Quelle est la situation actuelle du secteur de l’artisanat en Tunisie ?
Ces dernières années ont été caractérisées par une évolution positive. Nous le remarquons dans l’engouement des Tunisiens quant à l’achat des produits artisanaux, nous le remarquons également au niveau de la hausse des investissements dans ce secteur et par conséquent la création de 7.000 postes d’emploi par an. Nous avons exporté pour une valeur de 80 millions de dinars en 2019. C’est le signe que les produits artisanaux tunisiens sont reconnus pour leur qualité. Bien évidemment nous aspirons à beaucoup mieux.
Il faut admettre que les difficultés du secteur de l’artisanat ne datent pas d’hier. Ils ont commencé dès les années 1990 lorsqu’il y a eu restructuration de l’ONA, puis la liquidation, 1996, inopportune de la Société de production des articles de l’artisanat (Sopart). Cette société s’occupait de la production. Le secteur a donc perdu une grande locomotive. Dans l’esprit du décideur à l’époque, ce sont les entrepreneurs privés qui allaient prendre le relais, chose qui n’a pas été faite, pour des raisons multiples.
La production avait donc chuté quantitativement et qualitativement. Puis, en 2007, la fermeture de la Société de commercialisation des produits de l’artisanat. Ajoutons à cela l’éparpillement de la formation dans le secteur sur plusieurs structures, notamment au niveau du ministère de la Formation professionnelle et de l’Emploi. Une formation, qui, à notre sens, n’obéit pas aux normes auxquelles nous aspirons.
Les produits artisanaux tunisiens en provenance de Chine sont également une problématique à laquelle il faudrait apporter des réponses, n’est-ce pas ?
Le problème c’est que ce sont des donneurs d’ordre tunisiens qui vont en Chine et commandent des articles artisanaux fabriqués avec des matières premières médiocres et les écoulent ensuite sur le marché tunisien. Ces produits n’obéissent ni aux normes de qualité ni aux normes sécuritaires.
Nous sommes, avec la douane, en train de combattre ce phénomène. Il existe une nomenclature de produits chez la douane, une liste que nous mettons régulièrement à jour. Ces produits sont libellés exclusivement tunisiens et ne peuvent être importés de l’étranger. Et lorsqu’il y a un doute, la douane consulte l’Office national de l’artisanat.
Nous n’avons malheureusement pas de statistiques exactes, mais je peux dire que nous avons constaté une baisse des produits artisanaux contrefaits en provenance de Chine. Il nous faut vraisemblablement trois à quatre ans pour endiguer ce phénomène. La raison est simple, il existe des stocks anciens, qui ont été importés et qui continuent à envahir le marché. Mais plus concrètement, je cois que pour faire face efficacement à la contrefaçon chinoise, nous devons miser sur la création. Il nous faut offrir un produit de qualité et relativement bon marché, pour que le commerçant renonce à importer des produits venus de Chine.
Lorsqu’un touriste vient, il a le choix entre un produit moins cher made in China, et un authentique produit artisanal un peu plus cher estampillé «Made in Tunisia», je peux vous assurer que le touriste choisira le produit authentique. Il faut donc que lorsqu’un touriste pénètre dans un marché local, il puisse clairement distinguer entre les produits tunisiens authentiques et les produits chinois. Mais il est vrai que ce dossier est extrêmement difficile à gérer.
Quelle est la stratégie sur laquelle vous allez travailler dans les prochaines années ?
Nous avons une stratégie qui se base sur cinq axes principaux. Le premier est l’axe institutionnel. Dans un secteur aussi varié que le nôtre, il faut des structures organisées et efficaces pour encadrer et développer l’artisanat. Vous ne pouvez pas faire fonctionner une grosse machine avec un moteur peu puissant. De là, nous devons restructurer l’ONA ainsi que d’autres organismes en relation directe avec les artisans.
A côté de ces restructurations, il est également nécessaire de revoir l’arsenal juridique régissant le secteur, de façon à mieux s’adapter aux exigences nouvelles de l’artisanat. Cela peut se faire notamment en s’inspirant de ce qui se fait ailleurs dans le monde. Tout cela se fera en collaboration avec l’Union européenne qui finance en partie ce projet qui s’étale sur cinq ans avec une enveloppe de 50 MD.
Plusieurs organisations contribuent au financement de ce projet, mais également l’Etat qui financera une partie de ce plan. Le deuxième axe consiste à développer les connaissances et les compétences techniques des artisans et entreprises artisanales à travers une modernisation des structures et procédures d’éducation, de formation professionnelle, d’apprentissage, de recherche et d’innovation, et d’aide à la création d’entreprise. Ensuite, le 3e axe vise à promouvoir la mise à niveau des entreprises artisanales, le développement de la démarche Qualité et l’investissement ateliers et en infrastructures de production.
Il s’agit après de promouvoir la qualité des produits et de développer les marchés de l’artisanat aux niveaux local, régional, national, et à l’exportation. Et enfin, développer l’information et promouvoir l’artisanat à travers une stratégie à long terme de communication. Lorsque nous parlons d’exportation de produits artisanaux tunisiens, il est important que nous parlions d’un label tunisien (Handicrafts from Tunisia), à même de distinguer les produits tunisiens authentiques des produits contrefaits ou qui n’obéissent pas aux normes de qualité.
Nous avons donc confectionné un logo qui représente le label de qualité tunisien, un logo qui diffère selon le produit. Ce label de qualité est octroyé selon un cahier des charges qui contient bien évidemment des conditions. Au sein de l’ONA, nous avons une commission qui s’assure du respect de ce cahier des charges, accorde le label, tout en veillant à faire des contrôles annuels.