Dans une ambiance politique marquée par les divergences et l’absence de consensus entre les différents protagonistes, et au cœur d’un contexte national tendu à la lumière des protestations sociales et de la crise sanitaire de plus en plus profonde, le Chef du gouvernement, Hichem Mechichi, sollicite, aujourd’hui, le vote de confiance pour son remaniement ministériel opéré récemment. Parviendra-t-il à obtenir l’aval d’une Assemblée où les rapports de force sont omniprésents ?
Même si la Constitution tunisienne ne stipule pas forcément un vote de confiance aux remaniements ministériels, le locataire de La Kasbah souhaite obtenir l’aval des députés pour valider sa nouvelle composition gouvernementale. En effet, l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) consacre aujourd’hui une plénière au vote de confiance des onze nouveaux membres du gouvernement proposés par Hichem Mechichi, à l’issue d’un remaniement annoncé samedi 16 janvier. Cette plénière se tient en présence des membres concernés, dont les dossiers et une brève présentation seront présentés aux députés avant le début de la plénière. Le vote de confiance est individuel et porte sur chaque nouveau membre et dans le cadre de la mission qui lui revient. Il nécessite l’obtention de la majorité absolue, soit 109 voix.
Dans la limite du temps alloué au débat général lors de cette séance, les députés auront droit à des interventions pour se prononcer sur ce remaniement ministériel. Ensuite, c’est le Chef du gouvernement qui reprendra la parole pour interagir avec les interventions des membres de l’Assemblée.
Après évaluation du rendement du gouvernement et pour assurer une «meilleure efficacité de l’action gouvernementale, notamment dans l’objectif d’opérer les réformes économiques», le Chef du gouvernement a procédé à un remaniement ministériel d’envergure. Une fois approuvés par les députés, ces onze nouveaux ministres feront ainsi partie de l’équipe gouvernementale. Sauf que ce remaniement ne fait pas l’unanimité dans le paysage politique. De nombreux partis et députés ont déjà exprimé leurs réserves quant à ce remaniement, cependant Hichem Mechichi bénéficie toujours du soutien de son «coussin politique», composé essentiellement d’Ennahdha, Qalb Tounès, de Tahya Tounès des blocs de la Réforme nationale et du Bloc national.
D’ailleurs, le mouvement Ennahdha, qui a dès le début appelé avec insistance à un remaniement ministériel, devenu indispensable selon Rached Ghannouchi, a déjà félicité Hichem Mechichi pour sa décision en dépit de quelques réserves compte tenu de certains noms. La députée d’Ennahdha Yamina Zoghlami est allée même jusqu’à dire que son parti votera pour ou contre ces membres seulement si Mechichi renonce à certains noms liés à des soupçons de corruption.
Soupçons de corruption ?
Ce sont aussi ces soupçons de corruption et de conflits d’intérêts autour de certains ministres proposés qui ont été évoqués par le bloc démocratique. Ce groupe parlementaire était le premier à annoncer sa position quant à ce remaniement, affirmant qu’il votera contre. Critiquant le rendement de Hichem Mechichi, notamment en matière de gestion de la crise sanitaire, le député et secrétaire général du Mouvement du peuple, Zouhayer Maghzaoui, a alerté contre des soupçons de conflits d’intérêts contre le ministre de l’Emploi proposé, accusant le Chef du gouvernement d’être «prisonnier de son coussin politique». Rappelons que l’ONG I Watch évoquait, en premier, des soupçons de corruption et de conflit d’intérêts autour des ministres proposés pour le ministère de l’Énergie et des Mines et celui de l’Emploi et de la Formation professionnelle.
Cependant, après avoir consulté les instances de contrôle administratif et des instances constitutionnelles, le Chef du gouvernement semble être bien droit dans ses bottes et disposé à défendre bec et ongles ses nouveaux ministres. Parviendra-t-il à convaincre les députés de l’intégrité de ses nouveaux membres ? Réponse aujourd’hui. Mais au vu des dernières positions des députés, certains ministres risquent de ne pas collecter les 109 voix nécessaires, ce qui nous mènerait à un précédent jamais observé en Tunisie. Ainsi, le nouveau gouvernement Mechichi sera amputé, ce qui mettrait le Chef du gouvernement dans une position politique fragilisée. Les spécialistes en droit constitutionnel évoquent, en effet, un précédent surtout que certains députés insistent toujours sur ces soupçons de conflit d’intérêts et de corruption autour de certains membres proposés, l’oral de Hichem Mechichi sera donc crucial.
D’ailleurs, sur fond de ces soupçons de corruption, le parti Tahya Tounès a choisi de mener sa propre enquête pour mettre fin au doute. Dans une interview accordée à La Presse, sa directrice exécutive, Sonia Ben Cheikh, affirmait que son parti ne s’informe pas sur Facebook et qu’il est en train d’enquêter sur certains noms avant de voter pour ou contre ce remaniement.
Soutien inconditionnel de Qalb Tounès
Pour sa part, le parti Qalb Tounès a préféré ignorer la question de ces soupçons de corruption, en montrant son soutien inconditionnel au Chef du gouvernement. Le président du bloc de Qalb Tounès à l’Assemblée des représentants du peuple, Oussama Khelifi, ne cesse de répéter à travers des déclarations médiatiques que son parti soutient le remaniement ministériel effectué par Hichem Mechichi et on peut comprendre que forcément il votera en faveur de ces nouveaux membres. Au fait, Qalb Tounès approuve la question de la politisation du gouvernement Mechichi, car cela, affirme Khelifi, lui permettra d’aller dans le sens des programmes des réformes sociales et économiques.
Fidèles à ses positions, le Parti destourien libre (PDL) s’est montré contre tout remaniement ministériel, d’ailleurs à quelques heures de cette plénière, le parti de Abir Moussi annonce même avoir l’intention de solliciter une motion de censure contre le gouvernement Mechichi.
Ce remaniement intervient aussi sur fond d’une tension politique entre Carthage et La Kasbah. Les canaux de communication entre les deux présidences étant quasiment coupées, le Président de la République avait même annoncé qu’il n’était pas au courant de ce remaniement. Certains observateurs évoquent aussi le scénario où même s’ils obtiennent l’aval des députés, le chef de l’Etat pourrait s’abstenir de convoquer ces membres gouvernementaux liés à des soupçons de corruption à prêter serment.
En tout cas, le Chef du gouvernement, Hichem Mechcihi, livre aujourd’hui un grand oral devant les députés pour les convaincre de sa nouvelle équipe gouvernementale. Y parviendra-t-il ? S’il obtient la «bénédiction» de son «coussin politique», le locataire de La Kasbah s’assurera du passage de sa nouvelle composition gouvernementale.
Samedi 16 janvier, le Chef du gouvernement, Hichem Mechcihi, avait annoncé un remaniement ministériel d’envergure. Ce remaniement a touché onze portefeuilles ministériels, dont la Justice, l’Intérieur et les Affaires culturelles, trois ministères jusque-là dirigés par intérim. Le Chef du gouvernement a également décidé de changer le ministre de la Santé Faouzi Mehdi, dont le rendement et notamment la gestion de la crise sanitaire ne semble pas plaire au locataire de La Kasbah. Ainsi, le doyen de la faculté de Médecine de Sousse, le Pr Hédi Khairi, a été proposé pour prendre les commandes de la Santé.
Ce remaniement a également supprimé le poste de secrétaire d’Etat chargé des Finances ainsi que le ministère des Instances constitutionnelles et de la relation avec la société civile. Il conserve la même ceinture politique et parlementaire qui soutient le gouvernement, et aura pour objectif d’opérer les réformes économiques nécessaires.