Dilemme des bas salaires : Pourquoi il est temps de revoir le modèle économique

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Une grande partie de l’économie tunisienne repose sur des secteurs à faible valeur ajoutée, comme le textile et l’agriculture qui ne génèrent pas suffisamment de revenus pour permettre des salaires élevés. Historiquement, la Tunisie a également misé sur une main-d’œuvre faiblement qualifiée et travaillant moyennant de bas salaires pour attirer les investissements européens. Aujourd’hui, cette situation semble bloquer l’économie et avoir des incidences sur le pouvoir d’achat et le mode de vie des Tunisiens. 

Vivre dignement avec son salaire est devenu difficile en Tunisie. Alors que les prix des produits de consommation augmentent constamment, les salaires restent figés. Inutile de rappeler que le Smig (460 dinars) n’a pas augmenté depuis plusieurs années. Les bas salaires ont fait basculer une partie de la classe moyenne vers la pauvreté et paupérisé la classe moyenne supérieure.

Selon les données de l’Institut national de la statistique (INS), le salaire moyen dans la grille nationale des salaires, en 2023, est de 640 dinars tunisiens (environ 220 euros) par mois. Ce salaire est calculé sur la base des données de l’enquête nationale sur l’emploi et le chômage.

Cependant, cette donne ne peut pas, à elle seule, expliquer la réalité des choses, dans la mesure où les salaires varient d’un secteur à un autre et d’une profession à une autre. Par exemple, les salariés du secteur public ont tendance à gagner plus que ceux du secteur privé. Les personnes qui ont un niveau d’éducation supérieur ont également tendance à gagner plus. Enfin, les salariés qui travaillent dans les grandes villes ont plus de chance de gagner plus que les salariés qui travaillent dans les petites villes ou les zones rurales.

Généralement, les salaires en Tunisie sont très bas, si l’on compare avec les pays de la région. Le salaire moyen mensuel du Maroc, quel que soit le secteur, est d’environ 340 euros. En Algérie, le salaire moyen est d’environ 296 euros, ce qui fait de la Tunisie un des pays qui payent le moins ses travailleurs.

Quid des réformes ?

Autant dire que cette situation se traduit par une frustration généralisée, notamment pendant les périodes de grande consommation, comme la saison estivale ou encore les périodes des fêtes.

De plus en plus de Tunisiens expriment leur difficulté à joindre les deux bouts, confrontés à un coût de la vie sans cesse en hausse et des rémunérations qui stagnent. La situation tellement critique a contraint de nombreuses familles à faire des sacrifices importants pour subvenir aux besoins essentiels.

Puisque parallèlement, le coût de la vie en Tunisie a considérablement augmenté ces dernières années. Les prix des denrées alimentaires, des logements et des services de base ont connu une hausse marquée. En conséquence, même les ménages à double revenu trouvent difficile de maintenir un niveau de vie décent. Les augmentations salariales, lorsqu’elles existent, ne suivent pas l’inflation, aggravant ainsi la situation économique des travailleurs.

Pour sortir de cette impasse, des réformes économiques profondes sont nécessaires. Au moment où la Tunisie s’est lancée dans une restructuration de son économie et ses finances, peut-on aspirer à une augmentation des salaires malgré la crise ?

Pour les experts, il est difficile d’augmenter les salaires en cette période, même si une telle décision peut stimuler la consommation et redynamiser plusieurs secteurs. En effet, l’économiste Imed Berrabah estime qu’une telle décision ne peut pas être appliquée actuellement en Tunisie, compte  tenu du grand nombre de fonctionnaires du secteur public. «L’augmentation du nombre de fonctionnaires du public au cours de la dernière décennie a entraîné une inflation des dépenses liées aux salaires, malgré la réduction incessante du nombre de fonctionnaires. De plus, le secteur énergétique épuise les ressources de l’État, en raison de la baisse de la production de combustibles fossiles au cours des deux dernières décennies, obligeant le pays à couvrir son déficit de consommation, qui a atteint plus de 50%, par l’importation», a-t-il expliqué à La Presse. Et de reconnaître que les salaires en Tunisie demeurent très bas, notamment dans le secteur privé.

