En dépit des mesures sanitaires décidées sous l’impulsion de la commission scientifique, les parties opposées aux mesures exceptionnelles du 25 juillet 2021 ont décidé d’investir aujourd’hui la rue au risque d’ouvrir la voie au virus et faisant fi de l’indépendance du comité scientifique, dont les membres ont rejeté toute implication dans la vie politique, défendant que leur œuvre reste totalement scientifique.
Les forces anti-25 juillet sont jusque-là déterminées, ni les mesures restrictives pour lutter contre le coronavirus, ni les risques sanitaires liés à la propagation du virus dans cette nouvelle vague de contamination ne semblent les dissuader. Pour elles, à l’occasion de ce 14 janvier, fête nationale annulée par le Président de la République, il est indispensable de se faire entendre et de dire non, encore une fois, aux mesures du 25 juillet et au calendrier électoral annoncé par Kaïs Saïed.
Outre le couvre-feu décrété, la présidence du gouvernement, sous les recommandations du comité scientifique, a annoncé l’interdiction de tous les rassemblements dans l’objectif de limiter la propagation du variant Omicron qui commence à faire des ravages, notamment en milieu scolaire. Une décision qui n’est pas passée inaperçue. Pourtant, la mouvance anti-25 juillet conduite notamment par le mouvement «Citoyens contre le coup d’Etat», qui a annoncé avoir suspendu sa grève de la faim, et appuyée par le mouvement Ennahdha a annoncé des manifestations pour ce 14 janvier, peut-être les plus grosses depuis les annonces présidentielles, comme elle le promet.
Autant dire que depuis le 25 juillet, à quelques exceptions près, les appels à manifester contre le projet du Président de la République ont été timides, voire insignifiants dans certains cas. Mais pour cette fois, ces manifestants soupçonnent et accusent même le gouvernement d’avoir orchestré des mesures sanitaires pour contrer le droit à la manifestation.
De graves accusations remettent en cause l’intégrité et l’indépendance du comité scientifique d’autant plus que ses différents responsables ont mis en garde contre la détérioration de la situation épidémiologique en Tunisie.
Au fait, c’est le mouvement Ennahdha qui mène actuellement cette bataille, notamment après l’assignation à résidence de sa figure de première ligne Noureddine Bhiri et après les enquêtes judiciaires ouvertes contre lui. D’ailleurs, dans un communiqué rendu public, le parti a défié les mesures annoncées et a appelé les Tunisiens à descendre massivement dans la rue pour protester contre les décisions du 25 juillet. En effet, le mouvement Ennahdha a invité ses partisans et « toutes les forces nationales », à participer massivement à la « marche de la détermination » à l’avenue Bourguiba à Tunis, en rejet de ce qu’il considère comme des « violations flagrantes des libertés» ainsi qu’un « renouveau de l’esprit de la Révolution, de la dignité et de la fidélité aux martyrs ».
Le mouvement dénonce un « coup d’Etat « et exige la libération de son dirigeant Noureddine Bhiri, assigné à résidence. Le mouvement a dit rejeter toute «instrumentalisation de la crise sanitaire à des fins politiques», appelant tous ceux qui ont l’intention de participer aux manifestations du 14 janvier à respecter le protocole sanitaire. Sauf que le parti de Rached Ghannouchi semble avoir oublié ce qu’il a fait subir aux jeunes manifestants de la gauche alors qu’il était, il y a peu de temps, au pouvoir dans le cadre du gouvernement Mechichi. C’était, effectivement, ce parti qui avait exigé l’instauration de mesures sanitaires et la répression des manifestants contre le gouvernement Mechichi.
Un timing « suspect » ?
Au fait, pour les opposants du projet présidentiel, le timing de l’annonce de ces mesures n’est pas innocent. Certains soupçonnent même la provocation d’une dégradation de la situation sanitaire pour l’exploiter à des fins politiques. Des accusations qui font fi de l’indépendance du comité scientifique, dont les membres ont rejeté toute implication dans la vie politique, défendant que leur œuvre reste totalement scientifique.
Quoique l’activiste politique Jawher Ben Mbarek, première figure, avec Ennahdha, de l’anti-25 juillet, estime que ce timing est en effet « suspect ». Il affirme que le gouvernement ne fait qu’appliquer les décisions du Président de la République et que ces mesures interviennent sur fond politique. Idem pour le dirigeant démissionnaire d’Ennahdha Samir Dilou qui estime que l’interdiction de rassemblement n’est autre qu’une décision politique, mettant en garde contre toute forme d’instrumentalisation politique.
Pour revendiquer la fin des dispositions exceptionnelles, le mouvement Ennahdha n’est pas seul. Il existe aussi le Courant démocratique qui, au début, avait félicité le Président de la République pour ses décisions avant de faire un revirement de position de 180 degrés. Le parti, par le biais de son secrétaire général, Ghazi Chaouachi, affirme aussi qu’il sera présent aujourd’hui à l’avenue Habib-Bourguiba, défiant aussi les mesures sanitaires annoncées. « Nous serons à l’avenue de la Révolution, l’avenue Habib-Bourguiba, quelles que soient les décisions prises par le pouvoir en place », a-t-il déclaré et de poursuivre : « Le 14 janvier est une date symbole qui ne peut être effacée de la mémoire collective, même si le Président de la République voudrait la balayer d’un revers de la main ».
Pour sa part, le secrétaire général du Parti des travailleurs, Hamma Hammami, a annoncé que son parti organisera sa propre marche de protestation, ce vendredi 14 janvier, à l’occasion de la célébration de l’anniversaire de la Révolution de la liberté et de la dignité, en partant de la place du Passage, à Tunis, en direction de la Banque centrale. Hammami a souligné, lors d’une conférence de presse au siège du parti, que le choix symbolique de la Banque centrale « vise à condamner la poursuite du gouvernement de Najla Bouden dans la même politique financière qui a détruit le pays et le peuple ».
Cependant, pour le politicien et figure de l’opposition tunisienne Ahmed Néjib Chebbi, le climat général en Tunisie « n’est pas propice pour organiser des manifestations, en prévision de la fête du 14 janvier ». Chebbi a dans ce sens assuré que son parti ne compte pas participer aux manifestations pour des raisons politiques.
Quel traitement sécuritaire ?
Face à ces appels à descendre dans la rue, tous les regards se tournent ce vendredi vers le traitement sécuritaire qui sera adopté. Les autorités toléreront-elles des rassemblements en dépit des mesures annoncées ? Assisterons-nous à des actes de confrontation entre manifestants et forces de l’ordre ?
En tout cas, le ministère de l’Intérieur a appelé, dans un communiqué rendu public, les citoyens à respecter les mesures de prévention sanitaires prises en vue d’enrayer la propagation du coronavirus.
Le nouveau gouverneur de Tunis, Kamel Fekih, a également annoncé qu’il interdira les manifestations de ce vendredi pour ainsi éviter tout rassemblement «non nécessaire», dans ce contexte marqué par la hausse des contaminations au coronavirus. Il a indiqué qu’il ne donnera aucune autorisation pour des rassemblements prévus.
Il est à rappeler que la présidence du gouvernement a décrété un couvre-feu de 22 heures à 5 heures du matin, à partir d’hier, jeudi 13 janvier, pour une durée de deux semaines.
Il a, également, été décidé de reporter ou d’annuler toutes les manifestations, que ce soit dans les espaces ouverts ou fermés, d’intensifier le contrôle du passe sanitaire et de poursuivre l’opération de vaccination massive.
Photo : Abdelfattah BELAÏD