La Libanaise installée aux Emirats arabes unis Salwa Zeidan, la Tunisienne Aida Kchaou et la Qatarie Hanadi Al Darwish sont trois générations de plasticiennes arabes aux parcours différents, réunies par l’art.
Leur participation aux troisièmes Journées d’art contemporain de Carthage (Jacc), tenues du 26 au 30 mai 2023, était l’occasion de connaître leurs parcours dans une région qui connaît une expansion des arts visuels et une présence accrue des femmes engagées pour l’art. Dans des interviews avec la TAP, le trio a présenté un regard croisé sur sa perception de l’art et la singularité de ses démarches respectives dans la promotion de l’art plastique et de l’éducation à l’art. Résumé de leurs parcours suivant une chronologie, de la plus ancienne à la plus récente dans le secteur de l’art.
Salwa Zeidan, première galeriste aux Emirats arabes unis
Dans un Liban déchiré par la guerre, Salwa Zeidan, alors étudiante en beaux-arts, avait choisi au milieu des années soixante-dix, de quitter le Liban pour s’installer aux Emirats arabes unis. Entre-temps, elle a terminé ses études et ouvert à Abou Dhabi, en 1994, la première galerie privée, devenue aujourd’hui une destination privilégiée pour les artistes du monde entier.
« Salwa Zeidan Gallery» accueille tout le gotha de l’art contemporain qui afflue vers ce lieu de culture et des arts ouvert à toutes les tendances artistiques. En tant qu’artiste-galeriste, Salwa Zeidan a acquis une belle réputation dans le milieu artistique émirati et international et auprès des artistes chevronnés de toute la région arabe.
Salwa Zeidan, contemporaine de plusieurs artistes devenus assez connus aujourd’hui, a pris sous son aile des artistes en herbe pour les encourager et les initier à une carrière prometteuse. Dans sa galerie, elle veille à présenter des œuvres de qualité qui s’adressent à tous les goûts, les classes sociales et catégories d’âge, une orientation qui traduit sa vision de l’art dans sa variété, un art multiple. Ce choix émane de sa conviction et son engagement à présenter des artistes de divers horizons dans un cadre très dynamique où les expositions cohabitent avec les rencontres et les colloques. Autour de la dynamique artistique aux Emirats, elle évoque une vision distinguée dans un pays qui accorde un grand intérêt pour l’art. Elle affirme que « tous les moyens d’encouragement sont offerts pour booster la présence de la femme dans les arts».
Le marché de l’art aux Emirats connaît, selon elle, «un intérêt accru de la part de la société qui était éduquée à l’importance de l’art et son acquisition». L’art contemporain est devenu un investissement sûr dont la valeur évolue avec le temps. De là, l’artiste préconise d’ancrer chez les gens cette idée de l’art comme investissement.
Au terme de sa première visite en Tunisie, elle prévoit d’entamer une collaboration future avec plusieurs artistes tunisiens.
Aida Kchaou, plasticienne engagée pour la cause environnementale
La plasticienne se dit «assez engagée dans la lutte pour l’environnement à travers l’art». Dans sa ville natale Sfax, qui connaît un pic de pollution environnementale, ses actions en faveur de l’art sont multiples : une installation sous forme de pique-nique ou un arbre planté au milieu d’une décharge, pour dénoncer l’état d’une ville inondée par les déchets ménagers.
«Je ne pouvais rester indifférente», dit cette artiste qui était allée jusqu’à faire des performances en mer pour sensibiliser sur le phénomène de la montée des eaux et de la pollution plastique. Une remise en question sur l’avenir dans une société de consommation qui ne tient plus compte de l’environnement et une volonté de responsabiliser le citoyen afin que ses habitudes de consommation aident à limiter les dégâts.
Ses œuvres présentées aux Jacc s’inscrivent dans la même démarche pour la cause environnementale. Quatre œuvres sur le thème de la déforestation qui traitent du problème de la désertification et de l’épuisement des plantes auxquels la nature est confrontée. Les matériaux utilisés ont été sélectionnés en fonction des éléments naturels qui ont été épargnés par les effets du changement climatique tels que le bois, la pierre et les éléments métalliques.
