Elle attise la sympathie et l’émerveillement de tout-un-chacun, aussi bien par son courage que par sa détermination, inébranlables. Mue par les principes de l’égalité des chances et convaincue de son mérite, la femme tunisienne ne recule devant aucun obstacle, sociétal soit-il ou économique. Et en dépit des résidus hostiles, persistants, résultant d’une mentalité machiste par excellence, elle n’hésite aucunement à s’imposer, quitte à embrasser un domaine jugé—longtemps voire toujours—comme étant purement masculin.
Parmi les Tunisiennes qui brillent par leur courage et leur volonté de défier les difficultés de la vie, les surpasser même dans le but de vivre dignement, figure une jeune femme, issue de la région de Sfax. Il s’agit de Mlle Baya Ben Younes, dont les photos ont envahi les réseaux sociaux, suscitant admiration et étonnement. En effet, Baya s’affiche en exerçant le métier de son père, décédé depuis deux ans. Cela fait deux ans qu’elle travaille comme cycliste pour subvenir à ses besoins ainsi qu’à ceux de sa maman. « Je suis issue d’une famille modeste dont j’ai été la fille unique. Mon père travaillait comme cycliste. Il louait un garage pour entretien pneumatique. J’ai toujours été gâtée vu que j’étais l’unique progéniture de mes parents. J’ai réussi ma scolarité et mon parcours estudiantin, décrochant en 2012, mon diplôme supérieur d’ingénieur en électromécanique», raconte Baya.
Le chômage forcé !
Jusque-là, tout promettait à la jeune femme un avenir radieux : un diplôme honorable, un cocon familial aussi douillet que protecteur et, certainement, de beaux rêves à réaliser… Néanmoins, accéder au marché de l’emploi, un curriculum vitae consistant à l’appui, n’a pas été une évidence pour elle tout comme pour bon nombre de jeunes diplômés. Baya a tenté sa chance en déposant des demandes d’emploi dans plusieurs institutions et sociétés nationales. Elle a même participé à des concours nationaux dans le seul espoir de décrocher un emploi, de quoi vivre dignement, en vain. «J’ai même travaillé dans un domaine qui ne n’est pas familier car n’ayant aucun point en commun avec ma formation. J’ai passé un an à travailler, donc, dans une société de décoration et d’agencement, à titre informel…», se remémore-t-elle.
Sept mois dans l’impasse…
Le 2 avril 2018, le père de Baya décède, laissant derrière lui une famille à nourrir et deux loyers à payer, à savoir le loyer de la maison qui s’élève à 400 Dt par mois, et le loyer du garage, soit 200 Dt par mois… «Ma mère et moi sommes passées par une période difficile. Nous avions besoin de moyens qui nous faisaient défaut. Nous ne voulions aucunement, poursuit Baya, demander de l’aide à personne, même aux membres de notre famille. Sept mois se sont écoulés non sans difficulté et inquiétude : comment allons-nous faire face à la vie ? De quoi allons-nous gagner notre pain quotidien ? Telles étaient les questions qui nous taraudaient l’esprit jusqu’au jour où ma mère m’avait suggéré d’ouvrir le garage et de l’exploiter comme le faisait mon père ! Pour moi—pour nous— c’était l’unique alternative, ce qui fut ».
Le pied à l’étrier !
Baya a donc retroussé ses manches, rouvert le garage d’entretien pneumatique et entamé une nouvelle étape de sa vie. Elle avait embauché un apprenti qualifié, qui l’avait initiée à ce métier jusque-là méconnu par la jeune femme. Et en dépit des caractéristiques plutôt masculines du métier de cycliste, Baya s’était vite acclimatée au jargon, au matériel ainsi qu’aux étapes du diagnostic.
«En seulement deux mois, j’ai réussi à comprendre et à maîtriser le métier de mon père. Ma journée de travail commençait à 8h pour finir à 18h. Mais une fois rentrée à la maison, je m’adonnais à des recherches pour mieux assimiler les données techniques. J’ai réussi aussi, non sans détermination, à m’imposer dans un domaine réservé à la gent masculine. A vrai dire, poursuit-elle, l’avis de mon entourage était bien mitigé entre des personnes pour qui il est inconcevable pour une fille de travailler comme cycliste et des personnes qui croient en moi et ne ménagent aucun effort pour me soutenir et m’encourager». L’apprenti qui avait initié Baya à l’entretien pneumatique a dû quitter son emploi pour des raisons de proximité. «J’aurais bien aimé qu’il reste surtout qu’il m’est parfois difficile d’assurer l’entretien de certains engins, lesquels nécessitent une plus imposante musculature, comme les camions par exemple», renchérit-elle.
Rouvrir le garage de son père, apprendre un métier nettement moindre à ses qualifications de diplômée du supérieur, défier une mentalité sexiste et s’imposer via son mérite et son sérieux : autant de preuves que Baya a dû réussir pour gagner sa vie dignement et subvenir à ses besoins et à ceux de sa mère. Cela dit, et étant donné la cherté de la vie et l’incapacité budgétaire de Baya à renforcer les équipements de son projet, elle continue à aspirer à un emploi plus sûr, moins fatigant et plus adapté à son potentiel intellectuel. Mais une chose est sûre : la jeune femme ne baissera jamais les rideaux du garage d’entretien pneumatique ! « J’ai appris à aimer ce métier au fil des ans. Quoi qu’il advienne, ce garage restera ouvert aux clients surtout qu’il porte toujours le nom de mon père», confie-t-elle.
Manifestement, Baya est un exemple à suivre, aussi bien par les femmes que par les hommes. Le nombre des jeunes— diplômés ou non—au chômage ne cesse de grimper, aggravant la situation socioéconomique des ménages et enfonçant le clou de la pauvreté. Pourtant, et en dépit de la nécessité, des jeunes réfutent l’idée même de s’adonner à des métiers impliquant un effort physique et autres, mal rémunérés. «Il est temps que les mentalités changent et que les jeunes assument des responsabilités. Personnellement, je suis à la recherche d’un apprenti depuis deux mois, en vain. Pourtant, les chômeurs prennent place dans les cafés et y restent à longueur de journée…J’avoue que j’en suis fortement déçue», avoue-t-elle. Pourtant, il suffit, pour ces jeunes, de passer devant le garage de Baya et de la voir travailler avec ardeur pour en être inspirés !