Des dérapages, aussi cruels soient-ils, ont participé à donner une certaine insipidité au paysage politique, provoquant ainsi une profonde désaffection des Tunisiens pour un grand nombre de partis.
On ne saurait suffisamment l’exprimer, mais certains sont entrés dans une phase de déni et de rétraction, surtout lorsqu’une grande majorité de l’opinion publique les considère à l’origine de la crise, non seulement politique ayant marqué la décennie écoulée, mais aussi sociale, voire humaine. Le malaise ressenti fait écho à une déformation qui tient son nom et sa raison d’être de la tendance chez beaucoup de Tunisiens à se considérer comme étant trompés, voire trahis.
Au fait, cela ne peut être qu’une appréciation inévitable à l’égard de certains partis politiques qui, en l’absence des dispositions requises, ne peuvent plus aujourd’hui préserver, encore moins défendre le statut auquel ils ont pu accéder au lendemain de la Révolution.
Il faut dire qu’au fil des années, une image brouillée s’est progressivement imposée sur la scène politique et dans un environnement qui a pris la mauvaise habitude d’héberger des parties emblématiques. Le mal a commencé à se faire sentir au moment où l’action politique a été dépourvue de toute morale. Au moment où l’égarement a commencé à inspirer autant le sens de l’irresponsabilité que le manquement aux devoirs. D’ailleurs, il ne venait que rarement à l’esprit des acteurs politiques de s’interroger sur les exigences et les impératifs auxquels faisait face le pays. Ils avaient naturellement le droit de se tromper dans une phase de reconstruction et de rétablissement des valeurs difficile et sensible, mais ils avaient aussi le devoir de se comporter dignement. Surtout en agissant dans un monde qui leur a tout donné, ou presque, sans que la plupart ne le méritent vraiment. Dans un monde où les responsables, les vrais, sont devenus minoritaires, ou encore marginalisés.
Il est devenu ainsi quasiment difficile de faire comprendre aux défaillants qui, d’ailleurs n’ont toujours aucune envie de comprendre, ce qui était autorisé et ce qui ne l’était pas. De cela avait résulté une confusion totale et sans précédent dans les droits et les devoirs. Résultat: licite et illicite se confondaient et avaient, à défaut de séparation, des degrés de nuances très proches les unes des autres.
Avant le 25-Juillet, le paysage politique était stigmatisé par le manque d’inspiration, d’initiative et d’illumination, par l’absence d’intuition et d’anticipation, par le peu d’emprise et d’influence sur les problèmes du pays, par l’émanation d’un système et d’un mode d’emploi infertiles et peu créatifs. Allant même jusqu’à oublier carrément la réalité et les besoins quotidiens du citoyen, tels qu’ils sont illustrés, notamment, à travers une détérioration sans précédent de son pouvoir d’achat.
Et si on tient encore à parler de quelques éclaircies dans la grisaille de toute une décennie, on ne doit pas oublier qu’il y a des moments et des événements qui ne sont qu’une parenthèse dans la vie des nations. Il serait bon, alors, de reconnaître que faute de reconversion et d’intégration réussies, beaucoup d’hommes politiques n’ont pu accéder à un statut providentiel. Les personnalités promises ne pouvaient totalement y prétendre et n’ont jamais pu passer pour des réformateurs, comme ont pu l’être ceux qui avaient écrit l’histoire de la Tunisie.