Accueil Magazine La Presse Mohamed Lassoued, ancien handballeur de l’EST et de l’ASPTT: «Rendre à César ce qui appartient à César !»

Mohamed Lassoued, ancien handballeur de l’EST et de l’ASPTT: «Rendre à César ce qui appartient à César !»

Le palmarès de Mohamed Lassoued dit Klaï est proprement étourdissant : trois fois sacré champion d’Afrique des nations en 1972, 1976 et 1980, il a participé à deux Olympiades en 1972 à Munich (Allemagne) et en 1976 à Montréal (Canada), et à deux Jeux méditerranéens en 1975 à Alger et 1979 à Split (ex-Yougoslavie), en plus de quatre championnats arabes remportés avec le Sept national. Ce commerçant dans la quincaillerie, père de deux enfants, a été sacré meilleur buteur du championnat d’Allemagne en 1975 avec 122 buts, et plusieurs fois meilleur buteur du championnat de Tunisie, meilleur joueur en 1975 de la région de Hesse, en Allemagne; retenu dans le Sept idéal du championnat d’Allemagne. Ses nombreux doublés avec l’Espérance Sportive de Tunis en font une figure de proue du Sept «sang et or».


Dites-nous d’abord, vos parents vous ont-ils encouragé à pratiquer le sport ?

Loin s’en faut, ma famille n’était pas sportive. Mon père Mohamed était menuisier avant d’intégrer la Steg. Lui et mon frère Messaoud m’ont interdit de pratiquer le sport, mais j’ai fini par le faire à leur insu. J’ai dû à un certain moment arrêter de m’entraîner. Mon entraîneur à l’Asptt, Haj Abdellatif Telmoudi, était venu en demander la raison auprès de mes parents. Ils lui ont dit: «Si vous voulez qu’il joue le hand, trouvez-lui un boulot !». C’est ainsi que Madame Sarfati, qui commandait à l’Asptt, avec les Antoine, Jojo, Zitoun, Ghachem… m’intégra au Magasin général, avant que je parte en Allemagne pour signer avec Steinheimer. 

Quels furent vos entraîneurs ?

Haj Abdellatif Telmoudi qui me fit signer à l’ASPTT alors que Hechemi Razgallah évoluait avec l’équipe seniors, il disait qu’un tel gaucher était une manne du ciel. Il y eut au départ Hedi Ghariani qui m’apprit les secrets du HB dans une école primaire de Sfax, Saïd Amara, Ion Popescu, Brahim Riahi, Hechemi Razgallah, Abdelaziz Sfar et Firan Haralambi, notre sélectionneur venu de Roumanie. Il m’apprenait certaines règles inscrites sur des bouts de papier : quand il faut shooter, quel genre de passe adresser…

Avez-vous pratiqué d’autres sports que le hand ?

Au départ, j’étais gymnaste et footballeur. Je dois reconnaître que ce passé d’ancien gymnaste m’a beaucoup aidé dans des gestes essentiels: comment chuter, sauter très haut…  Tout jeune, j’ai en effet pratiqué le football. Abderrahmane Ben Ezeddine m’a même convoqué dans la sélection minimes du Nord-ouest puisque je suis né au Kef alors que ma famille descend de Bouargoub, dans le gouvernorat de Nabeul. J’ai également fait de l’athlétisme, avant d’apprendre le hand dans une école de Sfax quand mon père fut nommé là-bas durant deux ans. C’est notre maître de sport, Hedi Ghariani, qui m’apprit les ABC de ce sport nouveau, avant que Saïd Amara ne me convoque dans la sélection régionale. Toute ma carrière durant, on me prenait en individuel, et on exerçait sur moi un marquage strict. Mes entraîneurs m’ont appris comment y échapper.

Quels furent vos compagnons à l’Espérance ST ?

Faouzi Sbabti, feu Moncef Besbès, Khaled Achour, Hafsi, Naceur Jeljeli, Nejib Glenza, Lotfi Rebai, Mondher Landolsi… 

Vous avez vécu un tas de derbies de la capitale. Comment étaient-ils ?

Une question de vie ou de mort. Heurtés, violents, à la limite sanguinaires. Le sang y coulait : un nez cassé, une arcade ouverte, un œil tuméfié. J’ai vu le médecin appliquer à un joueur deux ou trois points de suture au bord de touche sans anesthésie. C’était une ambiance de corrida, de western, de règlement de comptes.