C’est un modèle en héritage

«Ce que certains reprochent au gouvernement, c’est son incapacité à trouver des solutions à ces problèmes, et son insistance uniquement sur l’augmentation des impôts et l’emprunt, qui peuvent contribuer à renflouer les caisses de l’État, mais ne font qu’aggraver les conditions de vie et éroder le pouvoir d’achat des Tunisiens», a-t-il encore précisé. A cet effet, Berrabah propose d’alléger l’assiette fiscale, notamment au bénéfice de la classe moyenne et de maîtriser davantage les prix des produits de consommation, mais aussi ceux de l’immobilier.

Pour sa part, l’économiste Abdeljelil Bedoui explique la question des bas salaires par l’héritage d’un modèle de développement extensif, remontant aux années 60’ et qui «limite la base productive de la richesse».

«Pendant plus de 50 ans, le pays s’est spécialisé dans les projets qui requièrent de façon massive des ouvriers faiblement qualifiés avec des salaires bas. Du fait même de notre type d’insertion internationale, ce modèle a limité notre capacité à créer la richesse. Or, on ne peut pas améliorer l’épargne si on ne procède pas à une création continue et accélérée des richesses», a-t-il expliqué.

«L’Etat doit intervenir. Il peut le faire par le biais d’un code d’investissement qui oriente les ressources vers de nouvelles productions plus denses dans l’usage d’une main-d’œuvre qualifiée et dans l’usage d’une technologie améliorée. Il peut le faire lui-même ou en accordant des avantages fiscaux et financiers aux investisseurs qui s’orientent vers les projets novateurs. Ceci est possible grâce à la révision de la loi sur l’investissement», a-t-il appelé.

Vers une augmentation du Smig ?

En tout cas, cette situation est traitée au plus haut niveau de l’Etat. L’augmentation du salaire minimum et des politiques visant à contrôler l’inflation sont des mesures urgentes. En outre, la création d’emplois, notamment par l’encouragement de l’investissement et de l’entrepreneuriat, est essentielle pour réduire le chômage et améliorer les salaires.

Le Président de la République, Kaïs Saïed, a reçu, récemment, Kamel Maddouri, ministre des Affaires sociales. Parmi les sujets abordés figurait, justement, le réajustement automatique des pensions des retraités des secteurs public et privé. Le Chef de ľEtat a recommandé d’accélérer l’augmentation du salaire minimum garanti, ainsi que l’augmentation des allocations destinées aux familles nécessiteuses et du salaire minimum industriel garanti, tout comme les pensions d’invalidité versées par la Caisse nationale d’assurance maladie, dans le cadre du régime d’assurance contre les accidents de travail et les maladies professionnelles.

Saïed a précisé que ces augmentations devraient réduire le taux de pauvreté, mais elles doivent être accompagnées d’autres mesures et d’augmentations périodiques, pour limiter les inégalités sociales et garantir une vie digne à chaque citoyen.

Renforcer l’économie formelle

Si, actuellement, il n’est pas possible de prévoir d’importantes augmentations des salaires au profit des fonctionnaires, à moyen et long terme il est obligatoire, pour les experts, de créer des richesses et renforcer l’économie formelle. En effet, le renforcement de l’économie formelle est également crucial. Promouvoir la formalisation des entreprises et des emplois pourrait offrir de meilleures conditions de travail et des salaires décents.

En conclusion, bien que la situation actuelle soit préoccupante, des efforts concertés et des politiques ciblées peuvent améliorer les conditions de vie des Tunisiens et leur permettre de vivre dignement de leur travail. La route est longue, mais elle est essentielle pour faire du bien-être des citoyens une préoccupation majeure.

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