L’idée est de sensibiliser sur l’impact des changements climatiques et les catastrophes naturelles dans le monde (incendie, sécheresse, inondations). La déforestation est une cause majeure dans le dérèglement climatique qu’elle essaye de combattre avec l’art.
En tant que coordinatrice régionale de l’Union des artistes plasticiens tunisiens, elle mène des actions associatives et de bénévolats qui lui ont valu des prix internationaux et des participations à des expositions dans divers pays.
Pour faire connaître l’importance de l’art plastique auprès du public, elle pense qu’il faut exposer au maximum mais aussi à travers la publication de livres sur l’art.
Hanadi Al Darwish, portrait d’une plasticienne et galeriste qatarie
La benjamine du trio, Hanadi Al Darwish, est une jeune plasticienne et galeriste qui expose dans divers pays. Ses œuvres se situent dans ce qu’elle qualifie de tendance de l’art contemporain qui reflète une certaine identité qatarie et qu’elle préfère toujours mettre en avant.
Dans sa galerie à Doha, Dar Hessa, elle présente des œuvres traduisant les références culturelles de chaque artiste et qui suscitent la curiosité chez le récepteur, dit-elle.
De sa passion et son grand intérêt pour l’art est né son projet Dar Hessa, un espace d’exposition et de rencontres culturelles et artistiques accueillant des plasticiens de divers horizons autour de thèmes qui traduisent son approche et sa vision de l’art. En tant que galeriste, elle apprécie cette liberté qu’offre la gestion de l’art pour présenter des idées novatrices et des collaborations internationales assez riches.
Les artistes plasticiennes qataries sont, explique-t-elle, de plus en plus présentes sur la scène artistique et appartiennent à différentes générations et courants artistiques. Ce qui constitue, à son avis, «un atout de plus, une richesse dans les visions et approches plastiques et une condition avantageuse pour les arts visuels et la scène plastique qatarie». Cette présence s’accompagne par «un grand soutien de la part du ministère de la Culture, de Katara art Center et de l’Instance des musées au Qatar aussi bien que les galeristes privés qui participent activement à l’évolution et la promotion du mouvement plastique».
L’intérêt ne se limite pas aux artistes qataris mais couvre aussi les artistes résidents surtout avec des colloques et rencontres d’envergure internationale. Après une interruption imposée par la crise sanitaire du Covid-19, «les activités ont repris avec plus de passion et de motivation pour continuer dans le chemin de l’art et de la créativité».
Côté commercialisation de l’œuvre artistique admet un marché en pleine expansion. En parallèle avec l’abondance de la production, il n’existe malheureusement pas un véritable marché de l’art pour faire écouler les œuvres produites. La galeriste accorde une préoccupation majeure pour l’artiste non seulement au Qatar mais pour l’ensemble des artistes arabes.
Autour de sa participation au pavillon des galeristes des Jacc, les ventes ne constituent certainement pas une priorité pour elle, car le but serait avant tout d’assurer une certaine visibilité. «Notre présence aux Journées d’art contemporain de Carthage est une plus-value ajoutée pour l’art plastique qatari favorisée par des rencontres constructives avec les artistes et galeristes participants».
Les œuvres de 6 artistes qataris étaient visibles au stand du Qatar qui participe pour la deuxième fois aux Jacc, après avoir été présent lors de la 2e édition en 2019. Lors de chaque visite en Tunisie, elle profite en acquérant des œuvres d’artistes tunisiens, pour «apprécier la culture tunisienne, belle dans ses différentes facettes».
Actuellement conseillère artistique au ministère de la Culture au Qatar, la plasticienne était également directrice des arts visuels. Elle a annoncé que la tendance qatarie serait orientée vers «le renforcement du partenariat avec la Tunisie, dans un avenir très proche».