La dernière intervention de Kaïs Saïed devant les cadres sécuritaires, «à la face même» du chef du gouvernement et du président du Parlement ne laisse plus aucun doute: le lien est définitivement rompu entre le chef de l’Etat et ses vis-à-vis de la République. Le ton et la manière y perdaient toute retenue. Pratiquement, des invectives à présent. Que craindre à la prochaine ? Qu’on supprime le protocole ?Qu’on en vienne, directement, «aux mains»?.
L’excès, à vrai dire, est partagé. Kaïs Saïed redouble à chaque fois de colère, s’en prend ouvertement à Ghannouchi et à Mechichi, aux partis et aux élus, mais ceux-là, qu’on le sache bien, ne restent pas sans réagir. Ils affûtent discrètement leur coup. Ils se rappellent quelque six années plus tard au « bon souvenir» de la Cour constitutionnelle. Leur intention est de s’en servir pour «déchoir le président rebelle». La guerre des institutions dérive donc, s’enflamme, déserte les convenances, hausse malencontreusement les voix , mais nul n’y est innocent. Ce n’est qu’une bataille de pouvoirs et d’ego. Kaïs Saïed est populiste, veut changer la Constitution. Ghannouchi et Ennahdha sentent le danger, veillent au grain. Mechichi s’accroche pour sa part. Les députés, eux, savent ce qu’ils risquent en cas de nouvelles élections. La conséquence est générale. Le pays entier s’en ressent. Des gouvernants, qui se disputent le pouvoir au lieu de se soucier du bien commun, ne laissent finalement rien «à l’abri». L’économie périclite voilà dix ans, trois présidences, et huit gouvernements. Et il a suffi d’une crise épidémique pour qu’éducation, mœurs et culture dévoilent des limites méconnues. Le sport lui-même est au plus bas. Le spectacle y est sinistre avec des stades vides, de subites combines, des résultats douteux. Tout régresse en fait, et dans le sillage (surtout !) la confiance des populations. On peut espérer des solutions à tout aujourd’hui, à la gouvernance irresponsable, à l’endettement qui vient à échéance , aux problèmes du corona, mais on ne parviendra vraiment à rien sans la confiance des populations. Le pire, aujourd’hui, dans la Tunisie en crise, c’est la confiance en moins. Les responsables appellent à la solidarité collective, proposent une caisse d’entraide nationale, les ministres et les médecins se plaignent de l’imprudence et de l’indifférence des citoyens face au danger du corona. La vérité est que ceux-ci ont enduré tant de mensonges déjà, supporté nombre de déceptions, qu’ils ne croient plus en rien, ni en personne. Simple, ils ne sont plus confiants.