
Alors que la campagne électorale des législatives du 6 octobre se poursuit en toute discrétion et sans intérêt médiatique ni engouement, les Tunisiens semblent être mal informés des différents programmes des listes candidates.
Bien que l’enjeu soit extrêmement important, car à la lumière de l’actuel régime politique tunisien, le parlement et le gouvernement centralisent, ou presque, le pouvoir, les électeurs potentiels n’accordent pas, comme le confirment les observateurs, un grand intérêt à cette campagne, mais ils auront à choisir, le jour du scrutin, entre des listes partisanes, indépendantes ou d’autres de coalition. Entre ces différentes catégories, à qui l’électeur tunisien devra donner sa voix? Les résultats du premier tour de la présidentielle anticipée marqués par un échec cuisant des représentants de ce qu’on appelle le système vont-ils orienter ses choix? Les listes indépendantes, qui ont remporté les élections municipales et qui promettent un air de renouveau en matière de gouvernance et qui se présentent comme une alternative aux partis politiques jouissent-elles réellement d’une indépendance concrète ? Tant de questions qui restent sans réponse.
La campagne électorale des législatives a démarré, conformément au calendrier électoral, le 14 septembre dernier. Voilà dix jours de campagne qui s’achèvent, les programmes électoraux et la vision pour la prochaine étape des différentes listes électorales ne semblent pas être au centre d’intérêt des médias, ni des électeurs, parfois on se demande si on était bien au cœur d’une campagne électorale. Ce fait s’explique notamment par l’impact de l’élection présidentielle sur la campagne pour les élections législatives, en particulier pour les partis qui se font concurrence au niveau présidentiel et législatif. En effet, bien que la campagne électorale présidentielle ait fait l’objet d’un engouement médiatique et citoyen assez considérable, l’actuelle campagne s’avère être timide, et parfois, même silencieuse.
L’enjeu est de taille
Pourtant l’enjeu est de taille, élire les membres d’un nouveau parlement dont la tâche n’est guère facile : donner sa confiance au prochain gouvernement, poursuivre la concrétisation du processus électoral et notamment installer les instances constitutionnelles, la Cour constitutionnelle en particulier. En effet, en rupture fondamentale avec le régime tunisien d’avant 2011 caractérisé par un pouvoir législatif faible et sous le contrôle de l’exécutif, la Constitution place le pouvoir législatif au centre de l’architecture institutionnelle démocratique, qui peut même destituer le président de la République en cas de «violation grave de la Constitution». Tout cela pour dire que les électeurs tunisiens doivent être conscients de l’importance de l’enjeu politique de ces Législatives, d’autant plus que la composition du nouveau parlement tracera les grandes lignes du nouveau paysage politique tunisien, de l’équipe gouvernementale et même des choix politiques à venir. En tout cas, le nouveau parlement sera au cœur des mécanismes politiques, c’est pour cela que les Tunisiens doivent choisir leurs représentants sur la base de leurs programmes, plus que n’importe quel autre facteur.
Mais l’opération s’annonce être compliquée au vu du nombre important des listes en lice pour ces élections. En effet, 1.572 listes se sont présentées dans toutes les circonscriptions électorales, en Tunisie et ailleurs, et qui sont au nombre de 33 circonscriptions. Ainsi, 15.737 candidats seront en lice pour siéger au sein du prochain parlement, composé, notons-le, de 217 sièges.
Ces listes comprennent 163 listes de coalition, 687 listes partisanes, et notamment 722 listes indépendantes. La circonscription électorale de Sidi Bouzid a connu le nombre le plus élevé de candidats, 75 listes, suivie de la circonscription électorale de Gafsa, 70 listes. La circonscription électorale d’Allemagne a enregistré le nombre le moins important avec 18 listes. Par ailleurs, 50 listes se sont portées candidates dans la circonscription électorale de Tunis 1 et 60 listes dans celle de Tunis II. Ces chiffres ne sont pas loin de ceux enregistrés en 2014, dans la mesure où quelque 1500 listes se sont présentées aux législatives. Sauf que pour le prochain rendez-vous électoral on compte plus de listes indépendantes que de listes partisanes, contrairement à 2014, lorsque les listes partisanes s’élevaient à 910, contre 472 listes indépendantes.
Pourquoi plus de listes indépendantes ?
L’essor enregistré au niveau des listes indépendantes qui se sont présentées aux Législatives s’expliquent par leur triomphe pendant les élections municipales de 2018. En effet, selon les résultats définitifs du scrutin municipal du 6 mai 2018, les listes indépendantes avaient raflé un tiers des sièges. Parmi les suffrages exprimés, les listes indépendantes, émanant notamment de la société civile, avaient réalisé une percée en raflant un total de 32,9 % des sièges. Elles ont mis sévèrement à mal l’hégémonie qu’exerçaient depuis 2014 les principaux partis politiques, à savoir Ennahdha et Nida Tounès.
Ces résultats semblent avoir influencé, en effet, la composition des listes électorales qui se sont présentées pour les Législatives, de manière à ce que plusieurs acteurs portent l’étendard des indépendants pour entrer dans la course vers Le Bardo.
Mais pour qui l’électeur tunisien doit-il faire confiance ? A des listes partisanes qui représentent l’offre politique déjà existante et qui ne lui a rien offert à l’exception de quelques promesses électorales? Ou pour des listes qui se disent indépendantes mais s’avèrent être, dans certains cas, tout à fait le contraire en se transformant en de simples visages déguisés de certains partis ? La question est si compliquée, révélant un véritable casse-tête pour l’électeur tunisien qui cherche à accorder sa confiance à des parties qui œuvrent pour ses intérêts.
Cheval de Troie ?
En effet, il est évident que durant les élections municipales de 2018, certains acteurs politiques se sont présentés à ce scrutin sous couvert de l’indépendance, c’est ce qui explique, en partie, les innombrables problèmes survenus dans plusieurs conseils municipaux, un bon nombre d’entre eux ayant été d’ailleurs dissous. Le constat est le même pour ces élections législatives, mais serait encore plus important ? Car conscientes des métamorphoses des choix électoraux des Tunisiens qui semblent refuser l’offre politique existante, certaines listes partisanes se sont présentées à ces Législatives en tant que listes indépendantes, et se transforment ainsi, en un cheval de Troie au service de certains partis et coalitions politiques. En même temps, ces mêmes électeurs se trouvent, une autre fois, devant la même offre politique, celle proposée par des partis politiques représentant ce qu’on appelle le système post révolutionnaire qui n’a pas été à la hauteur de leurs attentes, échouant à trouver des solutions à leurs problèmes, ceux qui touchent notamment leur quotidien.
De ce fait, les électeurs potentiels se trouvent coincés entre le marteau des listes partisanes représentant les partis politiques qui ont déjà échoué, et l’enclume des listes indépendantes, qui ne sont pas parfois, réellement indépendantes.
Pour conclure, il est important, pour l’électeur tunisien, de suivre de près la campagne électorale des listes relevant de sa circonscription et même l’historique des candidats qui figurent sur ces listes en vue de prendre connaissance des moindres détails de leurs programmes et de leurs intentions et appartenances politiques, d’autant plus que l’enjeu est de taillel: installer le nouveau Parlement et choisir les partis qui vont former le nouveau gouvernement.