
Le bateau Tunisie risque facilement de chavirer, puis de couler, car tous les commandants qui se sont succédé à sa barre ne possédaient, apparemment, ni carte ni compétences nécessaires, encore moins les moyens indispensables pour affronter une tempête qui semble s’étirer en longueur. Que dire alors pour le conduire à bon port ?
Surtout si l’on sait que l’embarcation est en train de prendre l’eau de toutes parts, que l’équipage continue de se chamailler, que les passagers sont pris de panique et que chacun parmi tout ce monde essaye de prendre pour lui seul l’un des canots de sauvetage, qui se comptent sur les doigts d’une seule main. Il faudrait rappeler ici que la «Révolution tunisienne» a pris tous les Tunisiens de court. Absence de leadership, d’un côté, une société en ébullition, de l’autre. Une société qui vivait dans un flou total, qui ne faisait que subir et qui continuait et continue encore son chemin vers l’effritement, puis la décomposition, dans l’indifférence totale de tous. Une société, victime des conséquences désastreuses de décennies de frustration, de violence et de régression intellectuelle, culturelle et morale, minée par une mentalité encore sous l’emprise du tribalisme, d’un mimétisme pathologique, du complexe du m’as-tu-vu, des superstitions et plein d’autres vices.
Conflits, dysfonctionnements qui ne font que s’accumuler, et un Etat, qui n’arrive même plus à gérer ses propres appareils, que dire alors de gérer le pays. Voilà où nous en sommes. Nous vivons, en effet, et depuis de longues années, au rythme de bricolages et de balbutiements, fruits d’une médiocrité galopante, qui prend source dans cette politique d’infantilisation du peuple en vigueur depuis l’Indépendance politique de notre pays, laquelle a aggravé sa dépendance et sa passivité, pour le livrer aujourd’hui à la délinquance.
Les leaders du mouvement national, écartés les uns après les autres, à un rythme soutenu, place a été donnée aux décisions imposées d’en haut, à un parti-Etat, à la pensée unique, au culte de la personnalité, à la présidence à vie, à une économie fortement dirigée, puis à base de pseudo-promoteurs, aux rentiers de tous genres, aux conflits sociaux parfois très violents, etc. Tout cela a mis fin à une remarquable dynamique sociale, culturelle politique et même économique qui fleurissait avant l’Indépendance. Une oligarchie conduisait le pays d’une main de fer. Elle tenait police, justice, parlement, administration, médias, et s’est spécialisée dans la production de petits dictateurs et dans le détournement des richesses du pays. Cela, sans oublier la régression continue du niveau intellectuel et des compétences, les conflits qui traversaient ce groupe dominant. Un scénario qui s’est répété à partir de 1987, en plus mauvais. C’est ainsi que le pays s’est retrouvé fin 2010, début 2011. Une fois décapité, ou ce qui nous a semblé avoir eu lieu, le régime a très rapidement su conserver le reste de son corps. Et les excellents slogans, une bonne volonté d’en finir avec la dictature et quelques recettes, du type réformes conjoncturelles, n’ont pas eu raison de lui. Pire, la machine a continué à fonctionner, alimentée comme elle était et continue de l’être par l’argent injecté par ceux qui n’ont pas intérêt à ce que le pays avance. Alors que pour un simple poste d’encadrement dans une petite entreprise, une bonne expérience est exigée, nous avons eu à subir des hauts fonctionnaires, des ministres et des chefs de gouvernement ne justifiant que d’une expérience dérisoire dans le domaine très délicat de la gestion des affaires publiques et même parfois sans expérience aucune. Que dire alors de la mascarade à laquelle nous avons eu droit de la part de bon nombre de candidats à la présidence de la République. Une vraie catastrophe, surtout face à des attentes placées très haut. Ceux qui appellent à ce que le gouvernail soit tenu par une seule personne croient qu’ils ont raison, se trompent de calcul et d’époque. Car le capitaine doit d’abord posséder une conduite exemplaire, et avoir de bons seconds. Il doit rester au-dessus de la mêlée, être doté de bon sens, se conduire en bon père de famille, assumer ses responsabilités comme il se doit et ne pas chercher à faire endosser aux autres ses erreurs. Il doit être comme un chef d’orchestre, jouir de la maîtrise totale de ses fonctions, avoir une partition claire sous les yeux, avoir conduit d’excellentes répétitions avant la représentation et, surtout, jouer devant un public averti. Mais l’élément le plus important reste la partition. Aujourd’hui, et pour se référer à des expériences, qui ont réussi à travers le monde, ce sont des formations politiques dotées de programmes bien conçus qui doivent être à la barre et non des aventuriers entourés de suiveurs et d’opportunistes, qui n’ont pour seul programme que celui d’arriver au pouvoir et de s’y maintenir par tous les moyens, jouant en cela sur les peurs et les frustrations des électeurs et qui donnent l’impression qu’ils sont les seuls capables de sauver le pays. La Tunisie souffre donc, et cela dure depuis des décennies, de l’absence d’un vrai leadership, politique, social et moral, et même en ce qui concerne les affaires et les métiers, à ne pas confondre, répétons-le, avec absence d’un vrai leader.
C’est-à-dire de l’absence, en ce qui concerne la vie politique, d’équipes composées chacune d’une élite éclairée et bien outillée, possédant une dynamique interne saine et positive, ainsi qu’un programme bien clair et applicable, agissant en harmonie et animée par un leader franc, loyal, courageux, capable de tirer le pays vers le haut.