Devant l’ampleur des dégâts environnementaux causés par l’économie linéaire, en plus des pertes énormes de matière et d’énergie, est apparue la nécessité de repenser le modèle économique, pour réduire l’empreinte écologique, et le rendre plus durable. D’où la notion d’économie circulaire.
Quelle place occupe l’économie circulaire dans le secteur du transport ?
Commençons par définir l’économie circulaire. Celle-ci se définit par opposition à l’économie linéaire. Le modèle économique traditionnel, et dominant, est basé sur un processus où les matières premières sont extraites, transformées en produits, lesquels produits sont consommés et à la fin ils sont jetés, ou ce qui en reste, à la poubelle et finissent souvent dans des décharges sinon dans la nature. Le modèle d’économie linéaire peut être résumé dans la séquence : extraire-fabriquer-consommer-jeter, dans l’économie linéaire on ne se soucie que peu de l’empreinte écologique des biens matériels que nous consommons tous les jours et de leurs impacts sur l’environnement. Le modèle d’économie linéaire donne la priorité au profit plutôt qu’à la durabilité. Souvent, les produits sont conçus pour être déclassés rapidement (effet de mode ou de progrès technique) et pour être jetés une fois utilisés.
Devant l’ampleur des dégâts environnementaux causés par l’économie linéaire, en plus des pertes énormes de matière et d’énergie, est apparue la nécessité de repenser le modèle économique, pour réduire l’empreinte écologique, et le rendre plus durable. D’où la notion d’économie circulaire. Contrairement à l’économie linéaire, l’économie circulaire est basée sur trois principes, qui sont : réduire, réutiliser et recycler. L’économie circulaire commence par la réduction des déchets à la source, par l’évitement, la sobriété et l’utilisation de produits peu générateurs de déchets. Ensuite, tout produit, bien de consommation ou bien durable, doit être conçu techniquement pour être réutilisé et recyclé. L’économie circulaire favorise la sobriété, c’est-à-dire l’économie à l’usage, la réutilisation d’un même produit plusieurs fois et enfin, la recyclabilité en fin de vie en un autre produit socialement et économiquement utile.
Maintenant par rapport à votre question sur l’économie circulaire dans le secteur des transports, les principes de l’économie circulaire peuvent être appliqués. Comment cela ? Le secteur du transport est vital pour l’économie et la société. Sa fonction est d’offrir aux usagers un service de mobilité qui soit adapté à leurs besoins et à leurs bourses. Pour offrir ce service, les opérateurs du transport utilisent des véhicules (bus, minibus, trains, taxis, etc.). Ces moyens de transport ont une durée de vie bien déterminée. A la fin de cette durée de vie, il va falloir se défaire de ces équipements, par ailleurs encombrants et polluants. L’application de l’économie circulaire dans ce domaine consisterait, tout d’abord, à choisir des modèles de véhicules qui permettent aux différents composants du véhicule d’être recyclés. Ensuite, l’entreprise de transport doit assurer un service d’entretien et de maintenance de qualité, permettant ainsi d’allonger la durée de vie des véhicules. Enfin, l’entreprise de transport doit organiser avec d’autres opérateurs industriels un système de démontage-recyclage. Dans le cas de la Tunisie, ceci n’existe pas encore. Les bus et autres véhicules de transport usés ou réformés, sont stockés pêle-mêle dans des hangars ou des dépôts de ferrailles, lesquels se font de plus en plus étroits, sans aucun traitement ni mesure de précaution environnementale.
Il y a ainsi une responsabilité partagée entre, d’une part, l’opérateur de transport et, d’autre part, les pouvoirs publics. Le rôle de ces derniers est extrêmement important, notamment dans le développement de la réglementation, la mise en place d’instruments fiscaux d’incitation et/ou de dissuasion, la facilitation de l’organisation des filières de récupération, de rénovation et de recyclage et enfin, par la mise en place de politiques publiques en faveur de l’industrie de recyclage et de reconstruction mécanique.
Quel bilan peut-on en tirer en termes de recyclage et de réduction des déchets de produits manufacturés ?
Aujourd’hui, il est difficile de parler de bilan dans le cas de la Tunisie. En réalité, très peu a été fait à ce jour dans le sens de l’économie circulaire. Ceci n’est pas propre à notre pays, étant donné que ce concept est encore nouveau. Mais également parce que son application généralisée, c’est-à-dire le passage du modèle linéaire au modèle circulaire est une affaire de transformation profonde dans les économies et les sociétés et qui risque de prendre plusieurs années. A titre d’exemple, aujourd’hui dans le monde, sur les 8,3 milliards de tonnes de matières plastiques produites, 6,3 milliards finissent en déchets et seulement 9 % de ces déchets sont recyclés (source : Ocde 2022). L’immense majorité finit sur les sites d’enfouissement sinon carrément dans la nature et souvent en mer.
Aujourd’hui quelles sont les solutions qui existent en Tunisie dans le domaine de l’économie circulaire pour les industriels?
Les autorités publiques ont mis en place, depuis deux décennies environ, quelques mesures d’encouragement aux unités de recyclage des matériaux comme le plastique et le papier. Ces encouragements, consistant dans une légère défiscalisation, n’ont pas été suffisants pour booster l’industrie de recyclage. Celles-ci sont généralement fortement capitalistiques et peu rentables. En outre, les pouvoirs publics, à travers l’Agence nationale de gestion des déchets (Anged), ont commencé l’organisation de filières de récupération et de recyclage. Les résultats de ces filières ne sont pas encore visibles. Actuellement, on parle d’un projet de texte juridique pour obliger et organiser le tri des déchets à la source.
Bien que l’économie circulaire soit aujourd’hui sujet d’actualité, elle reste absente de la plupart des modèles d’affaires et des grappes industrielles. Quels sont donc les obstacles qui freinent son adoption ?
Je pense que la culture d’économie circulaire commence à faire son chemin, petit-à-petit, auprès des entreprises tunisiennes. J’ai personnellement eu l’occasion de participer à des projets et initiatives du secteur privé en Tunisie. La prise de conscience commence à s’installer, aussi bien chez les décideurs publics que privés. Quant aux obstacles, ils sont de deux types : économiques et culturels. Du côté économique, prévoir des instruments fiscaux et financiers d’incitation aux entreprises qui se regroupent ou s’organisent entre-elles pour gérer leurs déchets d’une manière durable, par exemple au niveau des zones d’activité ou des régions, pour créer des «éco-entreprises» pour gérer les filières de récupération, de recyclage et de valorisation. Côté culturel, il s’agit de responsabiliser le consommateur (public et privé) à travers une communication forte, en profondeur et soutenue, capable de contrer la forte machine de publicité et de marketing.