Alors que la tension politique est à son apogée en raison notamment d’une campagne législative et présidentielle à couteaux tirés, le risque de voir une nouvelle Assemblée ingouvernable, sans majorité ni coalition possibles, n’est pas à écarter. En effet, les résultats des législatives donnent lieu à un nouveau Parlement semblable à un archipel de forces parlementaires opposées, dont la conciliation et le rapprochement risquent d’être un casse-tête.
L’Instance supérieure indépendante des élections (Isie) a annoncé les résultats préliminaires des élections législatives, confirmant ainsi la victoire du parti Ennahdha qui obtient 52 sièges, suivi du parti Au cœur de la Tunisie (38 sièges), formant les deux plus grands blocs parlementaires de la prochaine Assemblée des représentants du peuple (ARP).
Les résultats préliminaires des élections législatives 2019, auxquelles ont pris part 2.760.217 électeurs sur plus de sept millions inscrits, ont donné lieu à un Parlement complètement métamorphosé, excepté les sièges réservés au mouvement Ennahdha, quoique le nombre de ses députés soit en baisse par rapport à 2014 et 2011. Les résultats d’Ennahdha mettent en évidence, effectivement, une régression par rapport aux 69 sièges remportés lors des premières élections législatives suivant la constitution de 2014 et aux 89 sièges lors des élections à l’Assemblée nationale constituante de 2011.
Une première lecture de ces résultats fait observer la montée en puissance du parti de Nabil Karoui qui, en se basant sur les sondages d’opinion réalisés tout au long de l’année, ne pourrait pas être perçue comme une surprise, même si le parti a été constitué juste en juin 2019, soit quatre mois avant le scrutin. A contrario, la grande surprise révélée par ce scrutin législatif est la disparition de la scène parlementaire de partis comme Nida Tounès, qui n’a obtenu que trois sièges, en contraste frappant avec les 89 sièges raflés aux législatives de 2014. Idem pour le Front populaire qui a été secoué par un échec sans précédent; un seul siège au sein de la nouvelle Assemblée pour le principal parti de la gauche tunisienne.
Ces résultats confirment, d’autre part, le poids assez considérable des listes indépendantes qui semblent avoir profité de la rupture entre l’électeur tunisien et l’offre politique existante. En effet, le prochain parlement comprendra 14 députés indépendants qui se présentaient dans différentes régions du pays, mais dont les tendances politiques ne sont pas connues, une donne qui pourrait considérablement affecter les prochaines alliances parlementaires nécessaires pour la formation d’un gouvernement.
Tahya Tounès, héritier de la famille centriste
Ce scrutin législatif marque notamment l’émergence de nouvelles forces politiques en dépit de leur apparition récente sur l’échiquier politique comme notamment le parti Au cœur de la Tunisie de son très controversé président Nabil Karoui, ou le parti Tahya Tounès, fondé par l’actuel chef du gouvernement Youssef Chahed, qui a obtenu 14 sièges, se présentant ainsi comme le principal héritier politique de la famille centriste. Car, en effet, même si le nombre de sièges n’est pas à la hauteur de ses attentes, comme le confirment ses dirigeants, le parti Tahya Tounès, créé en janvier dernier, a profité des résultats décevants obtenus par les partis de la famille démocratique du centre, tels que le mouvement Machrou Tounès qui a remporté 4 sièges et le parti Afek Tounès avec seulement deux sièges, après avoir remporté 8 sièges en 2014.
Parmi les partis ou les coalitions politiques qui ont obtenu des résultats remarquables, on trouve également le Courant démocratique, qui s’est classé troisième force parlementaire avec 22 sièges, suivi de la Coalition conservatrice Al-Karama, qui s’est classée quatrième avec 21 sièges, suivi du Parti destourien libre de Abir Moussi avec 17 sièges et du Mouvement populaire, parti nationaliste, avec 16 sièges.
