Nos artisans s’exposent à Milan : Ces témoins du métier, parrains de l’identité

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De notre envoyé spécial à Milan, Kamel FERCHICHI

La Tunisie, invitée d’honneur à «L’artigiano in fiera», continue à drainer la foule et défrayer la chronique. Soit un privilège à plus d’un titre et une opportunité qui lui ouvre grand la porte de nouveaux marchés.

«Il était une fois «l’artigiano in fiera», au début des années 90, où l’artisanat tunisien fut timidement présent et nos exposants ont eu du mal à trouver leur compte. 27 ans après, l’on peut dire, aujourd’hui, qu’on a relevé le défi et gagné le pari», se souvient, encore, Salah Amamou, président de la Fédération nationale de l’artisanat (Fena), en marge de la Foire internationale de l’artisan, à Milan.   

Un privilège à plus d’un titre 

A l’époque, l’aventure était à ses débuts et le secteur n’a pas été, semble-t-il, à la hauteur d’un événement pareil qui arrive, à nos jours, à mobiliser les artisans du monde entier. A cette édition, la 27e qui se déroule actuellement au grand parc des expositions de la Lombardie, une célèbre région milanaise au nord d’Italie, près de 2.600 exposants dressent leurs stands, avec un décor patrimonial qui tient à leurs pays d’origine. La Tunisie, invitée d’honneur à «l’artigiano in fiera», continue à drainer la foule et défrayer la chronique. Ses maîtres artisans, au nombre de 100, étalent leurs produits et leurs objets d’art sur une superficie record de 1.000 m2. Un privilège à plus d’un titre et une opportunité qui leur ouvre grand la porte de nouveaux marchés.   

Cet atout qui nous a été dédié, cette année, est de nature, certes, à servir nos intérêts professionnels et commerciaux. La qualité et la promotion se posent, à cette ère de forte consommation, en indicateurs déterminants de rendement et de compétitivité. «Dans le droit fil de nos participations consécutives dans plusieurs foires du monde, celle de Milan n’a pas d’égale, dans la mesure où l’artisanat tunisien rivalise, avec succès, avec celui chinois, marocain, égyptien, indien et devance bien d’autres pays supposés en tête de peloton», s’est félicité, impressionné, M. Amamou, vêtu de sa Jebba typiquement tunisienne. Et d’ajouter que l’espace réservé à la Tunisie, réduit autrefois, vient d’être élargi coup sur coup. Ainsi, nos stands, étoffés et attrayants, demeurent une belle vitrine pour nos produits du terroir, mais aussi l’interface des rencontres d’affaires et de conclusion de marchés.       

Etre toujours au rendez-vous, mettant le cap sur l’international, s’acquiert à force d’exercice, de créativité et d’innovation. «Depuis 2015, la Fena, de par son rôle syndical de premier plan, a fait de son mieux pour que notre artisanat soit omniprésent dans les différents salons et foires. On a déjà fait le tour de la France et de toutes les manifestations internationales, alors que le secteur aurait dû être la locomotive du développement comme il l’était à l’aube de l’indépendance», défend le ministre du Tourisme, Moez Belhassine sur un ton confiant et rassurant. Faisant le tour de nos stands, il s’est arrêté, à maintes fois, sur le potentiel professionnel dont dispose l’artisanat tunisien et l’esprit créatif et novateur de nos artisans.   

L’exemple d’un potier autodidacte

Vétéran confirmé dans son domaine, Bechir Ben Khalfa, un des plus anciens potiers de Nabeul, a à son actif une expérience professionnelle de plus de 60 ans. L’homme était passionné de son métier et l’est encore : «Faute de moyens, je n’ai jamais mis les pieds à l’école. J’ai appris à façonner l’argile, la pétrir et la manier pour faire des pots, des assiettes et d’autres ustensiles en terre cuite. C’est mon métier auquel je me suis adonné, dès mon jeune âge, sans l’avoir hérité de personne», nous raconte-t-il, fier. Am Béchir est un potier autodidacte.

En plein atelier vivant, en train de manipuler une pâte d’argile faite au moule, ce vieux potier, fin connaisseur du secteur, tente ses visiteurs, en leur offrant des bibelots et des figurines, en guise de cadeaux. Il a bien parlé de son métier et leur a démontré l’art et la manière de travailler la matière et la modeler à géométrie variable. L’argile, sa matière première naturelle, lui provient de Tabarka, des nord-ouest de la Tunisie.

