Deuxième augmentation des prix des hydrocarbures en un mois : Pas à pas vers les prix réels ?

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Encore une fois, le ministère de l’Industrie, des Mines et de l’Energie a procédé à un réajustement des prix de vente des carburants à la pompe. Il s’agit de la deuxième augmentation en un mois, une situation qui commence à provoquer le désarroi des Tunisiens, alors que les prix du baril de pétrole poursuivent leur hausse sous l’effet du conflit ukrainien.

Le ministère de l’Industrie, des Mines et de l’Energie et le ministère du Commerce et du Développement des exportations ont annoncé une nouvelle hausse des prix des carburants. Les nouveaux tarifs entrés en vigueur à partir du 1er mars concernent notamment le «Sans plomb», augmentation de 65 millimes (nouveau prix : 2.220 DT), le «Gasoil sans soufre», augmentation de 55 millimes (nouveau prix : 1915 DT), le «Gasoil», augmentation de 50 millimes (nouveau prix 1.705 DT), le «Sans plomb super», augmentation de 110 millimes (nouveau prix : 2.360 DT), «gasoil sans soufre super», augmentation de 100 millimes (nouveau prix : 2100 DT). Selon la même source, cet ajustement ne concerne pas les bouteilles de gaz de pétrole liquéfiées destinées à l’usage domestique et le pétrole d’éclairage domestique, dont les prix restent inchangés.

Les deux départements justifient l’ajustement des tarifs par la hausse du prix mondial du pétrole brut ayant atteint des niveaux records, dépassant le seuil des 100 dollars le baril, à cause des derniers développements sur la scène internationale. Sauf que cette explication ne résume pas à elle seule la situation. Il faut rappeler qu’il s’agit de la deuxième augmentation en un mois, un fait rarissime en Tunisie et qui confirme l’intention du gouvernement de lever définitivement mais progressivement la compensation des énergies. En effet, une révision des prix de vente de certains produits pétroliers avait été décidée par le ministère de l’Industrie, de l’Energie et des Mines le 1er février dernier.

Il y a lieu de préciser que le ministère justifiait également cet ajustement des prix des carburants par la hausse du cours mondial du pétrole brut. L’ajustement automatique des prix des hydrocarbures (à la hausse ou à la baisse) est fixé à 3% au lieu de 5% sur toute l’année 2022, affirmant que l’Etat a mis en place des politiques visant à atténuer le déficit énergétique.

Coup dur pour le pouvoir d’achat

En Tunisie, avoir sa propre voiture est devenu un véritable luxe que tout le monde ne peut s’offrir. C’est en tout cas ce que pensent actuellement les Tunisiens alors que les produits de base connaissent des augmentations sans précédent.

D’ailleurs, Lotfi Riahi, président de l’Organisation tunisienne pour informer le consommateur (Otic), a assuré que «ces augmentations pèsent lourdement sur le pouvoir d’achat du citoyen».

Pour lui, déjà le Tunisien fait face à la cherté de la vie alors que les salaires ne peuvent plus répondre aux besoins quotidiens. «La Tunisie connaît une situation économique extrêmement difficile, et c’est notamment le citoyen qui est sanctionné par ces conditions. Nous appelons le gouvernement à annoncer de nouveaux décrets pour alléger cette pression et préserver son pouvoir d’achat», a-t-il ajouté.

Si cette augmentation vient accentuer en effet la crise sociale que connaît le pays, l’effet entraînement pourrait amplifier ses conséquences. Le secteur de transport semble être le plus touché par une telle décision, ce qui pourrait conduire à moyen terme à de nouvelles augmentations des produits de consommation.

D’ailleurs, c’est dans ce sens que le Parti destourien libre (PDL) a prédit «une explosion sociale mettant en garde contre la dégradation de la situation socioéconomique dans le pays».

Dans un communiqué rendu public hier, mardi, le parti souligne la nécessité de tenir compte des priorités économiques et financières du pays ainsi que des répercussions de la situation générale dans le monde sur celle de la Tunisie, ce qui pourrait être à l’origine d’une «explosion sociale».

