La saison estivale montre le bout de son nez. Le secteur touristique tunisien, professionnels et administration, est en ordre de marche pour accueillir les visiteurs avec des offres diversifiées. La qualité est le mot d’ordre et l’amélioration continue des services d’hébergement est un travail sans fin. Dans cette interview, le directeur général de l’Office national du tourisme tunisien, Helmi Hassine, nous dévoile les initiatives stratégiques, les projets ambitieux mais aussi les préparatifs menés par les autorités et les acteurs du secteur pour garantir une expérience irréprochable aux touristes.
L’année 2022 a marqué le retour de l’activité touristique. En 2023, la reprise du secteur a été confirmée. Pouvez-vous nous donner un aperçu des prévisions pour la saison touristique 2024 ?
Je préfère parler de l’année 2024 plutôt que de la saison touristique estivale puisqu’on accorde autant d’importance à ce qu’on appelle la basse saison qu’à la haute saison. Notre challenge est d’être à la hauteur des défis en matière de performance mais aussi de qualité. Et notre objectif est de maintenir une activité touristique continue et stable tout au long de l’année. En termes de résultats, nous prévoyons d’atteindre, en 2024, 10 millions de touristes, et pourquoi pas dépasser cette barre symbolique. Cela n’empêche que la saison estivale représente toujours une période importante étant donné les caractéristiques géographiques et climatiques de la Tunisie. Sur la période qui s’étale entre juin et septembre 2024, qui correspond au pic de l’activité touristique, nos prévisions tablent sur un nouveau record de 4,48 millions d’arrivées de non-résidents, soit l’équivalent de 18,8 millions de nuitées.
Au cours des seuls mois de juillet et août, le nombre d’arrivées touristiques devrait dépasser les 2,6 millions et celui des nuitées avoisiner les 11 millions. Le nombre de touristes enregistrés entre le 1er janvier et 10 juin de l’année en cours a atteint 3,37 millions. Ce qui représente une croissance de 5,3% par rapport à la même période de l’année dernière, 2023 et de 8,7% par rapport à la même période de l’année de référence 2019. Mais ce taux de croissance recèle encore un potentiel de performance plus important.
Une lecture des chiffres, selon les marchés émetteurs, nous permet de nous en rendre compte. En effet, le nombre de touristes en provenance des principaux marchés émetteurs pour la Tunisie a enregistré une croissance de deux chiffres à l’exception du marché libyen. Ces résultats dénotent de la tendance de cette année qui confirme la reprise du secteur, une reprise qui a été observée au cours de l’année dernière où on a pu rattraper le niveau pré-Covid, c’est-à-dire les performances de l’année de référence 2019. D’ailleurs, notre objectif est de faire de l’année 2024 la nouvelle référence. Il faut dire que ces résultats ont pu être atteints grâce au travail effectué au niveau du secteur pour continuer à améliorer l’attractivité de la destination mais aussi grâce à la stabilité politique et sécuritaire. L’administration a misé sur un travail de proximité avec tous les professionnels et parties prenantes notamment les hôteliers, mais également les professionnels à l’étranger, les tour-opérateurs, les agences de voyage, etc. La digitalisation de ce processus de collaboration avec les parties prenantes était aussi un facteur important étant donné qu’aujourd’hui tout le secteur du tourisme surfe sur la vague du numérique.
En tout cas, les résultats enregistrés entre janvier et le 10 juin 2024 sont probants. Le nombre des touristes européens a augmenté de plus de 20% par rapport à la même période de l’année précédente. Celui des touristes français de 9,5%. Le poids du marché émetteur français est toujours important mais la croissance du nombre des visiteurs européens a été plutôt portée par l’augmentation du nombre des voyageurs britanniques et polonais. Plus de 87% pour le marché britannique. Une croissance boostée par l’amélioration de la connectivité aérienne. Cela confirme le rôle important que joue le transport aérien dans la stimulation de l’activité touristique. Le nombre des touristes polonais a augmenté de 80% par rapport à l’année précédente et de 200% par rapport à la même période de 2019.
Les chiffres sont vraiment prometteurs et si on est parvenu à faire une croissance assez significative, c’est qu’on va dépasser les résultats de 2023. Les records enregistrés pour les marchés britannique et polonais montrent également qu’on peut doubler nos objectifs si on cible spécifiquement certains marchés. Il faut inciter les tour-opérateurs à mettre en place des programmations additionnelles pour maintenir l’activité touristique hors saison estivale.