Le Parti de l’union patriotique libre, fondé par l’homme d’affaires Slim Riahi, rebaptisé «la Nouvelle patrie», a essuyé quant à lui un échec cuisant, ne recueillant aucun siège après avoir été la troisième force politique en 2014.
De nouveaux visages, d’autres qui reviennent
Loin de la composition politique de ce parlement qui ressemble plutôt à une mosaïque de partis et de forces opposés et parfois même inconciliables, de nouveaux profils font leur entrée sur la scène législative et parlementaire tunisienne. A commencer par des leaders politiques, on pourra dire même de gros calibres, qui se sont distingués tout au long de la phase post-révolution, dont notamment Rached Ghannouchi, président du parti Ennahdha, Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre, et Safi Saïd, journaliste, écrivain et candidat perdant à la présidentielle, pour arriver aux élus de la Coalition Al-Karama connu pour leurs positions controversées. Il est question notamment de l’avocat Seïfeddine Makhlouf, fondateur de cette coalition, Rached Khiari, journaliste fervent défenseur du courant islamiste, Ridha Jaouadi, imam révoqué en 2015 par le ministère des Affaires religieuses pour son discours jugé radical; et également le controversé journaliste Maher Zid.
Outre les députés de la Coalition Al-Karama, de nombreux nouveaux visages sont attendus dans le prochain parlement, parmi lesquels d’actuels ministres comme Hichem Ben Ahmed (Tahya Tounes), ministre du Transport, Hédi Mekni (Tahya Tounes), ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, Zied Laâdhari (Ennahdha), ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, et Saida Lounissi (Ennahdha), ministre de la Formation professionnelle et de l’Emploi. D’anciens ministres font également leur entrée sur scène, comme Farhat Rajhi, ex-ministre de l’Intérieur et Mabrouk Korchid, ancien ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières. Parmi ces nouveaux visages, nous citons également l’activiste de la société civile et fondatrice de 3ich Tounssi, Olfa Terras, l’ex-membre de l’Instance vérité et dignité et leader au sein du parti Au cœur de la Tunisie, Zouhaier Makhlouf, Ghazi Karoui, frère de Nabil Karoui, recherché dans une affaire de corruption, et Houcine Jenayah (Tahya Tounès), personnalité sportive du Sahel.
Mehrzia Laabidi et Abdelatif Mekki out
D’autres députés conserveront leurs sièges au sein de la nouvelle assemblée. On cite notamment des députés d’Ennahdha comme Samir Dilou, Yamina Zoghlami, Wafa Attia, Noureddine Bhiri, Latifa Habbachi, Farida Abidi et Sahbi Atig contrairement à Mehrzia Laabidi et Abdelatif Makki qui ont perdu leur siège.
Parmi les députés qui vont renouveler leur mandat, Walid Jalled et Mahdi Ben Gharbia du parti Tahya Tounès, Mongi Rahoui du Front populaire, Fayçal Tebbini de la Voix des Agriculteurs, Sofiane Toubel du parti Au cœur de la Tunisie, Adnane Hajji, de l’Union démocratique sociale, Hassouna Nasfi de Machrou Tounes, Zouhaier Maghzaoui du Mouvement du peuple.
Il est à noter que l’Isie a annoncé l’annulation totale de la liste du parti Errahma à Ben Arous et l’annulation partielle de la liste de 3ich Tounsi, la voix des Tunisiens de l’étranger. Ainsi le tête de liste du parti Errahma à Ben Arous, Saïd Jaziri, ne siègera pas à l’Assemblée des représentants du peuple. Son élection avait fait grand bruit. L’imam avait été expulsé du Canada en 2007 et est à la tête de la Radio illégale Al Coran Al Karim.
Sur les 7.655.885 électeurs inscrits, 2.974.628 ont participé aux élections législatives, soit 41,7% de participation, contre 3.579.256 en octobre 2014. La participation était estimée alors à plus de 68%.