Hammam-Lif: Ville oubliée… Plage défigurée

La baie de Tunis et en particulier sa banlieue sud et la ville balnéaire d’Hammam-Lif subissent depuis plusieurs décennies une pollution côtière grandissante et chronique à l’origine de la dégradation de son écosystème côtier et de sa plage.


Du point de vue historique et culturel, Hammam-Lif existe depuis au moins 2.800 ans, et à l’époque carthaginoise portait le nom de Naro ou la cité du feu (entre -800 et -700 ans Av-JC). Après la destruction de Carthage, Persian, un romain découvre dans la ville des eaux thermales et lui donne alors le nom d’Aquae Persianae ou les «Eaux de Persians».

Les Arabes la rebaptisent Hammamet Al-Jazira, puis Hammam-Lif, composition des termes «Hammam» et «anf» (nez) en raison de la capacité de ses sources à guérir les infections respiratoires.

Sous l’époque ottomane, vers 1750, des structures sont édifiées autour des deux principales sources Aïn El Bey et Aïn El Ariane. Enfin, le bey Hussein, en 1826, y fait construire une résidence d’hiver.

Suite à l’érosion côtière associée à l’augmentation du niveau des eaux au cours du dernier siècle, ainsi qu’aux fortes tempêtes de mer enregistrées durant les hivers 1981 et 1982, le ministère de l’Equipement et de l’Habitat, en concertation avec la Mairie de la ville d’Hammam-Lif a décidé de construire huit brise-lames (brise-lames N°1 à 8 du Nord-Ouest au Sud-Est) d’une longueur totale de 1.300 m, entre 1983 et 1984 pour protéger la ville côtière de l’érosion marine.

Dans un premier temps, en arrière des structures rocheuses, des plages alvéolaires sablonneuses et de bonne dimension se sont formées, mais les 4 dernières structures, plus à l’Est, ont accumulé plus de sable, des feuilles et mattes de posidonies dès les premières années.

Plus récemment, et depuis les années 2000, l’hyper-fonctionnement des tombolos (cordon littoral constitué  par une levée de galets ou de sable) et la pollution engendrée par l’oued Méliane, ainsi que l’impact des projets d’aménagement des lagunes nord et sud de Tunis (le Lac nord sera aménagé entre 1985 et 1988, tandis que le Lac sud sera aménagé entre 1998 et 2007)ont entraîné la destruction de l’écosystème côtier, en particulier l’herbier de posidonies, ainsi que l’envasement et le colmatage de l’ensemble des espaces situés entre les brise-lames et la plage d’Hammam-Lif.

Ce phénomène a entraîné le développement et le piégeage d’importantes quantités d’algues (Chaetomorphes, Ulves), mais surtout les débris provenant des herbiers de posidonies, dont la mortalité a considérablement augmenté lors des deux dernières décennie, suite à l’augmentation de la teneur en matière organique, d’une eutrophisation croissante de phénomènes à l’origine de l’augmentation chronique de la turbidité des eaux dans la partie ouest et sud de la baie de Tunis et, en particulier, les régions de Radès, Ezzahra et Hammam-Lif.

Aujourd’hui, les eaux côtières sont polluées, et la plage est envasée et dégradée suite à la décomposition printanière et estivale des débris d’algues et de posidonies qui ont détruit l’esthétique, ainsi que la qualité des eaux. Des dégagements d’H2S toxique ont même été enregistrés au cours des 3 dernières périodes estivales lorsque les fortes chaleurs associées aux développements bactériens et phytoplanctoniques entraînent l’apparition de phénomènes d’anoxie et de mortalité de mollusques et poissons.

Il apparaît ainsi que cette région côtière du gouvernorat de Ben Arous, qui constituait dans les années 1980 un patrimoine culturel et naturel unique en Tunisie en raison de la proximité de la mer et de la montagne, a vu, suite à un mauvais aménagement côtier, la perte d’un atout socioculturel et socioéconomique de grande valeur.

Suite aux activités du projet italo-tunisien Medcot, dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen Enpi CBC-MED, deux actions pilotes ont été mises en place à Hammam-Lif et ont réussi dans l’ensemble à améliorer les conditions écologiques de l’environnement côtier (voir rapport final et résultats des analyses scientifiques du projet Medcot), mais qui nécessite cependant aujourd’hui maintenance, entretien et réplication ou généralisation des actions entreprises.

L’aménagement côtier du brise-lam numéro 2 et la mise en circulation permanente entre les eaux du large et la plage adjacente ont créé une dynamique et une circulation naturelle des eaux, ce qui empêche ou limite significativement la sédimentation côtière et l’accumulation de débris de posidonies, et d’algues.

La création d’une plage écologique devant le brise- lame numéro 5 a permis d’aménager écologiquement une zone côtière inutilisée et qui aujourd’hui doit être entretenue pour continuer à attirer enfants et familles.

Cependant, un ensemble d’actions de maintien des acquis, mais aussi de réhabilitation et d’aménagements peuvent encore être envisagées pour améliorer les conditions environnementales et esthétiques de la plage et de la corniche d’Hammam-Lif.

