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L’inclusion financière à l’ère digitale | Khaled Bettaieb, Expert en finance digitale et inclusion financière à La Presse : Les banques peuvent se tailler une part importante du marché des services financiers

 

Si certains services ne sont accessibles aux Fintechs que grâce à l’open banking, les banques ont une réelle avance puisque disposant de toutes les données leur permettant même de marquer un réel tournant dans leur transformation digitale en utilisant l’Intelligence Artificielle permettant une meilleure connaissance de la clientèle à travers une analyse comportementale très fine.

Le développement du paiement électronique et mobile est le nouveau champ de bataille des banques en Tunisie. En effet, après la diversification des produits et services, le cap est désormais mis sur la généralisation du e-paiement. Quel constat faites-vous de cette vision ?

Nous sommes tous conscients que les clients cherchent des solutions qui leur rendent la vie plus facile et leur font gagner du temps et, pourquoi pas, à moindres coûts. Les banques ont investi dans les solutions de paiement électronique (cartes, TPEs, mobile) pour répondre aux besoins de leurs clients et ne pas risquer de rater le coche et laisser ce marché aux nouveaux acteurs (Fintechs, opérateurs telco et géants de l’internet).

Il est à noter que les banques tunisiennes ont adopté le paiement mobile depuis plus d’une dizaine d’années en s’associant avec les opérateurs telco en offrant des solutions de paiement avec la technologie USSD. L’adoption du paiement mobile par les banques tunisiennes a été d’une manière très timide. La nouvelle Loi bancaire, promulguée en 2016, suivie par les textes de la BCT en 2018 puis en 2020 ont accéléré l’adoption du mobile payment par les banques surtout après l’obtention d’agréments par cinq Établissements de Paiement (EdPs) qui sont, à mon humble avis, considérés à tort comme de possibles concurrents.

Le choix du législateur pour ce nouveau statut est motivé par le vide laissé par les banques et le rôle que peuvent, potentiellement, jouer ces EdPs, à savoir l’inclusion financière des personnes qui, jusque-là, ne font pas partie de la cible des banques ou qui n’ont pas suffisamment confiance en elles.

Selon les statistiques de la BCT, au terme du 3e trimestre de 2023, il y a eu 41 millions de paiements électroniques pour un montant total de 4.489,2 MD, ventilés entre : 66,9% en nombre et 79,4% en montant par des paiements sur TPE,  32,7% en nombre et 19,8% en montant par des paiements sur internet,  0,4% en nombre et 0,8% en montant par des paiements mobiles.

Pour revenir au paiement mobile, il y a eu, au 30/09/2023, l’ouverture de 239.000 wallets par 9 banques et 5 EdPs.

Est-il important d’évaluer l’efficacité de cette démarche qui a pour objectifs l’inclusion financière et le décashing et de savoir s’ils pourraient être atteints à travers l’adoption du paiement mobile par les banques ?

Ne disposant pas de la part des wallets ouverts par les banques et celle ouverts par les EdPs, nous ne pouvons pas nous prononcer sur l’effort fourni par ces derniers, sachant que les banques ont, dans une large mesure, ciblé leurs clients qui disposent déjà de comptes et de cartes bancaires. Nous essaierons de répondre à cette question à travers les données disponibles, à savoir le nombre de wallets, le nombre et le volume des transactions.

Le nombre de transactions s’est élevé à la fin du 3e trimestre de 2023 à 159.000, pour un montant total de 34,8 MDT, répartis en nombre entre 50% de paiements, 12% de transferts et 38% de retraits et en montant entre 78% de paiements, 10% de transferts et 12% de retraits.

Chaque wallet n’a réalisé que 0,7 transaction et si on exclut les retraits, il n’a réalisé que 0,4 transaction de paiement ou de transfert, ce qui ne pourrait s’expliquer que par le nombre très important de wallets non actifs.

Une telle situation ne fait que confirmer que les objectifs n’ont pas, à ce jour, été atteints et l’adoption du paiement mobile par les banques n’est pas la solution.

La finance est de plus en plus bousculée par les nouvelles technologies, d’internet à l’intelligence artificielle en passant par la blockchain et les cryptomonnaies. Selon vous, innovation et régulation sont-elles compatibles?

En réalité, et par référence à d’autres expériences, le mobile ne doit pas uniquement servir aux paiements mais à divers services recherchés par les clients : agrégation de comptes, paiements récurrents, crowdfunding, gestion des finances personnelles, e-KYC, etc.

Si certains services ne sont accessibles aux Fintechs que grâce à l’open banking, les banques ont une réelle avance puisque disposant de toutes les données leur permettant même de marquer un réel tournant dans leur transformation digitale en utilisant l’Intelligence Artificielle permettant une meilleure connaissance de la clientèle à travers une analyse comportementale très fine.

Il est donc évident que les banques peuvent se tailler une part importante du marché des services financiers électroniques si elles adoptent la démarche des Fintechs (agilité, innovation, adaptabilité, flexibilité, etc.).

De toutes les manières, les banques ne doivent pas se positionner seules sur ces créneaux et le régulateur tunisien devrait donner plus de chance aux Fintechs en leur donnant la possibilité d’offrir toute la panoplie de services financiers possibles et en accélérant la promulgation du texte relatif à l’open banking.

Les banques tunisiennes peuvent, à l’instar d’autres expériences dans le monde, se rapprocher des Fintechs, par des acquisitions ou des partenariats, pour offrir toute la panoplie de services financiers innovants.

Une telle situation contribuera à transformer la menace ressentie par les banques en opportunité puisque les Fintechs pourraient contribuer, grâce à l’innovation, à la dynamisation du marché et à l’inclusion financière, ce qui ne manquera pas à terme pour les banques de capter une bonne partie des clients des Fintechs une fois ceux-ci matures.

De son côté, le régulateur devrait se montrer résilient en accordant une plus grande flexibilité aux Fintechs, sans perdre de vue sa mission essentielle : la maîtrise du risque et la protection des consommateurs.

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