Le FMI impliqué ?

Si le Fonds monétaire international a finalisé, lors de la semaine dernière, une visite virtuelle d’une semaine en Tunisie, où il a rencontré l’ensemble des acteurs et responsables concernés par les négociations avec la Tunisie, le gouvernement juge positifs ces premiers contacts.

Néanmoins, la Tunisie ne bénéficie plus de marge de manœuvre dans ces négociations avec ce bailleur de fonds qui pose déjà ses conditions depuis plusieurs années. Aujourd’hui, nous sommes dans une impasse et la Tunisie ne pourra en aucun cas retarder les réformes qu’exige le FMI avant le décaissement de tout financement. Or, l’Etat tunisien avait établi son budget pour l’année courante sur la base d’une hypothèse bien précise : parvenir à un accord avec le FMI avant la fin du mois de mars.

Parmi les réformes demandées par cette institution financière figure la levée ou du moins la rationalisation parfaite de la subvention, notamment de l’énergie.  De ce fait, dans le cadre des préparatifs de la conclusion d’un accord entre la Tunisie et le Fonds monétaire international, le gouvernement Bouden avait proposé à l’Ugtt une batterie de mesures dont notamment la levée progressive des subventions sur les carburants pour atteindre les prix réels d’ici 2026, un scénario directement rejeté par la centrale syndicale au vu de ses conséquences sociales.

 

 


Houcine Dimassi, économiste et ex-ministre des Finances : «Une obligation aux répercussions socioéconomiques graves»

«Cette augmentation entraînera de nouvelles charges pour le citoyen, dont le pouvoir d’achat ne cesse de se détériorer, d’autant plus que tous les moyens de transport (taxis, louages, taxis collectifs…), y compris les sociétés de transport public, se retrouveront dans l’obligation d’augmenter leurs tarifs».

L’économiste et ex-ministre des Finances, Houcine Dimassi, a estimé que la dernière augmentation des prix du carburant décidée, lundi, est expliquée par la hausse excessive des prix du pétrole à l’échelle mondiale, qui a dépassé le seuil des 100 dollars/baril, surtout avec les derniers évènements en rapport avec le conflit russo-ukrainien. «Aujourd’hui, le gouvernement est obligé de réviser les prix du carburant à la hausse, afin d’alléger le fardeau de la compensation des hydrocarbures, qui représente environ 40% de l’enveloppe globale allouée à la subvention», a-t-il précisé dans une déclaration à l’agence TAP.

Et de rappeler que toute augmentation de 1 dollar/baril engendre des besoins supplémentaires de financement de l’ordre de 140 millions de dinars (MD) annuellement.  «Si le prix moyen du baril, pour l’année 2022, se maintient au niveau de 100 dollars, nous risquons d’avoir des charges supplémentaires dans notre budget dépassant les 4 milliards de dinars, étant donné que notre budget d’Etat 2022 a été basé sur l’hypothèse d’un prix moyen du baril de l’ordre de 70 dollars», a expliqué l’économiste. Et d’avertir: «Bien que cette augmentation se présente comme une obligation, elle aura des répercussions négatives sur les aspects économique et social, d’autant plus qu’on s’attend à des augmentations des prix des hydrocarbures successives 4 ou 5 fois cette année».

Sur le volet économique, «toute hausse des prix du carburant entraînera, obligatoirement, un renchérissement des coûts de production pour les entreprises, ce qui impose une augmentation des prix des produits. Cette situation affectera, éventuellement, leur compétitivité surtout pour les sociétés exportatrices».

Au niveau macro-économique, «ces conditions peuvent être l’origine d’une baisse des exportations, ce qui freinera, par conséquence, la relance économique».

Sur le volet social, «cette augmentation entraînera de nouvelles charges pour le citoyen, dont le pouvoir d’achat ne cesse de se détériorer, d’autant plus que tous les moyens de transport (taxis, louages, taxis collectifs…), y compris les sociétés de transport public, se retrouveront dans l’obligation d’augmenter leurs tarifs».


 

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