Trois questions à Samir Meddeb, président de l’association Racines et Développement Durable:  “Nos pratiques de consommation ne sont pas durables”

Rencontré en marge de la Conférence nationale tenue récemment à Tunis autour du thème du gaspillage alimentaire, Samir Meddeb, président de RDD, l’association organisatrice de l’événement apporte son éclairage sur un phénomène qui n’a cessé de prendre de l’ampleur en Tunisie.


L’événement d’aujourd’hui aborde un sujet assez particulier qui est le gaspillage alimentaire. Pourquoi ce choix de cette thématique qui a aussi une portée économique?

La thématique d’aujourd’hui s’intègre dans le cadre d’un programme que nous sommes en train de gérer au sein de notre association Racines et Développement Durable, et ce, dans le cadre d’un programme méditerranéen qui s’appelle SwitchMED. Comme il a été lors de la conférence, switch veut dire changer. C’est, en effet,  un programme dont l’objectif essentiel consiste à changer les comportements, en vue de faire de nos modes de consommation et de production des pratiques  plus durables et plus inclusives. Car  la quasi-totalité de nos pratiques de consommation et de production dans les pays méditerranéens et dans le monde, y compris la Tunisie, ne sont malheureusement pas durables. Ces pratiques nous conduisent  aujourd’hui à dépasser les capacités de nos milieux et de nos écosystèmes et les limites de renouvellement de nos écosystèmes. Ce qui nuit à la pérennité de ce capital naturel et par conséquent aux activités socioéconomiques qui sont en relation avec ce capital naturel.

Deux thématiques ont été retenues dans le cadre de ce programme SwitchMED. La première, c’est celle de l’économie bleue. Elle a été traitée la semaine dernière. Et la deuxième est celle du gaspillage alimentaire que nous traitons aujourd’hui. Mais les conférences ne sont qu’une composante du projet. Parce que dans les projets que nous gérons au sein de  RDD, il y a des composantes antérieures à la conférence qui sont des études, des états des lieux et  des entretiens, dont les résultats doivent être présentés à la conférence, pour qu’ensuite ces résultats soient débattus, enrichis lors  des ateliers de concertation. L’objectif est  de recueillir tout ce qui va se dégager de ces études et ateliers pour les mettre dans le cadre de ce que nous appelons une note stratégique politique, en vue de la diffuser et de la restituer auprès des acteurs politiques, socioéconomiques, de la société civile, des universitaires et autres. Notre but est de créer un partage commun,  une synergie commune qui favoriserait l’élaboration d’une vision commune, d’une manière de faire commune et de démarches communes. Nous souhaitons  sortir un peu de ces approches sectorielles et individuelles qui nous font perdre malheureusement jusqu’à présent beaucoup d’efforts. Nous finirons notre projet par l’élaboration de ce qui est appelé des fiches projets bancables en vue d’en faire des actions pilotes. 

On parle de gaspillage alimentaire en Tunisie, en même temps, certaines catégories sociales  peinent à accéder à la nourriture, c’est contradictoire…

Vous avez utilisé le mot magique à mon sens, c’est la contradiction. On vit une opposition de situation assez remarquable qui devient à la limite caricaturale dans un contexte où l’écologie est en crise, les ressources naturelles en crise, l’économie en difficulté et où la société est également en difficulté et on se permet de gaspiller. Et ce qui est encore beaucoup plus paradoxal, c’est ce que j’ai qualifié dans mon intervention de décalage. Le gaspillage alimentaire est une illustration parfaite du décalage qui existe aujourd’hui entre l’humain et son environnement. Lorsque je parle d’environnement, c’est l’environnement dans le sens le plus global du terme. Ce n’est pas l’écologie uniquement. Ce décalage au niveau de sa dimension caricaturale, par exemple, se manifeste au niveau du produit qui est le plus gaspillé aujourd’hui en Tunisie: les céréales, c’est-à-dire le pain et les produits dérivés, pâtes et autres. Il y a le fameux chiffre qui a été avancé il y a quelques années à propos du nombre de baguettes ou de pains qui sont jetés tous les jours, qui va jusqu’à un million de pains. Aussi, les produits céréaliers et dérivés  figurent parmi les produits les plus gaspillés en Tunisie, loin derrière les légumes, les fruits et les produits laitiers.

Alors que les céréales sont des produits en grande partie importés. On s’écarte de plus en plus de notre autonomie alimentaire ou de notre capacité à produire ce dont nous avons besoin au niveau des céréales. Et de plus en plus, nous importons des quantités extrêmement importantes et nous subissons les aléas du marché des matières premières, etc. Avec tout ce que cela implique comme  répercussions en termes de   gestion du budget de l’Etat. Pis, ce produit que nous importons, nous le subventionnons et, in fine, nous le gaspillons. Donc il y a un sérieux problème qui nous incite à réfléchir à des solutions.

Par le passé, le Tunisien n’était pas un grand gaspilleur. Pourquoi son comportement a changé ? Quelles sont les recommandations proposées dans le cadre de ce projet visant  à lutter  contre le gaspillage alimentaire ?

Parmi les recommandations formulées, il y a celles à caractère politique qui incitent à mettre en place des stratégies, d’autres recommandations à caractère juridique qui appellent à mettre en place un texte de loi ou un cadre juridique, des incitations fiscales qui appellent à inciter, à pénaliser ou à encourager certaines pratiques. Mais je pense que le volet le plus important sur lequel on sera amené à travailler, si nous voulons réellement contrecarrer ce phénomène ou le maîtriser, c’est bien le comportement et la dimension culturelle.

L’enjeu est d’essayer de comprendre pourquoi nous gaspillons, pourquoi nous évoluons vers une dynamique de gaspillage depuis maintenant quelques années. Qu’est-ce qui a changé au niveau du comportement du Tunisien au cours de cette période? Pourquoi son attitude par rapport au pain a changé?  Je fais partie personnellement d’une génération qui, lorsqu’une personne trouve un morceau de pain, elle le prend, l’embrasse et fait tout le rituel nécessaire, et le met dans un petit coin. Cela veut dire que tous ces produits alimentaires avaient une certaine valeur.

Si aujourd’hui, nous les gaspillons, c’est qu’ils ont perdu de leur valeur. Pourquoi ont-ils perdu de leur valeur ? Il y a un sacré travail, à mon sens, à mener dans ce sens pour commencer à trouver des pistes de solutions dans l’avenir.

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