Il est connu pour tous que l’actuelle crise politique que traverse le pays est due à une guerre de positionnement opposant plusieurs partis et formations politiques hétérogènes. Après l’échec de Habib Jemli chargé par Ennahdha de former un gouvernement et avec la désignation d’Elyes Fakhfakh pour prendre la relève, nous avons pensé que ce conflit inédit dans l’histoire du pays allait prendre fin. Mais nous sommes encore loin de cela, la crise ne cesse de s’aggraver et pour cause, la position du mouvement Ennahdha qui signe et persiste : pas de gouvernement sans Qalb Tounès.
Mais comment expliquer ce renversement de position, alors qu’il y a quelques semaines, pour Ennahdha Nabil Karoui, chef du parti Qalb Tounès, incarnait littéralement corruption et évasion fiscale?
En fait ce renversement de position s’explique notamment par deux faits. Le premier concerne un conflit de positionnement politique dans la mesure où Ennahdha veut rappeler à toute la classe et les partis politiques sans exception qu’il tient toujours les choses en main et qu’il est toujours le maître du jeu politique. Le deuxième étant un conflit en interne qui perturbe et affecte les décisions du parti portant sur ce processus entravé. En fait, pour Ennahdha il n’y a aucune réserve sur le choix d’Elyes Fakhfakh, encore moins sur sa méthode de travail ou sur ce qu’il appelle le document de référence, forme et contenu, c’est en tout cas ce qu’a confirmé le premier communiqué du parti à l’issue de la désignation d’Elyes Fakhfakh pour former le prochain gouvernement.
Mais quelques jours après, un revirement de position à 180° secoue la scène politique, Ennahdha pose la participation de Nabil Karoui au nouveau gouvernement comme condition sine qua non pour lui accorder sa confiance. Ainsi, Rached Ghannouchi qui semble avoir mal digéré son échec à faire passer le gouvernement Jemli à l’épreuve du vote de confiance à l’Assemblée des Représentants du Peuple, veut transmettre un message clair à tous les partis : C’est toujours moi le maître du jeu qui tient toutes les commandes des négociations et des calculs portant sur la formation du gouvernement.
Ainsi on pourra comprendre que cette condition de faire participer Nabil Karoui dans le processus de formation du gouvernement n’est motivée que par une seule cause celle de l’intérêt d’Ennahdha de se maintenir dans une position de force en vue de mettre la main sur tout le processus de la formation du gouvernement. Cette condition inflexible, selon les déclarations des leaders de ce parti, vise également à contrer l’ascension de ce qu’on appelle le courant des forces révolutionnaires, représenté notamment par le Courant Démocratique et le Mouvement du Peuple et appuyé par le chef de l’Etat Kais Saied, qui à certain moment semblait avoir pris le devant de la scène politique.
Ennahdha face à Kais Saied
Derrière cette guerre de positionnement politique, réside également un conflit indirect, non annoncé et discret entre le président de la République, Kais Saied, et le chef du parti Ennahdha, Rached Ghannouchi. Car en effet, la chute du gouvernement Habib Jemli, marque pour le mouvement Ennahdha un double échec politique et médiatique. D’une part, c’est pour la première fois que le parti de Rached Ghannouchi échoue à faire passer un gouvernement au Parlement, et d’autre part, il s’est considérablement impacté sur le plan communicationnel, inutile de rappeler la campagne et l’intérêt médiatiques qui ont accompagné la chute du gouvernement Habib Jemli, remettant en cause les capacités d’Ennahdha à demeurer dans une position de force. Cet échec à faire passer le gouvernement Jemli s’est également renforcé, lorsque le chef de l’Etat a décidé de nommer Elyes Fakhfakh, candidat de Tahya Tounes pour former le nouveau gouvernement. Même si au début, Ennahdha n’a pas émis de réserves à cet effet, il s’aperçoit progressivement qu’il commençait à perdre du terrain politique en faveur de ce « courant révolutionnaire » et de ce qu’on appelle le « gouvernement du président ». Conscient que le tapis commençait à lui glisser sous les pieds, Ennahdha décide de poser la condition si difficile et si compliquée de faire participer Nabil Karoui, au nom de l’union nationale.
Un conflit en interne
Malgré toutes les tentatives de ses barons de ne pas ébruiter les conflits internes, c’est devenu un secret de polichinelle, aujourd’hui au sein du parti islamiste, nous avons deux clans, ceux qui soutiennent les choix de Rached Ghannouchi et ceux qui s’y opposent. Ainsi, même à l’intérieur du parti Ennahdha, un conflit et une guerre de positionnement ne cessent de perturber le parti, mais encore plus grave, d’affecter ses positions portant sur les choix politiques cruciaux en relation avec le processus de formation du gouvernement.
En effet, depuis les élections, les choses ne sont pas au beau fixe du côté de Montplaisir. Le parti islamiste ne cesse d’essuyer plusieurs échecs successifs, le dernier en date est la chute du gouvernement Jemli. Aujourd’hui, le parti semble être rongé par les divergences au sein de ses structures internes, et les dirigeants mécontents s’expriment même dans les médias et sur les réseaux sociaux, défiant la discipline partisane, pourtant une tradition dans le parti de Rached Ghannouchi. Il est, désormais, évident que le parti islamiste traverse une période difficile, notamment à l’approche de son congrès, et la seule issue étant de recentrer la boussole des concertations portant sur la formation de gouvernement et de se repositionner au cœur des manœuvre et tractations politique.
En tout cas ce sont les principaux enjeux qui marquent la réunion cruciale de tout à l’heure avec le chef du gouvernement désigné Elyes Fakhfakh consacrée à l’examen du document de référence autour des fondements de l’action gouvernementale, qui se tiendra ce lundi à partir de 15h. Cette réunion, prévue samedi dernier, avait été reportée, rappelons-le, suite à la demande du parti Ennahdha, dans l’objectif de rappeler encore une fois, qu’il tient toujours les choses en main.
(crédit photo : Assemblée des Représentants du Peuple)