S’agissant du nombre des touristes algériens, on est sur une tendance positive, puisque du 1er janvier au 10 juin, on a enregistré une croissance à deux chiffres de 16,2%. Même constat pour les touristes nord-américains dont le nombre a augmenté de 12,6% par rapport à 2023 et de 38,6% par rapport à 2019. Pour les pays du Moyen -Orient, on s’est réjoui également des résultats jusque-là enregistrés, surtout pour le marché saoudien dont le nombre de touristes a connu une croissance de plus de 43%. C’est un marché sur lequel on mise beaucoup. Et on a prévu de rouvrir notre bureau à Jeddah, qui va se charger de toute la région du Golfe arabe. Egalement, le marché chinois est intéressant. La croissance des arrivées des touristes chinois a dépassé les 450%. Il est vrai que le nombre de touristes chinois demeure timide aux alentours de 11.000, mais c’est principalement dû aux restrictions au voyage liées à la crise sanitaire Covid qui ont été prolongées par la Chine jusqu’en 2023. Les résultats par rapport à ce marché ont tendance à s’améliorer en attendant le lancement du vol Tunis-Pékin en 2025. Mais, d’une manière générale, les statistiques montrent qu’on est sur la bonne voie. Il y a un travail important avec les grands tour-opérateurs pour cibler ce marché qui est le premier pourvoyeur de touristes dans le monde. On est en phase avec le rapprochement et le développement des relations entre les deux pays.
S’agissant des TRE qui constituent un marché à part entière, la hausse est aussi significative de près de 12% par rapport à la même période de 2023. Nous comptons énormément sur les Tunisiens résidant à l’étranger, qui sont un vrai segment stratégique pour l’Office national du tourisme. Donc, en somme, la croissance du nombre de touristes pour la plupart des marchés émetteurs est à deux chiffres, à l’exception du marché libyen. La baisse du nombre de touristes libyens s’explique par la fermeture du poste frontalier Ras Jedir. D’ailleurs, on se réjouit de la récente décision politique de rouvrir ce poste. Quant au marché touristique domestique, il représente 25% des nuitées. C’est un marché qui pèse lourd et qui a ses spécificités, étant principalement orienté vers une clientèle familiale. C’est pourquoi il y a un travail qui est en train d’être effectué pour adapter les services touristiques offerts par les hébergements alternatifs et même les hôteliers aux besoins de notre marché local.
Répondre aux besoins des différents marchés (algérien, libyen, européen, chinois…) est un challenge…
C’est plus une réponse aux besoins spécifiques de chaque segment. On joue sur la segmentation de l’offre et on veut que les spécificités de notre culture tunisienne soient ressenties au niveau de chaque service offert, allant de l’animation, passant par la restauration. Aussi, chaque chaîne hôtelière, voire chaque unité hôtelière, choisit de cibler un segment particulier et d’adapter son offre en conséquence. Prenons l’exemple de la clientèle algérienne. Nous venons de participer au salon d’Alger et le retour obtenu de la cinquantaine des agences de voyage qu’on a rencontrées montre que les professionnels arrivent à adapter leurs produits aux besoins de cette clientèle. La preuve, le nombre de contrats a augmenté. Il y a aussi une volonté d’augmenter le nombre de dessertes aériennes parce que le nombre de liaisons aériennes est encore faible. Des vols reliant des villes tunisiennes et algériennes tels que Oran-Djerba vont être planifiés et cela va renforcer le tourisme territorial.
Quels sont les préparatifs qui ont été mis en place pour accueillir les touristes durant cette saison estivale ?
Vous savez, l’année 2024 a été décrétée par le ministère du Tourisme comme l’année de la qualité. Et donc, on travaille beaucoup pour garantir la qualité du produit touristique. Les préparatifs sont inscrits dans le temps grâce à un processus continu, à une dynamique et des habitudes de préparation biens ancrées avec les partenaires et les différentes parties prenantes étatiques et privées, notamment avec les offices des postes frontaliers qui est le nouveau-né du ministère du Transport et l’Oaca.
J’ai été agréablement surpris par la qualité des projets qui ont déjà démarré et mis en œuvre par l’office au niveau des postes frontières les plus importants, notamment avec l’Algérie, tels que Babbouche et autres.
Des dizaines de millions de dinars ont été investis dans ces projets avec l’objectif de faire de l’expérience client une expérience réussie. Les postes frontaliers ne seront pas juste des postes où on attend des heures pour tamponner son passeport. Ils seront dotés de free shop, cafés, bureaux d’information de l’Ontt, etc. Car la qualité concerne tout le parcours client à commencer par le poste frontalier, passant par le transport pour arriver aux lieux d’hébergement. C’est pour cela que nous sommes en train de travailler de concert avec les agences de voyages pour assurer une meilleure qualité d’équipements de transport et optimiser les parcs de transport touristique. Pareil pour les établissements d’hébergement avec lesquels nous travaillons pour y améliorer de façon continue les services. Aussi, nous œuvrons à augmenter la part de l’hébergement alternatif, notamment les maisons d’hôtes et les gîtes ruraux parce que nous misons sur le tourisme alternatif qui offre souvent au touriste une expérience personnalisée. D’ailleurs, avec le lancement de plusieurs routes thématiques, nous essayons avec nos partenaires de faire la part belle au tourisme culturel.
