Par son emplacement géographique stratégique, la Tunisie constitue un point de transit privilégié et très recherché par les migrants subsahariens affluant par milliers par la voie maritime et par les longues frontières avec l’Algérie et la Libye.
Pour la petite histoire, il est bon de rappeler que nous avions dans ces mêmes colonnes annoncé en exclusivité, au mois de janvier dernier, l’apparition de signes avant-coureurs de l’émergence d’un nouveau trafic de migrants à destination de l’Italie. Ce sont, on s’en souvient, les médias italiens qui en ont fait état, à la suite d’aveux arrachés à quelque 118 Subsahariens arrêtés lors de leur débarquement dans l’île de Lampedusa. Depuis, ce que d’aucuns se sont empressés alors de considérer comme «des actes isolés sans lendemain» s’est transformé en phénomène à l’os dur à ronger. Une vérité reconnue aujourd’hui non seulement jusqu’aux confins de la Botte italienne, mais aussi dans le Vieux Continent où l’Union européenne (UE) a consacré une enveloppe de 278 millions d’euros à la gestion des frontières et au financement de programmes dont justement la lutte contre le trafic de migrants.
Ce montant fait partie du «Pacte migration et asile» adopté le 10 avril dernier par l’UE et comprenant une dizaine de législations portant sur les contrôles des arrivées aux frontières et autorisant les pays les plus menacés, l’Italie et la Grèce en tête, à durcir la politique de gestion de ce fléau grandissant. Selon le Financial Times qui a rapporté cette nouvelle, «l’UE prévoit également d’allouer 164,5 millions d’euros à la Tunisie pour renforcer les opérations de contrôle menées par les unités maritimes de la Garde nationale et acquérir des radars et bateaux d’intervention».
Le montant d’une seule transaction entre cinq et neuf mille dinars
Autant dire que la gestion des flux migratoires clandestins s’est complexifiée davantage par le dernier-né des trafics, celui de migrants, qui a été vigoureusement condamné par le Président Kaïs Saïed et la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, lors de leur rencontre au Palais de Carthage. Évoqué ainsi à la plus haute sphère des deux pays, ce sujet d’actualité revêt une extrême importance. C’est d’autant plus vrai que dès qu’on ouvre ce dossier, il n’est nullement exagéré de parler de «mafia», dans la mesure où il a été établi qu’il s’agit de prolifération de réseaux puissants, indiquent des sources sécuritaires sous le couvert de l’anonymat. Selon celles-ci, les réseaux actifs étaient, au départ, essentiellement tunisiens, avant de voir des concurrents libyens et algériens, attirés par ce business lucratif, venir progressivement mettre la main à la pâte. Pour s’offrir le «gibier le plus abondant, le stratagème est simple : contacter, en toute discrétion, les réfugiés subsahariens où qu’ils se trouvent, puis négocier avec eux jusqu’aux moindres détails, et le tour est joué. Une fois le montant de la transaction (entre cinq et neuf mille dinars) encaissé par le boss, des camionnettes s’amènent pour embarquer les «clients», au clair de lune, vers un lieu de rassemblement qui est généralement une plage éloignée et déserte. Et hop, destination Lampedusa.
Selon les mêmes sources, des chefs de réseaux détectent un «collaborateur» qui sera chargé de dénicher le maximum de candidats à la très convoitée traversée méditerranéenne. S’il y parvient, tout intermédiaire bénéficie, en guise de récompense, d’une remise substantielle sur le tarif de sa propre migration en Italie. Discrète à ses débuts, cette tactique s’est développée récemment au point que des intermédiaires subsahariens ont désormais recours aux réseaux sociaux. Et les poissons de mordre à l’hameçon !
Il a disparu avec l’argent de 120 Subsahariens !
Heureusement, pas toujours, car les forces de sécurité intérieure, constamment sur le qui-vive 24 heures sur 24, ont fini par découvrir le pot aux roses, aidées en cela-en grande partie par le scandale qui a éclaté dernièrement sur le réseau facebook, après qu’un intermédiaire, le dénommé Cherif de nationalité malienne, a disparu avec l’argent de 120 Subsahariens auxquels il avait promis de rallier Lampedusa en trois convois. Est-ce là le début de la fin de ce ménage ?
«Non, il est très tôt de crier victoire», estiment nos sources qui imputent leur réserve à la conjugaison de plusieurs facteurs non négligeables. Primo, le nombre indéterminé de réseaux qui ont investi dans ce trafic, avec l’implication de plus en plus évidente de groupes de Subsahariens. Secundo, tous ces réseaux, jusqu’ici presque exclusivement concentrés dans le Sud (Médenine, Tataouine, Gabès et surtout Sfax) essaiment aujourd’hui dans pratiquement toutes les régions du pays. Tertio, la Tunisie, par son emplacement géographique stratégique, constitue, jusqu’à nouvel ordre, un point de transit privilégié et très recherché par les migrants subsahariens affluant par milliers par la voie maritime et par les longues frontières avec l’Algérie et la Libye.
Tout cela, ajoutent nos sources, sans compter avec l’expérience et la témérité consommées et des passeurs (au niveau des frontières) et des organisateurs de traversées qui changent fréquemment de terrains de jeu et de manœuvres tactiques dans les opérations de ciblage de leurs futures victimes. Ainsi, il s’est avéré que, pour mettre le cap sur Lampedusa, leurs sorties en mer ne s’opèrent plus seulement à partir des côtes habituelles de Sfax, Kerkennah, Mahdia et Kélibia. Désormais, ils jettent leur dévolu sur des zones côtières éloignées et aux plages rocheuses et désertées, particulièrement celles des gouvernorats de Bizerte et Nabeul. De surcroît, les réseaux d’envoi des Subsahariens utilisent aujourd’hui des embarcations de moins en moins sécurisantes, dont certaines leur sont cédées par les migrants africains, après que ceux-ci les ont volées dans nos ports et alentours où les réclamations et plaintes des pêcheurs ne se comptent plus !
Que disent les chiffres ?
Une certitude, la Tunisie n’a jamais lésiné sur les moyens pour freiner cette fulgurante invasion migratoire. Allons aux chiffres: entre le 4 et le 6 avril de l’année en cours, les unités maritimes de la Garde nationale ont déjoué 117 tentatives de migration clandestine. Le 8 avril, 13 corps ont été récupérés et deux mille Subsahariens interceptés en mer près de Sfax.
Un réseau de trafic de migrants composé de dix personnes a été auparavant démantelé le 4 avril entre les gouvernorats de Sidi Bouzid, Kasserine, Gafsa et Tozeur. Au mois de mars dernier, huit tentatives de migration irrégulière ont été mises en échec dans le sud du pays et ont entraîné l’arrestation de 175 personnes dont trois boss tunisiens.
En 2023, la Tunisie peut se targuer d’un joli bilan, avec l’avortement de 170 tentatives et l’arrestation de 5.404 (entre clandestins et passeurs) et la saisie de plusieurs embarcations et d’importantes quantités de moteurs marins et de carburant. In fine, c’est là une preuve éclatante de la détermination et de la réussite avec lesquelles la Tunisie, malgré ses moyens limités, continue de combattre ce grave fléau des temps modernes. Et le pays fait bonne figure de l’avis même de Mme Meloni qui a, au cours de sa dernière visite dans notre pays, fait état de «résultats positifs pour ce qui concerne la question de la lutte contre la migration irrégulière et la lutte contre la traite des êtres humains».
De quoi rendre à César ce qui appartient à César.