Né le 7 février 1945 à la Marsa, Ferjani Derouiche demeure un des meilleurs gardiens de l’histoire du football national. Sa première licence, il la signe en 1959 pour l’équipe minimes de l’Avenir Musulman (rebaptisé depuis 1965 Avenir Sportif de la Marsa). Le match ST-AM (2-0) en 1964 au Zouiten l’a vu débuter avec l’équipe seniors du Safsaf. Alors que la finale de la coupe de Tunisie 1977 ASM-CSS (3-0) où il a été remplaçant a été son dernier match. Son premier match international a été Tunisie-Sénégal (0-0), le 14 novembre 1965 au Zouiten en phase finale de la CAN. Derouiche avait alors remplacé Attouga en cours de jeu. A son palmarès, la Coupe de Tunisie juniors 1964; la coupe de Tunisie seniors 1977; 4 finales seniors perdues: 1965 contre le CA 0-0 et 2-1, 1966 contre le ST 1-0, 1970 contre le CA 0-0 AP, 0-0 AP et 5 corners à 3, 1973 contre le CA 1-0, et la médaille d’argent à la CAN 1965 à Tunis. Reconverti en 1978 entraîneur, il a été adjoint d’Ali Selmi à Nadi Ettaâwoun (A.Saoudite),mais aussi entraîneur des gardiens de but à l’ASM, puis à partir de 1995 à l’EST. Cet ancien fonctionnaire à la STAM de 1968 à 1990 est marié et père de trois enfants.
Ferjani Derouiche, pour commencer, que vous a apporté le football ?
L’amour des gens, et ce n’est vraiment pas peu. De notre temps, on n’offrait pas les primes royales d’aujourd’hui. Pour la victoire en finale de coupe de Tunisie 1977, par exemple, chacun de nous a eu droit à 150 dinars. La veille d’un match à Sfax contre le redoutable CSS, notre dirigeant Moncef Douagi m’a montré un billet de dix dinars. A mon grand étonnement, et surtout désarroi, tout en le coupant en deux, il m’a donné la moitié du billet en me disant: «Tu prendras l’autre moitié si tu gagnes demain le match» (rires).
En votre temps, l’ASM passait pour être un grand spécialiste de la coupe. Ainsi, vous avez disputé cinq finales, dont une seule victorieuse où vous étiez, comble de malchance, remplaçant….
Oui, la scoumoune, nous savions ce que c’est !. Il nous arriva même de perdre une coupe aux corners, en 1970 contre le Club Africain. Pourtant, en 1965, contre le même CA (décidément !), il a fallu recourir à deux éditions pour nous départager. J’ai livré la première (0-0). Dans la deuxième, Kechiche a été aligné à ma place, et nous avons été battus (2-1). En fait, en arrivant chez les seniors, j’ai pris la relève de Kechiche et de Salah Farhat. Dans cette double confrontation très accrochée, notre entraîneur était le célèbre Hongrois Sandor Pazmandy.
En citant le nom de Pazmandy vient tout de suite à l’esprit la stratégie du hors-jeu piège dont il allait devenir le maitre absolu, et l’ASM l’inusable spécialiste…
Je me rappelle qu’une fois, avant une finale de coupe, lors de la présentation des joueurs au président Bourguiba, celui-ci s’exclama: «Ah, l’Avenir de la Marsa encore une fois en finale ! Comme d’habitude, je suppose que vous allez jouer le hors-jeu, non ?».
Le 25 juin 1977, vous prenez une belle revanche en étrillant le favori, le CSS en finale. Est-ce votre meilleur souvenir ?
Sans aucun doute. Personne ne misait un sou sur notre succès tellement le Club Sportif Sfaxien grouillait de joueurs de grand talent: Agrebi, Akid, Dhouib, Abdelwahed, Habib Trabelsi, Abderrazak Soudani… Nous avons démenti les pronostics, nous imposant (3-0). C’était d’ailleurs mon dernier match. Peut-il y avoir plus belle apothéose d’une carrière de 17 ans, dont une dizaine avec les seniors ?
Et votre plus mauvais souvenir ?
En 1976 contre le Club Africain, lorsque Ridha Boushih m’a gravement blessé à la main. Sur le coup, j’ai envisagé de mettre un terme à ma carrière. Fort heureusement, j’ai dû attendre un peu, soit un premier sacre en coupe avant de tirer la révérence. Autre mauvais souvenir, notre relégation alors que j’entraînais les gardiens de l’ASM.
Comment êtes-vous venu au football ?
Par le moyen le plus simple, les matches de quartier. A Houmet Lahouech de la Marsa, je jouais avec les Tahar Aniba, Ali Selmi, Chedly Ben Dadi, Mouldi Mazghouni… Nous avons été admis à l’Avenir Musulman (l’appellation de l’époque de l’Avenir Sportif de la Marsa). Les recruteurs avaient pour noms Omar Ghadhoum, Beji Bouachir, Abdelkader «Fakarett».
Quand avez-vous rejoint Al Mostaqbal ?
J’ai signé en 1959 une licence minimes, je jouais attaquant. Un jour, le gardien s’est absenté. De pied en cap, notre entraîneur Ghadhoum s’exclame: «J’ai trouvé mon gardien, ce sera Ferjani !». Dans les matches considérés faciles, il m’alignait ailier droit. C’est dire que la notion de plaisir l’emportait encore. Pas comme aujourd’hui où s’impose la religion du résultat à tout prix. J’ai été ramasseur de balle à l’occasion de la finale de la coupe de Tunisie 1960 ST-ESS (2-0). C’était la récompense offerte par la fédération aux lauréats du concours du Jeune footballeur où j’ai été une fois septième, une autre neuvième.
En plus d’être un spécialiste de la coupe, l’ASM avait la réputation de posséder de grandes cuvées d’équipes de jeunes…
Oui, nous avons par exemple battu la grande équipe du Club Africain des Attouga, Jalloul Chaâoua, Abderrahamane Rahmouni, Taoufik Klibi, Hamza Mrad… lors de la finale de la coupe de Tunisie juniors en 1964. Notre équipe se composait alors des Ali Selmi, Hedi Mazghouni, Tahar Aniba, et moi-même.
Quels furent vos entraîneurs ?
Omar Ghadhoum chez les jeunes. Sandor Pazmandy, Ahmed Belfoul et Taoufik Ben Othmane chez les seniors.
Les techniciens que vous appréciiez le plus en ce temps-là ?
Pazmandy, Rado et Fabio.
Quel a été votre meilleur match ?
Contre l’Etoile du Sahel à El Menzah. Quel spectacle ! Malgré le nul (0-0), tous les acteurs ont excellé.
Quelle était votre idole ?
Mahmoud Kanoun, le gardien de l’Etoile.
Avez-vous reçu des offres de l’étranger ?
Non, en notre temps, cela n’était pas très courant. Pourtant, j’ai passé trois mois à m’entraîner avec le FC Cologne, en Allemagne sur conseil de Hamadi Chihab, l’ancien milieu de terrain de l’ASM qui y évoluait. J’ai trouvé un rythme infernal, un autre niveau. Cela était sincèrement très très dur pour moi.
Les crampons rangés, vous avez pris en charge les gardiens de l’Avenir…
Oui, j’ai entraîné Sofiène Khabir, Tahar Ferjaoui arrivé de Siliana, Naceur Bedoui, Mohamed Mhadhebi… Après l’aventure en Arabie Saoudite, où j’ai été assistant d’Ali Selmi, j’ai intégré en 1995 le staff technique des jeunes catégories de l’Espérance de Tunis. Les Rami Jeridi, Moez Ben Cherifia, Sami Helal, Bilel Souissi… ont tous été encadrés par mes soins de la catégorie minimes jusqu’à celle juniors. Hamdi Kasraoui était cadet quand il débarqua de Kairouan. Ensuite, j’ai intégré l’Académie de football de l’EST. Compte tenu des exigences de la scolarité des jeunes keepers, je ne pouvais les avoir sous la main que le samedi où il nous arrivait de manquer de terrains pour travailler tellement il y avait du monde. Les autres jours, deux ou trois gardiens étaient là. Je crois que l’aménagement du temps scolaire devient impérieux si l’on veut donner une impulsion à notre football.
Former de jeunes talents, est-ce vraiment difficile ?
C’est la chose la plus difficile qui soit. Un gardien doit travailler la coordination, la vivacité, la souplesse, le placement et la technique du pied. Il ne peut pas aller très loin s’il ne sait pas jouer du pied. L’ancien numéro un du monde, l’Allemand Manuel Neuer, est au fond un excellent joueur du pied. Il ressemble à un libero. En Europe, on confie les jeunes talents à de grands entraîneurs-éducateurs grassement payés parce qu’on est convaincu que la formation, un secteur primordial, n’est pas l’apanage du premier venu.
Quelles sont les qualités d’un bon gardien ?
Il doit être grand de taille, vigilant, rusé et un tantinet fou.
Pourquoi notre football ne produit-il plus de grands keepers ?
Cela tient aux entraîneurs des gardiens dans les jeunes catégories. Par mesure d’économie, on engage des gens qui ne sont pas de véritables spécialistes. A l’arrivée, la formation est tronquée et insuffisante.
Justement, à votre avis, quel est le meilleur gardien de l’histoire de notre football ?
Attouga, sans aucun doute. Sa classe et son intelligence l’ont imposé durablement, ce qui eut pour conséquence de «griller» beaucoup d’excellents portiers. En arrivant en sélection, nous avons trouvé les Kanoun, Gharbi… Les spectateurs de notre époque se sont nourris des exploits du quatuor Attouga, Abdallah, Tabka et moi-même.
Et le meilleur joueur de champ ?
Tahar Chaïbi, mais aussi Tahar Aniba. Dans une autre génération, il y eut les Tarek, Akid, Agrebi…
Que représente pour vous l’ASM ?
Mon père et ma mère. Un peu mon père Chedly que je n’ai pu connaître, car il était parti alors que ma mère Chérifa était encore enceinte, soit quelques mois avant ma venue au monde. Alors que j’étais encore très jeune, le dirigeant «sang et or» Ahmed Nachi m’a proposé un jour de rejoindre l’EST. Je lui ai répondu que je préférais rester à l’ASM qui est plus proche de chez moi.
Enfin, parlez-nous de votre petite famille
Je suis marié depuis 1972 avec Neila Mahdaoui qui exerçait à la Cnss. Nous avons trois enfants: Lamia, Adel et Ahmed. La famille est tout ce que j’ai de plus cher dans ma vie.