A ce sujet, les scientifiques de la faculté des Sciences de Bizerte, représentés par le rédacteur de cet article, issu d’une famille installée à Hammam-Lif depuis 1903, ainsi que les ingénieurs et administrateurs de la municipalité d’Hammam-Lif, deuxième partenaire tunisien du projet, avaient en 2015 reçu l’assurance par le ministère de l’Environnement et l’Apal que les actions permettant une amélioration de la qualité des eaux et leur remise en circulation se poursuivraient dans les années à venir sur la base du modèle hydrodynamique appliqué au brise-lames N°2.

Des actions à l’échelle nationale et régionale (gouvernorats de Tunis, Ben Arous et  Nabeul) sont indispensables pour sauver non seulement la plage d’Hammam-Lif, mais l’ensemble de la Baie de Tunis, en particulier :

Un traitement tertiaire des eaux de l’oued Méliane, mais aussi de l’oued El Bey à Soliman.

Une gestion de tous les rejets des villes côtières avec un engagement de l’Onas sur la qualité des eaux de rejet en période de pluies.

Le réaménagement de l’ensemble de brise-lames mal dimensionnés et mal installés en mer et, en particulier, les brise-lames 1, 3 et 4 de la ville d’Hammam-Lif.

Enfin, un possible aménagement à venir d’un émissaire en mer de plusieurs kilomètres qui déchargerait les eaux de l’oued Méliane au large permettant une plus large dilution par les courants marins.

L’esthétique de la plage d’Hammam-Lif et son développement socioéconomique durable pourraient se faire par l’application des mesures suivantes, idées largement partagées depuis une dizaine d’année par tous les nouveaux responsables politiques, régionaux et locaux :

-Le nettoyage régulier toute l’année des déchets organiques et plastiques de la plage entre Boukornine et Diar Essaboun (2,2 km) par les ouvriers de la municipalité et renforcement privé si nécessaire et si un budget est prévu (faire intervenir la société civile et les associations).

-L’arrachage des mauvaises herbes manuellement (pioches, râteaux) par les ouvriers de la municipalité entre la Sirène et la mosquée Belhadj et devant Diar Essaboun au cours de la période de février à juin. Il est important de commencer très tôt cette action (février – mars) avant la floraison et fructification des plantes vivaces qui se développent sur le sable artificiel déposé par l’Apal depuis des décennies.

-Le nettoyage, la maintenance et le renforcement de la plage écologique existante en réalisant l’implantation de plantes dunaires esthétiques et qui favorisent la fixation des dunes et limitent l’érosion côtière (modèles existant sur les plages voisines de Soliman).

-Le nettoyage de la chaussée de la corniche à l’eau régulièrement (possibilité de creuser des sondages sur la corniche pour le nettoyage et l’arrosage et éventuellement pour des douches publiques).

-La plantation d’arbres côtiers sur toute la longueur de la corniche.

-Dans les bacs actuels qui sont sur la corniche, il est possible de planter des pins parasols ou des pins (ces arbres existent dans nos pépinières).

-L’installation de poubelles en fer tous les 30 mètres, peintes en bleu ou en vert avec base démontable pour en éliminer tous les jours les déchets (prévoir entre 80 et 100 poubelles pour couvrir les 2,2 Km de plage et corniche d’Hammam-Lif).

Sur la base du modèle réussi de l’aménagement du brise-lame N°2 situé en face du Casino, il faut réaliser chaque année l’aménagement d’un brise- lame en commençant par le brise-lame N°3, puis le N°4 et terminer par le N°1 en utilisant les résultats de la modélisation hydrodynamique côtière et la reconfiguration géométrique des brise-lames et de leur distance avec la nouvelle plage.

-La création d’esplanades en bois sur les zones des plages trop encombrées par la végétation côtière. La première esplanade en bois devrait voir le jour devant le Casino vu qu’il va être réhabilité cette année et l’année prochaine. Le principe consiste à fixer une plateforme en bois qui partirait du mur de la corniche vers la mer et finirait sur des pilotis pour éviter l’érosion marine en automne et surtout en hiver. La 2e esplanade pourrait être créée à côté de la plage écologique au niveau des brise-lames N° 6 et 7 car cette zone souffre d’une végétation envahissante problématique et récurrente

-L’ouverture, sur ou autour de chaque esplanade, de 2 restaurants aux normes écologiques, qui viendraient renforcer les restaurants existants (Casino et la Sirène) qu’il faut réhabiliter.

-La création d’épis en bois sous forme de jetées perpendiculaires à la plage pour freiner l’érosion côtière (devant les plages à Boukornine et Diar Essaboun) : ces épis anti-érosion qui permettent une légère sédimentation et qui présentent un bel aspect sur le plan esthétique,  peuvent être utilisés pour la promenade. Ils existaient à l’époque beylicale et sont, par conséquent, adaptés à la zone côtière d’Hammam-Lif.

Néjib DALY

(Professeur-chercheur, spécialisé dans la marine environnementale)

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