qui diffuse d’une manière illégale, sans autorisation, est soutenu par un parti politique. Nessma est protégée par Au Cœur de la Tunisie, Zitouna Tv par Ennahdha, et la radio du Coran par le parti Errahma. Il faut rappeler également que les médias audiovisuels se sont malheureusement inscrits aux les agendas de certains partis politiques et certains candidats aux élections de 2019, ce qui constitue un constat extrêmement dangereux pour la démocratie tunisienne. Les propriétaires de certains médias, sur lesquels pèsent des soupçons de corruption, se sont également ingérés dans ce processus électoral à travers la manipulation de leurs entreprises médiatiques. Le grand reproche que nous pouvons faire à l’actuel paysage audiovisuel c’est notamment cette interférence avec la vie et les agendas politiques.
Que peut-on faire pour améliorer le rendement des médias audiovisuels et de tout le secteur médiatique tunisien ?
Nous devons opérer des choix stratégiques pour ce secteur. Il ne faut plus considérer les médias publics ou privés comme de simples entreprises commerciales. Il est vrai qu’ils sont des entreprises, mais ils présentent un service public. Informer les gens et produire des contenus de qualité c’est un service public, donc il s’agit de revoir toute la stratégie portant sur ce secteur. A cet effet, l’Etat est appelé à financer les médias audiovisuels privés. Nous avons d’ailleurs préparé un projet de loi portant sur la mise en place d’un fonds pour appuyer la qualité et la diversité des contenus médiatiques qui sera financé par les revenus de la publicité publique.
Il faut aider les médias à surmonter cette crise financière qui fait que les produits médiatiques soient parfois médiocres, à la recherche du buzz et du sensationnalisme, car pour eux, c’est une source de financement. L’Etat doit intervenir pour améliorer la qualité des produits médiatiques notamment dans le paysage audiovisuel en finançant les médias privés.
Il est également question de promulguer la nouvelle loi sur la communication audiovisuelle. Et nous tenons à cet effet, que les membres de la nouvelle instance soient proposés par les différents organismes et non pas par le parlement. Le parlement se contentera de voter pour ou contre ces membres mais tout en ayant plusieurs choix et plusieurs candidats.