Les manifestations de samedi dernier, date de commémoration de la révolution tunisienne, ont montré, encore une fois, que l’opposition tunisienne, dans toutes ses fractions, est de plus en plus fragilisée, voire rouillée. En dépit de grands préparatifs et d’appels interminables mais aussi de promesses d’un «rassemblement historique» pour contrer les dispositions du 25 juillet, l’opposition tunisienne a marqué un échec au vu du nombre jugé faible des participants à ces rassemblements.
Il ne s’agit pas de remettre en question le rôle important de l’opposition tunisienne, notamment dans l’équilibre des pouvoirs dans le pays, mais les leaders politiques de cette opposition irréconciliable doivent assurément faire leur mea culpa et revoir leurs choix.
En effet, samedi dernier, la tension était à son apogée à Tunis, lorsque les sympathisants de plusieurs fractions politiques dont, notamment ceux du Front de salut national et d’Ennahdha se sont rassemblés pour contrer ce qu’ils appellent le «putsch contre la démocratie» en référence aux dispositions du 25 juillet.
D’autre part, le Parti destourien libre, interdit de marcher sur Carthage, a manifesté à Montplaisir. Sauf que ces rassemblements ont marqué un faible nombre de participants en dépit des appels et de l’organisation, notamment sur les réseaux sociaux.
L’opposition tunisienne et d’une manière générale les politiques tunisiens sont-ils dans l’incapacité de mobiliser la rue ?
Il s’avère que la réponse est positive, si on rappelle que ces derniers temps, nous n’avons pas assisté à un grand rassemblement comme cela a été le cas en 2013 pour revendiquer le départ de la Troïka.
Autant dire que la Tunisie fait face à un dilemme politique de taille qui met en péril tout le processus démocratique et toute la vie politique et partisane : un déficit de l’élite politique. Si les élites politiques désignent, conventionnellement, la minorité de ceux qui dirigent ou qui exercent un pouvoir d’influence sur les affaires publiques, en Tunisie nous assistons à une désertification de la vie politique, notamment dans les rangs des jeunes et c’est ce qui explique, en grande partie, l’absence de nouveaux leaders politiques capables de diriger le pays.
D’ailleurs, les observateurs de la scène nationale se posent la même question : qui est à même de diriger le pays en cas de départ de l’actuel régime ? Les réponses ne sont pas nombreuses, même si, pour certains, il est judicieux de donner le pouvoir à ce qu’on appelle les technocrates. Cela n’empêche que le rôle d’une élite politique est primordial, notamment dans un contexte de construction démocratique.
Une réputation entachée ?
Pour expliquer la crise de l’élite politique, il est possible de rappeler que celle-ci a, à maintes reprises, partagé des intérêts propres aux catégories privilégiées dont elle est majoritairement issue. Cela avait marqué l’image de l’ancien parlement lorsque des forces politiques contradictoires se sont alliées et ont fait fi de la volonté des électeurs. Les images de désolation que nous avons observées tout au long de deux années d’un parlement en guéguerre avaient également tendance à affaiblir le prestige de cette élite et à marquer une rupture entre politiques et citoyens.
Ce constat émane aussi de l’absence de l’implication des jeunes dans la vie politique. Effectivement, bien que pratiquement tous les partis politiques affirment parler au nom des jeunes, rares sont les formations politiques qui les impliquent concrètement. Dans le paysage médiatique, on remarque, d’ailleurs, que ce sont les mêmes figures politiques qui occupent les tribunes médiatiques pour exprimer les visions de leurs partis. Or, ces jeunes activistes sont exclus des cercles de prise de décision, même à l’échelle de l’Etat, dont certains choix ont marqué une rupture totale avec la jeunesse tunisienne.
Il faut aussi rappeler que la crise de l’élite politique n’est pas propre à la Tunisie. A l’échelle internationale, beaucoup de politiciens et spécialistes de la politique entonnent le grand air de la crise de la démocratie : crise de la représentation et des systèmes électoraux, crise des partis et des corps intermédiaires, crise des modes d’affrontement, mais aussi crise de l’esprit démocratique.
De ce fait, la crise de l’élite s’explique surtout par une crise de la légitimité et de la représentativité face à la montée en puissance des courants populistes et de la démagogie. Ainsi, certains politologues évoquent une rupture du lien civique qui ouvre la voie vers une perte de crédibilité et de légitimité de la politique, voire de la démocratie. En Tunisie, l’enjeu politique est double alors que nous évoquons un pays en transition démocratique.
De ce fait, il s’avère primordial que les élites politiques, voire intellectuelles, demeurent critiques et doivent pour construire ou consolider la démocratie s’accorder fondamentalement sur le principe de la primauté de l’Etat au détriment des intérêts particuliers.