Depuis une décennie, les Tunisiens se méfient de l’application de la loi. Les corrompus n’avaient aucune raison d’en prendre garde, puisque ceux qui veillaient à son indépendance et à son autonomie étaient incapables de la faire respecter. L’impunité a pris le dessus sur toutes les autres considérations. Elle a même fragilisé tout le processus démocratique. Si la justice est mal appréhendée, comment espérer qu’elle fonctionne ?
L’actualité politique est encore une fois dominée par des affaires de corruption. Les enquêtes et les investigations ouvertes réveillent les polémiques, les altercations et, bien entendu, les critiques. Dans une récente apparition médiatique, le Président de la République a alerté sur l’exploitation d’une ferme domaniale de 147 ha à Ben Arous, louée à un prix dérisoire. Il est allé encore plus loin en évoquant le dossier de l’octroi des terres domaniales à des personnes appartenant à des partis politiques, à travers des contrats conclus à bas prix, en contrepartie de pots-de-vin !
Il faut dire que tout au long des premières années de la Révolution, des fermes et des terres domaniales ont été spoliées, confisquées et occupées, selon Mabrouk Korchid, ancien ministre du Domaine de l’Etat, par «des criminels poursuivis dans des affaires de droit commun qui avaient mis la main sur des milliers d’hectares appartenant à l’Etat». Une grande opération de récupération de ces terres domaniales s’en était suivie ces dernières années, mais sa concrétisation s’avère encore compliquée.
Dans un autre registre, l’ancien ministre de l’Agriculture, Samir Taieb, ainsi que sept fonctionnaires de ce département ont été arrêtés mercredi et placés en garde à vue sur ordre du ministère public près le Pôle judiciaire et financier. Ils sont soupçonnés d’être impliqués dans une affaire de corruption financière et administrative au sein du ministère de l’Agriculture.
Le bien-fondé et l’impartialité avaient mauvaise mine !
Pendant la dernière décennie et en l’absence de volonté politique et d’un environnement propice, le bien-fondé et l’impartialité avaient mauvaise mine. Ils se sont transformés en une descente dans les bas-fonds. Il était certain que l’odeur de l’argent ronge, salit, corrompt. Les promesses, émanant des responsables de l’époque et inscrites dans le processus de lutte contre la corruption, avaient souvent des destins contrariés : si certaines s’étaient vite évaporées, enterrées, d’autres étaient longuement traînées par leurs auteurs comme une embarrassante casserole, au point de prendre une forme méconnaissable. D’ailleurs, les Tunisiens se méfiaient de l’application de la loi. Les corrompus n’avaient aucune raison d’en prendre garde, puisque ceux qui veillaient à son indépendance et à son autonomie étaient incapables de la faire respecter. L’impunité a pris le dessus sur toutes les autres considérations. Elle a même fragilisé tout le processus démocratique. Si la justice est mal appréhendée, comment espérer justement qu’elle fonctionne ?
Dans ses différentes interventions, le Président de la République ne cesse de réitérer une détermination absolue et inconditionnelle à ne pas désavouer la confiance des Tunisiens dont il a la garde, mais aussi à protéger et à récupérer l’argent et les biens publics.
Il faudrait se rendre à l’évidence et consentir que les dossiers et les affaires de corruption ont besoin aujourd’hui d’être traités de manière bien différente que celle préconisée jusque-là. Le changement devrait nécessairement passer par davantage d’équité et de justice, mais également d’impartialité et de légalité, à l’égard des aptitudes à considérer les dossiers avec la rigueur et l’impassibilité que cela implique. Tout doit y être, car tant que la suprématie de la loi n’est pas respectée, voire consacrée, mais aussi tant que les droits et la présomption d’innocence ne sont pas attestés et assurés, rien ne garantit de ne pas se retrouver dans le même scénario de l’avant-25 juillet.
Le moment attendu pour déclarer la guerre à la corruption est venu. L’acte de remise en cause avait sonné depuis la mouvance du 25-Juillet, qui a été le bon timing. C’était l’occasion de faire émerger la certitude que la fragilité d’une nation résulte du non-respect de la loi. Un sentiment et une conviction susceptibles de dessiner la Tunisie de demain.