Et parfois il l’importe du Portugal, pour ses propriétés exceptionnelles.     

Bref, Am Bechir, ce vieux routier de la poterie dans sa région, a su faire sa promotion et présenter, sur le tas, tout un secteur en quête de nouveaux marchés. «Dans mon parcours, j’ai fait le tour de plusieurs foires, où j’ai conclu pas mal de marchés qui m’ont aidé à commercialiser mes produits. Grâce à quoi, j’ai bien gagné ma vie, ouvert un atelier et fait employer nombre d’apprentis», révèle-t-il. 60 ans déjà, son métier n’a pas pris une ride, d’autant qu’il évolue au fil du temps et se transmet de génération en génération.           

Justement, Ben Khalfa avait inoculé sa passion à ses deux fils, devenus, eux aussi, deux potiers-céramistes. Tel père, tels fils, dit-on ! D’ailleurs, ils sont présents à la foire de l’artisan à Milan, où chacun d’eux dispose de son propre pavillon. «Je suis né dans une fabrique de poterie à Nabeul, où j’ai tout appris de mon père. Tout petit, j’ai commencé par l’aider dans son atelier, tout en poursuivant mes études secondaires jusqu’au bac. Puis, j’aurais dû, alors, rejoindre la formation professionnelle pour me spécialiser dans l’art de la céramique, une filière complémentaire à la poterie», ainsi se présente son fils Ahmed. Pour lui, la poterie demeure une économie familiale, soit leur principale source de revenu.

Ces objets qui plaisent aux visiteurs !   

Sur les pas de son père, ce jeune céramiste se fraie un chemin vers des marchés européens ; à savoir en Italie, en France et en Allemagne: «On est là pour passer des commandes et créer des marchés. D’ailleurs, on travaille pour l’exportation», affirme-t-il. Son frère Brahim, lui aussi potier céramiste, a à son actif plusieurs participations à des manifestations artisanales dont «l’artigiano in fiera», à Milan. Pas si loin de son stand, Jilani Zeriâa, originaire de Houmet Souk à Djerba, au sud tunisien, semble s’occuper d’un métier pas comme les autres. «J’ai créé un atelier au sous-sol, où je valorise tout type de déchets solides, les recycle et les rend utiles, afin de préserver l’environnement et contribuer, un tant soit peu, à sa durabilité», nous explique-t-il, passant en revue tous les objets qu’il a déjà récupérés de la nature pour les vendre, en réclame, sous forme d’autres objets et bibelots décoratifs que l’on peut offrir en cadeau. Soit de vieilles clés, plumes de volailles, abaisse-langues, bois de palmier ou d’olivier et bien d’autres déchets recyclables. Chez Jilani, rien ne se jette, tout se transforme. Et ce n’est pas tout, cet artisan exerce également la peinture sur divers supports (miroirs, toile..). Ses petits tableaux ont dû plaire aux visiteurs.

Trois difficultés qui handicapent !

Certes, l’artisanat tunisien a ses atouts et privilèges, mais il demeure sans grande valeur ajoutée qui l’érige réellement en secteur porteur. Ceci étant, bien qu’il emploie plus de 350 mille artisans et artisanes et contribue à hauteur de 4,5% au PIB.

Et pourtant, professionnels et commerçants sont unanimes que ce secteur à fort potentiel économique et touristique est encore en difficulté. Alors qu’il aurait dû être une véritable locomotive du développement, comme le soulignait Salah Amamou, président de la Fena.

«Trois difficultés majeures que l’on doit, du moins, relever pour avancer : la formation, l’approvisionnement en matières premières et la commercialisation», fait-il savoir.       

Cet artisan syndicaliste a encore enfoncé le clou, déclarant que sa fédération avait proposé au ministère de tutelle des recommandations visant la restructuration et le développement du secteur. «On avait suggéré, lors d’un Conseil ministériel réuni en février 2016, la création d’un mécanisme spécifique de formation des artisans sous l’égide de l’Office national de l’artisanat (ONA) et d’une structure d’approvisionnement en matières premières et de commercialisation, et ce, dans le cadre d’un partenariat public-privé», rappelle M. Amamou.

Selon lui, si toutes ces recommandations tiennent la route, l’artisanat tunisien retrouvera son éclat.

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