Tribune | Quel avenir pour la Cinémathèque tunisienne ?

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Par Hichem BEN AMMAR *

Cinq ans après son lancement, en 2018, la Cinémathèque tunisienne, projet national d’envergure, longtemps attendu, semble végéter et piétiner. Elle traverse en effet une crise qui révèle son bilan peu enthousiasmant car elle ne réussit ni à capitaliser ni à valoriser ses acquis. 

Le poste de directeur de la Cinémathèque est vacant depuis plusieurs mois. Trois directeurs successifs, empêchés d’accomplir leur mission selon les normes, ont baissé les bras, ce qui est assez significatif du marasme persistant.

Créée sous le signe de la synergie et de l’optimisation des ressources, à la fois humaines et matérielles, pour croître au sein d’une structure d’appui, sous tutelle du ministère des Affaires culturelles, à savoir le Centre national du cinéma et de l’image (Cnci), la Cinémathèque a été acclamée, lors de sa mise en place, comme un des fleurons de la révolution et de la transition démocratique. 

Faute de planification, de coordination et d’une vision stable, cette entité à vocation patrimoniale et pédagogique souffre plus que jamais de l’absence d’un manuel de procédure régissant les relations entre la direction de la Cinémathèque et sa hiérarchie, la direction générale du Cnci en l’occurrence.

Etouffée par la lourdeur bureaucratique, la Cinémathèque a été progressivement privée des moyens financiers qui lui étaient impartis. Très vite, elle est devenue incapable d’assurer son rôle de gardienne de la mémoire du cinéma tunisien. Assujetties aux dysfonctionnements ambiants, ses prérogatives ont été réduites à de la pure et simple animation culturelle, à un rythme sporadique.

Aujourd’hui, il semble que tout soit encore à faire, car l’amélioration de la gouvernance de la Cinémathèque ne peut se concrétiser que dans le cadre d’une réforme globale du cinéma. 

Le Cnci étant lui-même appelé à être restructuré en profondeur, il faut insister sur l’importance des mesures à entreprendre d’urgence au niveau de la Cinémathèque afin de garantir :

• La préparation du changement dans le cadre de nouvelles orientations stratégiques.

• Le suivi par des experts du chantier patrimonial en cours à la Bibliothèque nationale.

Sachant l’intérêt manifesté au plus haut sommet de l’Etat envers les archives audiovisuelles, il est important de signaler que de nombreux cinéastes sont également très préoccupés par la manière improvisée et peu méthodique avec laquelle ont été transférés des documents historiques d’une inestimable valeur, des laboratoires de l’ex-Satpec, vers la Bibliothèque nationale.

Le déplacement des bobines ayant été effectué en catastrophe, aucun expert n’en a supervisé le déroulement. Il est donc impératif, à ce stade, d’informer, dans la transparence, l’opinion publique de l’avancement de ce chantier de sauvegarde de la mémoire, auquel la Cinémathèque, d’abord exclue, n’a que tardivement été associée.

En effet, le Cnci et la Cinémathèque n’ont été appelés à la rescousse que lorsque le département des arts audiovisuels du ministère des Affaires culturelles, initialement chargé de ce dossier délicat, a été désavoué, ayant démontré son incapacité à assurer le bon déroulement des opérations. S’inscrivant dans une série d’ordres, de contre-ordres, de brusques revirements et de désaveux, l’absence de contrôle et de suivi par des compétences reconnues suscite aujourd’hui les inquiétudes les plus légitimes quant aux risques de déperdition de bobines et autres périls ou préjudices.

Tous ces incidents de parcours et ces déconvenues nous éclairent sur ce que doit être la Cinémathèque. La rectification du tir s’impose donc. Le devenir de ce fer de lance de la culture nationale constitue, on le voit bien, un enjeu primordial pour le développement du cinéma sous nos cieux. Cette institution phare a le devoir de hisser le public, les cinéphiles, les professionnels et tous les opérateurs culturels vers l’excellence pour contribuer au rayonnement de l’image de marque de notre pays. 

Il serait sage de profiter du ralentissement des activités publiques de la Cinémathèque, voire de leur arrêt momentané, en raison de la vacance du poste de directeur, pour établir une feuille de route comportant des objectifs aussi précis que réalistes, envisageant la réouverture de la Cinémathèque (d’ici la fin de 2024), sur des bases solides et durables, à l’orée des changements structurels qui se profilent.

H.B.A.

(*) Directeur artistique de la Cinémathèque tunisienne (de janvier 2017 à août 2020)

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