Toute la sphère politique a réagi à l’annonce du Président de la République portant, implicitement, sur la dissolution du CSM, un organe hautement controversé, au vu du rendement de la justice tunisienne, notamment dans les affaires des assassinats politiques et celles liées au terrorisme et à la corruption.
L’information est tombée comme un couperet. Même s’il ne l’a pas annoncé explicitement, le Chef de l’Etat, Kaïs Saïed, qui jouit de larges prérogatives conformément aux dispositions exceptionnelles, a mis fin au Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Kaïs Saïed, qui accuse cet organe constitutionnel de corruption et de manipulation de certaines affaires de justice, limitait progressivement son pouvoir jusqu’à samedi dernier où il a annoncé, depuis le siège du ministère de l’Intérieur, que ce Conseil « appartient désormais au passé ». La décision qui a surpris la classe politique était pourtant attendue, dans la mesure où le Chef de l’Etat ne cessait, cette dernière période, de critiquer le CSM et d’accuser ses membres de vouloir entraver le bon fonctionnement de la justice tunisienne.
L’annonce présidentielle n’a pas manqué, comme d’habitude, de susciter des réactions de la sphère politique, mais aussi de juges et d’avocats. En tout cas, jusqu’à la rédaction de ces lignes, le CSM n’est pas officiellement, ou légalement, dissous. D’ailleurs, dans un communiqué rendu public, cet organe dit rejeter l’annonce du Président de la République et affirme poursuivre son mandat.
Hier lundi, la tension est montée d’un cran devant le siège du CSM. Alors qu’un important dispositif sécuritaire était déjà installé devant ses locaux depuis dimanche dernier, le président du Conseil, Youssef Bouzakher, affirme que des agents de police ont fermé la porte principale du bâtiment en usant de chaînes et cadenas. « Le siège du CSM a été fermé avec chaînes et cadenas, et les employés et agents ont été empêchés d’y accéder », a-t-il affirmé estimant qu’il s’agissait d’une nouvelle étape de ce qu’il considère comme une attaque contre le Conseil, « pour arracher les institutions de l’État et mettre la main sur le pouvoir judiciaire ». Or, cette version a été rapidement démentie par des sources sécuritaires qui ont affirmé qu’aucune mesure de ce genre n’a été prise et que les allégations du président du CSM sont fausses. « Nous ne faisons que sécuriser cet organe institutionnel suite aux appels à manifester devant son siège », a-t-on précisé.
Tout de même, la membre du CSM, Basma Sallami, a fait état de consignes parvenues aux forces sécuritaires interdisant aux employés et aux membres d’accéder à ce siège.
Réactions, condamnations et attente
Quoi qu’il en soit, toute la sphère politique a réagi à l’annonce du Président de la République portant, implicitement, sur la dissolution du CSM, un organe hautement controversé au vu du rendement de la justice tunisienne, notamment dans les affaires des assassinats politiques et celles liées au terrorisme et à la corruption.
Le Forum démocratique pour le travail et les libertés (Ettakatol), le parti républicain (Al Joumhouri) et le Courant démocrate (Attayar ) ont exprimé leur refus de la décision du Président de la République, Kaïs Saïed, de dissoudre le Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
Réunis dans le cadre de la Coordination des partis sociaux-démocrates, les trois partis ont appelé, dans un communiqué conjoint, tous les magistrats, partis démocrates et organisations civiles, « à faire face à cette tentative flagrante de soumettre la justice à l’autorité du coup d’Etat », rappelant à cet égard « l’absence de tout mécanisme constitutionnel ou légal donnant l’autorité au Président de la République de dissoudre le CSM ».
S’exprimant au nom du Parlement dissous, Rached Ghannouchi a à son tour condamné la dissolution du CSM, estimant que cette décision intervient dans le cadre du projet présidentiel portant sur la prise de tous les pouvoirs. Toujours selon ce communiqué, on dénonce ce qu’on appelle une atteinte à la Constitution ainsi qu’à ses organes, réitérant son engagement à défendre la démocratie.
Pour sa part, Zouhaier Maghzaoui, secrétaire-général du Parti du peuple a réagi positivement à cette annonce, estimant que le CSM n’a pas joué son rôle dans la garantie de l’indépendance de la justice.
Le politicien et figure de l’opposition tunisienne, Ahmed Néjib Chebbi, a, pour sa part, publié un statut Facebook pour revenir sur la décision du président de la République concernant la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature, appelant les Tunisiens et l’élite politique à s’opposer à cette décision avant qu’il ne soit trop tard. « Kaïs Saïed exploite ses revendications pour mettre la main sur le pouvoir judiciaire et achève son indépendance pour en faire son bras qui lui permettra de régner en maître absolu et ramener le pays au carré de la tyrannie », a-t-il averti.
L’AMT refuse catégoriquement
Dans un communiqué rendu public, l’Association des magistrats tunisiens (AMT) a exprimé son refus catégorique de toutes les tentatives du Président de la République portant atteinte au pouvoir judiciaire et au Conseil supérieur de la magistrature (CSM). L’AMT souligne que l’annonce faite par le Président de la République renie les fondements du système démocratique ; à savoir indépendance constitutionnelle, légale, structurelle et professionnelle de la justice et constitue une grave régression des acquis constitutionnels et reflète une volonté de soumettre le pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif, dans le cadre d’un système qui centralise tous les pouvoirs aux mains du Président de la République. Et d’ajouter que la reddition des comptes doit se faire « dans le cadre d’un processus juridique loin de toute logique d’anarchie et de violence ».
Dans ce sens, le président de l’Association des magistrats tunisiens, Anas Hmaidi, a réaffirmé l’opposition de l’Association à la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature. « Il parle de missiles, de plateforme de lancement et d’attaques ciblées… Ce n’est pas le premier discours du genre au sujet de la justice tunisienne… Il refuse de parler de pouvoir judiciaire et considère que la magistrature est une simple fonction. Il s’agit d’une atteinte directe aux fondements du pouvoir judiciaire et de la Constitution », a-t-il précisé.
Enfin, le bâtonnier des avocats, Brahim Bouderbala, a dit soutenir toute intention de réforme, estimant que le CSM n’a pas été dissous, mais « on voudrait simplement revoir sa composition ».
Il faut rappeler que depuis plusieurs mois, le CSM est dans le collimateur du Président de la République. A commencer par les accusations de corruption arrivant au décret présidentiel qui a mis fin aux privilèges de ses membres, par graduation, Kaïs Saïed semble aller jusqu’au bout de son projet, car, pour lui, sans réformer la justice et mettre fin au pouvoir du CSM qu’il soupçonne de manipulation des affaires de justice, il ne peut pas concrétiser son plan.