La Tunisie avait pourtant adopté une stratégie pour interdire définitivement l’utilisation des sacs en plastique à l’horizon 2021. Un arrêté conjoint entre le ministre de l’Industrie et des Petites et Moyennes entreprises et le ministre du Commerce paru récemment au Journal Officiel de la République Tunisienne autorise désormais l’emballage du ciment dans des sacs en plastique.
Cet arrêté daté du 5 août modifie les dispositions d’un autre arrêté de 2017 imposant uniquement le papier dans l’emballage de cette matière produite en Tunisie. En effet, l’emballage du ciment se faisait jusque-là dans des sacs en papier, et en dépit de toutes les lois préservant l’environnement et bannissant l’usage du plastique dans plusieurs secteurs, le gouvernement démissionnaire et partant, représenté par ces deux ministères, a décidé autrement en modifiant la loi qui impose l’usage du papier dans l’emballage du ciment.
Les réactions des activistes de la société civile mais aussi des députés n’ont pas tardé. Ils dénoncent même une décision prise juste avant le départ du gouvernement et qui pourrait cacher des soupçons de corruption et l’implication des lobbies de production et de commercialisation du plastique. C’est en tout cas dans ce sens que l’ancien député et fondateur de l’observateur «Raqaba» Imed Daimi a dénoncé cet arrêté, considérant qu’il s’agit d’une «décision douteuse prise par un gouvernement partant».
«Il s’agit d’une décision prise à la dernière minute qui porte l’empreinte des lobbies du plastique et qui ouvre la voie aux doutes concernant l’obtention d’éventuelles commissions financières», a-t-il posté sur les réseaux sociaux. Il explique que cette décision fait fi de la stratégie nationale de lutte contre la pollution visant à mettre fin à l’utilisation des sacs en plastique en Tunisie, ajoutant que selon ses informations, le ministère des Affaires locales et de l’Environnement n’a pas été consulté avant de prendre cette décision, en dépit de ses efforts pour limiter l’usage de cette matière polluante.
En fait, cet ex-député, reconverti en lanceur d’alerte, avait, depuis le 8 juin dernier, a mis en garde contre ce texte, assurant que les «lobbies du plastique» visent à obtenir un marché estimé à 500 millions de dinars annuellement.
Une source au sein du ministère des Affaires locales et de l’Environnement nous a également affirmé que ce département s’oppose à cette décision, d’autant plus que la stratégie nationale vise à interdire définitivement tout usage des sacs en plastique.
Des bénéficiaires ?
Pour sa part, le député Yassine Ayari, qui soupçonne l’existence de bénéficiaires derrière ces nouvelles dispositions, a promis, sur sa page Facebook, d’investiguer dans cette affaire. «Nous allons enquêter sur ce dossier, nous allons savoir au bénéfice de qui vous avez vendu la santé des Tunisiens», s’est-il indigné.
Contactée par La Presse, une source auprès du ministère de Commerce a affirmé que cette décision a été prise par le ministère de l’Industrie et des Petites et Moyennes entreprises et que le rôle de son département se limite au contrôle des prix de commercialisation de ces produits. Mais du côté de ce ministère, toutes les portes étaient fermées, aucun responsable n’a voulu commenter cette décision qui commence à faire polémique d’autant plus qu’il s’agit, en effet, d’un pas fait en arrière dans la stratégie de lutte contre la pollution et l’usage excessif du plastique.
Pourtant, le ministre de l’Environnement, Chokri Ben Hassen, avait annoncé, en juillet dernier, que les sacs en plastique seront définitivement interdits à partir de 2021 pour les producteurs, fournisseurs et utilisateurs. Il a expliqué que le ministère prépare un programme de communication destiné aux industriels pour les exhorter à qualifier les systèmes de production conformément à la décision d’interdire les sacs en plastique et aux mécanismes de financement disponibles.
La stratégie nationale visant à interdire l’usage des sacs en plastique en Tunisie prévoit un plan selon deux principales étapes. Ainsi, à partir du 1er mars 2020, l’interdiction a été imposée aux espaces commerciaux et aux pharmacies et à partir du 1er janvier 2021 aux producteurs et aux fournisseurs de sacs en plastique. Cette stratégie met en œuvre les exigences de l’arrêté gouvernemental du 16 janvier 2020 qui réglemente les types de sacs en plastique dont la production, la fourniture et la distribution seront interdites sur le marché tunisien.