Vous l’aurez certainement remarqué, des produits de base manquent sur les marchés, alors que les citoyens commencent à sentir réellement cette pénurie. A l’approche du mois de ramadan, les Tunisiens expriment leur désarroi mais aussi leurs craintes, surtout si on sait que les produits manquants sont de première nécessité.
Sucre, semoule, farine et autres, ce sont les produits que cherchent désespérément les Tunisiens, notamment dans certains quartiers et régions. Si pour les autorités, la situation s’explique par une perturbation des circuits de distribution, certaines voix commencent à évoquer des actes de sabotage.
Même au cœur de la capitale, dans certains quartiers, il est presque impossible de trouver du pain à partir de 17h en raison d’une grave pénurie de farine qui provoque la colère des consommateurs, mais aussi des boulangeries. Même dans les grandes surfaces, il devient difficile de s’en approvisionner. Cette pénurie frappe déjà depuis plusieurs semaines les régions intérieures du pays. Elle atteint fortement la capitale.
Pour certains, la Tunisie n’avait jamais connu une telle situation, surtout si on évoque une pénurie de produits de première nécessité, susceptible de provoquer des mouvements sociaux, comme l’histoire l’a montré. Mais encore, faut-il le rappeler, ce manque intervient aussi dans un contexte politique, économique et social peu stable. Ce qui enfonce le clou.
Pourtant, les autorités optent toujours pour un discours rassurant mais en déphasage avec la réalité. Alors que les citoyens peinent à se procurer du pain et de la semoule, dans des images qui nous renvoient aux jours qui ont suivi le 14 janvier 2011, le ministère du Commerce continue à rassurer les Tunisiens sur sa capacité d’approvisionner le marché en tous les produits de base à quelques semaines du mois saint.
Le 25 juillet ciblé ?
En effet, la ministre du Commerce, Mme Fadhila Rebhi, a rassuré les citoyens quant à la disponibilité des produits de base. Pour elle, la pénurie du pain par exemple s’explique par la classification des boulangeries dont certaines fabriquent les pâtisseries et par l’activité anarchique des autres boulangeries. «Une part de farine était fournie quotidiennement à chaque boulangerie… Les boulangeries ne vendant plus de pain l’après-midi car elles utilisent toutes les quantités pendant la matinée», a-t-elle expliqué.
La ministre explique également les pénuries des autres produits de base par la perturbation des circuits de distribution, sans révéler plus de détails sur cette situation. Qui est à l’origine de ces perturbations ? Comment éviter de telles circonstances qui mettent à mal le quotidien des citoyens ? Les réponses sont peu nombreuses, alors que la ministre insinue aussi l’existence d’actes de sabotage.
En effet, dans des déclarations médiatiques, elle évoque des tentatives visant à «perturber les circuits de distribution ainsi que la situation générale dans le pays. Certaines parties inconnues sont en train de perturber les circuits de distribution dans l’objectif de semer le chaos et le désordre dans la situation générale du pays», s’est-elle désolée, affirmant que la loi sera appliquée contre toutes les parties impliquées dans ces plans.
Au fait, même le Président de la République l’a signalé. Le processus du 25 juillet serait ciblé par ces actes de sabotage visant à perturber l’approvisionnement en produits nécessaires et à créer un climat hostile aux dispositions exceptionnelles annoncées par le Chef de l’Etat. Selon certains observateurs de la scène nationale, Kaïs Saïed et tout son processus politique font face «aux poids des lobbies et des familles qui contrôlent l’économie nationale».
D’ailleurs, il ne rate aucune apparition médiatique pour appeler à lutter contre toute forme de monopole et de spéculation sur les produits de première nécessité et à élaborer un cadre juridique relatif aux circuits de distribution, surtout après la pénurie de certains produits alimentaires et de matériaux de construction. «Les citoyens sont égaux devant la loi. Ceux qui pensent qu’ils bénéficient d’une couverture assumeront leurs responsabilités au même titre que les parties qui les couvrent», a-t-il menacé. Mais depuis, la situation a empiré et la pénurie frappe actuellement des quartiers au cœur de la capitale.
Or, la situation s’explique aussi par les pressions budgétaires auxquelles fait face actuellement l’Etat. Il faut rappeler que la Tunisie importe une grande partie de ses besoins en blé de l’étranger et notamment de l’Ukraine qui connaît actuellement une crise sécuritaire sur fond de conflit avec la Russie.
Pourtant, le ministère a ainsi assuré la disponibilité de tous les produits de base, en quantités et en stocks qui couvrent les besoins de consommation pour la période en cours et la période à venir, y compris pendant le mois de ramadan, le tout sans tenir compte des opérations continues de production, de fabrication et d’approvisionnement qui se déroulent d’une manière normale. Il a, en outre, assuré la disponibilité d’un stock stratégique de céréales (blé tendre, blé dur et orge fourragère) qui couvre les besoins jusqu’en mai 2022, assurant les besoins jusqu’à la prochaine récolte.
Guerre contre la spéculation
Ces dernières années, les prix n’ont cessé d’augmenter en Tunisie, et l’inflation s’élèvait à 6,6 % en décembre dernier. En cause, de grands distributeurs qui stockent des marchandises pour faire gonfler les prix, accentuant les phénomènes de spéculation et de monopole. D’ailleurs, après le 25 juillet, le Chef de l’Etat a annoncé la guerre contre les spéculateurs pour mettre fin à ces pratiques qui nuisent considérablement aux droits des Tunisiens.
C’est dans ce contexte que les opérations de saisie et les descentes dans les entrepôts anarchiques ont été intensifiées par les services du ministère de l’Intérieur. Seulement ces deux dernières semaines, environ mille tonnes de produits subventionnés ont été saisies. La valeur financière totale de la marchandise s’élève à une dizaine de millions de dinars. Pourtant, les Tunisiens sont toujours exposés à une pénurie de produits de base, et les spéculateurs semblent bénéficier toujours d’une couverture au détriment des droits des citoyens.