Le budget du ministère a enregistré, comparativement à celui de 2020, une augmentation de 2,92%, soit 52,433 millions de dinars. Le budget global s’élève donc à 1,846 milliard de dinars.
Le processus d’examen du projet de loi de finances pour 2021 diffère d’une plénière à une autre. Chaque département génère une atmosphère spécifique. Hier, mercredi 2 décembre, conformément au calendrier établi, est venu le tour du ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche. L’hémicycle, contrairement à son habitude, baignait dans une relative quiétude. Cette fois-ci, l’animation était dehors. Dans le hall du palais du Bardo, les fonctionnaires et agents du parlement observaient un sit-in.
Rached Ghannouchi, qui présidait la séance publique, a commencé par saluer les fonctionnaires de l’ARP « pour leurs efforts au bon fonctionnement de l’institution ». Une amabilité qui ne semble pas avoir eu grand effet sur les protestataires. Le président du Parlement s’est alors tourné vers les députés pour les appeler au calme, « pour la sérénité des débats ». L’air de dire, à chaque jour suffit sa peine.
La ministre de l’Agriculture, Akissa Bahri, et ses hauts responsables occupaient les travées de droite, vues du perchoir. Le taux de présence des élus, lui, ne dépassait pas 36%, en cette matinée de décembre. Quelques journalistes suivaient à l’étage. Concentré, tout le monde semblait écouter le rapport de la Commission parlementaire de l’agriculture. Qu’en retenir ? D’abord, sur la forme, seule la rapporteure adjointe Halima Hammami a pu lire convenablement avec une bonne élocution la partie du texte qui lui est dédiée. Permettant à l’assistance de comprendre et les chiffres et les mots qu’elle prononçait. Ses collègues qui l’ont précédée dans cet exercice donnaient l’impression ou bien qu’ils prenaient connaissance du rapport pour la première fois, trébuchant à chaque phrase, ou bien avalant les mots, souhaitant visiblement en finir au plus vite.
Ces rentiers de l’agriculture
Sur le fond, le budget du ministère a enregistré, comparativement à celui de 2020, une augmentation de 2,92%, soit 52,433 millions de dinars. Le budget global du ministère s’élève donc à 1,846 milliard de dinars. Pour ce qui est des problèmes endémiques qui minent ce secteur souverain, les points soulevés par le rapport ont à peu près tous été repris par les députés dans leurs interventions respectives au cours du débat. Ils portaient sur la précarité des agriculteurs, la chute inexorable des prix de productions, la profusion des intermédiaires pénalisant et l’agriculteur et le consommateur, la défectuosité des équipements d’irrigation des grandes cultures, la difficulté de stockage des productions abondantes, le retard inexpliqué dans l’attribution des terres domaniales agricoles aux diplômés chômeurs, une corruption généralisée, et, pour finir, le manque de vision de l’Etat à l’endroit de ce secteur stratégique.
Chokri Dhouibi du Bloc démocrate a critiqué justement la mauvaise gestion de la récole des dattes qui entraîne des pertes de ressources importantes à la communauté nationale. La mobilisation des aides pour la récolte et le stockage a encore une fois fait défaut. Un remake des saisons précédentes pour d’autres productions. Hatem Mansi a critiqué, de son côté, l’absence de vision et de politique publique du ministère de l’Agriculture et partant de l’Etat. Il a également déploré qu’à ce jour des habitants de certaines régions manquent d’eau potable, « elles ont soif !» L’élu a également appelé à l’exonération fiscale des exportations agricoles. Il a attiré l’attention de l’exécutif sur le problème de la pollution des mers des régions de Sfax et de Gafsa, menaçant gravement la pêche maritime. Le député du bloc de la Réforme, Hatem Mansi, a proposé la révision du code des gardes forestiers chargés de protéger les forêts et lésés dans leurs droits les plus élémentaires. Quant à Ayachi Zammal du Bloc national, il a pointé du doigt la concurrence déloyale qui cause d’énormes préjudices aux petits agriculteurs. Il a vertement critiqué « les rentiers du secteur ». Halima Hammami de la coalition Al Karama est montée à la charge contre la corruption qui se décline sous différentes formes ; « l’importation des aliments contaminés, pour les vendre, une fois recyclés, aux Tunisiens en portant dangereusement atteinte à leur santé. Des tonnes de grains avariés sont importés », a-t-elle martelé.
L’Etat ne joue pas son rôle
Mohamed Ammar du Bloc démocrate a épinglé, lui, les spéculateurs, ceux qui « contrôlent les marchés de l’alimentaire et des engrais », accusant l’Etat de ne pas jouer son rôle de régulateur : « Votre rôle de contrôle sur les coûts des produits agricoles est absent ». Pour finir, le député a lâché le mot fatidique, devenu incontournable, quel que soit le domaine évoqué, « le secteur est contrôlé par les lobbies ». Qui sont-ils ? Pourquoi ne sont-ils pas nominativement évoqués ? Le Tunisien lambda a l’impression d’assister à un théâtre de fantômes, à chaque fois que cette phrase est lancée.
Plus concrètement, Zouhair Makhlouf a proposé à la ministre d’œuvrer à coordonner davantage avec le ministère du Commerce pour l’optimisation des circuits de distribution des produits agricoles. Dans son intervention, il a énuméré les failles structurelles du secteur qui vont de la formation professionnelle à l’agriculture biologique, en passant par la gestion des eaux pluviales. Le député du Bloc démocrate a relevé ce qu’il considère comme une forte inadéquation entre le budget du ministère et les projets programmés. Imed Khemiri du bloc Ennahdha a soulevé, pour sa part, le problème des travailleuses des champs, appelant à une révision de la législation pour leur garantir plus de droits. Les prix de l’alimentation animale et du fourrage ne sont pas uniformes, a critiqué la députée du PDL, Hager Naïfer, qui a également attiré l’attention de la ministre sur l’inquiétante et illégale déforestation du patrimoine forestier national.
En somme, l’agriculture est un domaine sinistré qui requiert une réelle prise en main de l’Etat avec l’implication des fonds privés. C’est inévitable. Mais la détresse de l’agriculteur tunisien est une tragédie nationale résumée par le député indépendant Adnane Hajji : « L’agriculteur a le sentiment d’avoir été abandonné par l’Etat ». On ajouterait, à son triste sort.
L’agriculture est la colonne vertébrale de la Tunisie, ont clamé nombre d’élus. Or, le secteur, on l’a vu, est au bord de l’asphyxie vit sous perfusion. Il souffre du manque de moyens et de surabondance d’intermédiaires, de spéculateurs aux gros ventres à qui on a laissé, c’est le cas de le dire, le champ libre.