Un souvenir de cet aspect cruel, presque barbare ?

Une fois, le Clubiste Raouf Ben Samir a été expulsé par l’arbitre qui était étranger. Eh bien, il a refusé de quitter le terrain. Il a fallu l’intervention de son entraîneur Hedi Malek et toute sa faculté de conviction pour le faire changer d’avis. Après le match, il se trouvait là devant les vestiaires, flanqué de son frère Taoufik. Ils avaient des comptes à solder avec moi. Il a fallu l’intervention des dirigeants pour éviter le pire. Avant le derby, il y a tout un rituel : on inonde de parfum d’encens les chambres d’hôtel où nous effectuons le stage, mais également les vestiaires. On y verse de l’eau de mer. La veille, on va à Sidi Belhassen faire la prière. On porte les mêmes vêtements qui nous avaient porté chance la fois précédente. Bref, cela confine au mysticisme. 

Pourquoi n’avez-vous pas suivi une carrière d’entraîneur ?

Quand il fallut le faire, ce métier ne rapportait pas grand-chose, juste 200 ou 300 dinars. Et puis entraîner aurait pu entraver mon boulot de commerçant dans la quincaillerie. Mais lorsque je pense aux salaires servis actuellement aux entraîneurs, aux montants de 20.000 dinars par mois…, je me dis que je suis passé à côté de quelque chose d’intéressant.

Que représente pour vous la famille ? 

Ma raison de vivre. J’ai épousé Lamia en 1993. Nous avons deux enfants : Yassine et Youssef.

Quels sont vos hobbies ?

J’aime suivre les finales nationales non seulement de handball, mais également de lutte, de judo, d’escrime… A la télé, je regarde les parties de hand sur beIN Sport. En revanche, j’ai horreur des débats politiques ennuyeux à en mourir. Les gens qu’on y invite me paraissent très prétentieux. C’est comme s’ils inventaient la roue…

A votre avis, est-il si difficile que cela de réussir en même temps sport et études ?

Oui, parce que le sport de haut niveau demeure très exigeant. J’ai dû arrêter mes études au niveau de la quatrième année secondaire. A l’EST, nous avons un exemple de double réussite : Faouzi Khiari devenu médecin.

Si vous n’étiez pas dans le sport, qu’auriez-vous fait dans la vie ?

J’aurais sans doute suivi le parcours d’immigrés de mes trois frères, tous partis travailler en France dans des chantiers. Ils vivent toujours là-bas.

Que représente pour vous l’Asptt ?

Une seconde mère. J’y ai passé juste deux saisons. On me lança dans le grand bain des seniors alors que j’étais encore cadet. 

Et l’Espérance ?  

Un second père. Notre président Hassène Belkhodja nous a octroyé, chacun des sept joueurs rentrants, une maison à la cité El Ghazala que nous avons dû par la suite payer de notre argent. On cherchait à assurer notre reconversion, et à nous garantir une vie décente une fois notre carrière sportive terminée.

Gardez-vous des liens avec l’Espérance et le handball ?

Jusqu’à tout récemment, je suivais de près la vie de mon club d’autant que j’allais presque quotidiennement  au Parc parce que mon fils Yassine Klaï (je porte deux noms de famille : Lassoued et Klaï) évoluait avec l’équipe de handball. On m’avait par le passé proposé de m’occuper de la section des jeunes. Mais j’ai refusé parce qu’il vaut mieux garder une certaine distance. Mon caractère est un peu difficile. Je ne suis pas tellement un homme de compromis. Ce qui appartient à César doit nécessairement lui revenir. Or, de notre temps, cela n’est plus tellement valable.

Enfin, que pensez-vous de la situation actuelle du handball à l’EST ?

Certes, la réussite est là. Mon club règne en maître absolu sur la petite sphère du pays comme en témoigne son nouveau doublé enlevé assez facilement. Toutefois, la stratégie suivie depuis deux ou trois décennies par les grosses cylindrées me déplaît énormément. On ne trouve plus dans l’équipe seniors des enfants du club. On recrute tous azimuts, parfois sans gagner des titres. Tout comme les autres grands clubs du pays, l’Espérance doit revenir aux vertus de la formation.

Charger plus d'articles
Charger plus par Tarak GHARBI
Charger plus dans Magazine La Presse

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *