L’affaire de la BNA lève le voile sur la corruption qui mine les banques tunisiennes, publiques en l’occurrence. Nombreux sont ceux qui pensent et disent que c’est un secret de Polichinelle.
Depuis sa récente visite au siège de la Banque centrale de Tunisie (BCT), le Chef de l’Etat semble suivre de près le dossier du secteur bancaire. Sa dernière visite inopinée à la Banque nationale agricole (BNA) n’a fait que confirmer cet état de fait. On le voyait dans une vidéo, muni de dossiers liés à cette banque publique. Le cœur de l’affaire, octroi de crédits sans aucune garantie.
Kaïs Saïed a indiqué avoir lui-même préparé un dossier sur nombre de dépassements enregistrés dans des opérations effectuées par ladite banque. Il a fustigé l’attitude cavalière de la banque publique qui viole la loi et dilapide l’argent public. A ce titre, la Commission tunisienne des analyses financières (Ctaf) examinera à la loupe lesdites transactions, tout contrevenant devra donc assumer ses responsabilités.
Ces récentes visites présidentielles s’inscrivent dans une démarche globale de lutte contre la corruption en général et dans le secteur bancaire en particulier. D’ailleurs, ce sont contre des pratiques similaires que les Tunisiens se sont révoltés en 2011. Souvenons-nous, ces crédits « facilement » accordés étaient synonymes de privilèges exclusivement réservés aux gens du sérail, aux personnes proches des cercles du pouvoir et aux amis.
Donnant suite, le parquet a ordonné l’ouverture d’une information judiciaire sur l’octroi de crédits aux personnes physiques et morales par la Banque nationale agricole. L’information a été révélée par le porte-parole du Tribunal de première instance de Tunis, Mohamed Zitouna. L’enquête est du ressort de l’unité nationale d’investigation sur les infractions financières complexes relevant de la direction de la police judiciaire.
Avant cela, il y a une semaine, le Chef de l’Etat avait appelé le gouverneur de la Banque centrale à s’attaquer à la corruption qui gangrène le secteur bancaire. Il avait estimé que la corruption généralisée empêchait les investisseurs de choisir la Tunisie pour y lancer leurs projets. Le Comité tunisien des analyses financières (Ctaf) a été interpelé également pour jouer son rôle comme il se doit. A cet égard, une question se pose : faut-il toujours attendre une réaction du président de la République qui ne cesse de multiplier les déplacements et les visites sur le terrain pour agir ? Nos responsables sont-ils dans l’incapacité de traquer les dépassements et sévir contre la corruption, chacun dans son domaine ?
Distribuer les crédits à tout-va
Au mois d’août dernier, 12 cadres bancaires, en exercice et retraités, avaient été interdits de voyage sur fond d’octroi de crédits sans garanties par une autre banque de la place. Rappelons également qu’un ancien PDG d’une banque publique et un homme d’affaires qui opère dans le secteur de l’emballage et du conditionnement de l’huile ont été arrêtés dans le cadre de cette même affaire.
Revenant sur ces derniers rebondissements, Badreddine Gammoudi, député à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et président de l’ancienne commission de lutte contre la corruption, sollicité par La Presse, a affirmé que ladite commission s’est penchée depuis l’ancienne législature sur la corruption dans les banques notamment publiques. « Nous avons averti que des crédits ont été généreusement octroyés sans garanties par certaines banques. De hauts responsables y seraient impliqués. Nous avons également alerté la Banque centrale sur ces dépassements. La commission a suivi précisément la BNA. Il n’y a pas qu’elle a trempé dans des affaires douteuses. Les dépassements ont été recensés dans plusieurs autres banques. A comparer aux chiffres qui circulent, la réalité est bien pis », a-t-il précisé, ajoutant que certains investisseurs ont bénéficié de crédits de plusieurs centaines de millions de dinars sans garanties ni «dossiers solides». « Ces banques publiques auraient dû financer des secteurs clés comme l’agriculture et le développement, et non pas distribuer les crédits à tout-va », a-t-il tancé.
Les nécessaires réformes du secteur bancaire et financier
La corruption dans le secteur bancaire et dans les transactions financières reste difficile à détecter et à prévenir, car elle implique souvent des actes intraçables. A rappeler que la Tunisie a été définitivement retirée, en 2020, de la liste des pays tiers présentant des carences stratégiques dans leurs dispositifs de lutte contre le blanchiment de capitaux. Si le retrait de cette liste européenne a renforcé en bien l’image du pays, désormais respectueux des normes internationales de transparence financière, la Tunisie reste néanmoins exposée à de hauts risques qui nuisent considérablement à l’économie nationale et aux finances publiques. D’ailleurs, en juillet dernier, la Commission tunisienne des analyses financières a appelé à l’application des mesures de vigilance dans les relations d’affaires avec les personnes résidant dans 26 pays, dont la Turquie, la Jordanie et les Emirats Arabes Unis et à renforcer la surveillance dans le cadre de la mise en œuvre des politiques nationales et internationales de lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent.
Interrogé sur la question, l’ancien ministre des Finances Houcine Dimassi estime que tout tourne autour de l’indépendance de la Banque centrale. « Il faut rappeler que la BCT constitue la pièce maîtresse du système bancaire. Aujourd’hui, on commence à parler de son indépendance ou de son autonomie, alors que tout doit être clarifié à l’avance par la loi. Je pense que tout doit être précisé notamment pour ce qui concerne les prérogatives de l’institution. De plus, le gouvernement et la Banque centrale doivent travailler en coordination, sinon des décisions contradictoires peuvent générer de profondes crises financières », a-t-il averti.
La lutte contre la corruption dans le secteur bancaire est essentielle pour préserver la confiance du public dans le système financier, assurer la stabilité financière et prévenir les crises économiques. Les conséquences de la corruption sont graves, notamment la perte de confiance des investisseurs, la dégradation de la réputation des institutions financières et des perturbations économiques, voire l’effondrement du système bancaire.
Dans le cadre des réformes globales programmées à l’échelle nationale, le secteur bancaire et financier ne doit certainement pas y échapper.
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