Tous ces produits existaient déjà mais le défi était de réussir leur commercialisation notamment grâce à des contenus digitaux qui permettent d’attirer plus de touristes et de les inciter à visiter ces différents sites. Nous nous réjouissons, à cet égard, de l’inauguration par le ministre du Tourisme de la nouvelle route de randonnée qui traverse toute la Tunisie et qui va être un vrai atout pour la destination. Il sied de rappeler, dans ce contexte, que la direction centrale de l’investissement et du produit, grâce à un contrôle de qualité continu, révise continuellement le classement des hôtels et des restaurants. Notre objectif est que l’année 2024 marque une montée en qualité de l’offre touristique. C’est un objectif qu’on peut mesurer non seulement par la fidélisation des touristes qui ont visité la Tunisie mais aussi par ceux qui en amènent d’autres. Il ne faut pas oublier que la qualité des services est aujourd’hui sondée instantanément sur les réseaux sociaux. Toujours par rapport aux préparatifs, tout un travail de promotion a été réalisé, notamment à travers les voyages de presse, les Eductours, les voyages thématiques visant surtout à promouvoir certaines offres touristiques telles que le Mice qui nous intéresse particulièrement parce que c’est un segment qui rompt avec la saisonnalité. Le tourisme golfique a aussi été un des axes sur lesquels on a travaillé cette année, notamment avec le retour du Tunisia Golf Open qu’on a organisé à Tabarka il y a quelques mois, et qui a été un succès vu le retour des golfeurs qui ont été agréablement surpris en visitant la Tunisie. Au vu de ce succès, nous avons décidé de programmer, en partenariat avec Alps Tour France, au moins trois autres tournois avant la fin de l’année 2024. Toujours par rapport aux préparatifs et la qualité qu’on promet cette année, je rappelle que nous avons mobilisé nos équipes aussi bien à travers le numéro vert, les 21 commissariats de l’office ou l’adresse e-mail de l’Ontt pour recevoir toutes les réclamations 24h/24. Notre salle d’opération est opérationnelle d’une façon continue pour être à l’écoute des touristes. Des formations de gestion de crise ont été dispensées pour que nous soyons en ordre de marche. Des opérations d’inspection ont été effectuées pour superviser la qualité des services hôteliers qui doit être conforme au classement de l’unité hôtelière. Le classement et le déclassement constituent, en effet, un cercle vertueux qui permet de maintenir la qualité à un certain niveau. Durant les cinq premiers mois de l’année 2024, plus de 2.600 visites d’inspection ont été réalisées dans différentes régions, et on a déjà programmé 1.737 visites pour le reste de l’année. Ces inspections concernent tous les aspects, en l’occurrence les équipements, la restauration, l’hygiène dans les hôtels mais aussi les agences de voyage. Egalement, le guide touristique est un maillon important de la chaîne et de l’expérience client. C’est lui qui sublime l’histoire de la Tunisie qu’on raconte aux visiteurs et qui les accompagne pendant des heures. C’est pourquoi nous avons tenu à renforcer leur réseau en lançant un concours pour renforcer le nombre de guides touristiques qui sont de l’ordre de 1000 actuellement.
Qu’en est-il de l’aspect durabilité ?
Tout ce qu’on est en train de faire, certes, sont des préparatifs pour accueillir la saison estivale mais il s’inscrit dans une démarche globale: la stratégie à l’horizon 2035 qui a fixé des objectifs en termes de chiffres mais aussi de qualité, et ce, afin de renforcer le positionnement de la Tunisie. La Tunisie a été un pays touristique précurseur dans le bassin méditerranéen. Et nous continuons, grâce à cet effort, fruit du travail de toutes les parties prenantes, d’être parmi les meilleures destinations.
Si on prend l’exemple du marché français, nous avons préservé notre position en tant que destination favorite des Français après l’Espagne et l’Italie qui demeurent des destinations européennes. Mais nous ne devons pas rechigner à la tâche, parce que nous sommes très conscients de la concurrence internationale, de l’émergence de nouvelles destinations, de nouvelles zones touristiques. Nous devons renforcer le tourisme durable, et surtout ancrer les valeurs de durabilité. Il y a des initiatives, qui ont été lancées, en ce sens, telles que l’initiative Djerba sans plastique dont l’objectif est de lutter contre l’usage du plastique ou encore des projets de transition énergétique ou de consommation d’eau. Mais nous travaillons avec les partenaires pour atteindre de meilleurs résultats en termes de durabilité parce qu’elle est devenue un critère d’attractivité.
L’empreinte carbone impacte aujourd’hui la compétitivité de l’offre touristique d’un pays, ou même d’une unité hôtelière. Nous devons nous positionner par rapport à cette tendance pour attirer plus de touristes qui sont de plus en plus regardants sur les exigences environnementales. Des projets ont été déjà entamés de concert avec les professionnels qui jouent le jeu.
Et la récente bonne nouvelle qu’a annoncée le ministre du Tourisme et qui est relative à la publication très prochaine des nouveaux critères de classement des hôtels qui prennent compte des critères de durabilité, s’inscrit dans cette même veine.
Pour conclure, nous continuons de travailler sur l’attractivité. Nous devons capitaliser sur les acquis dans le secteur du tourisme en intégrant les nouvelles tendances, qui sont basées essentiellement sur la durabilité mais aussi sur la connectivité aérienne. Car pour atteindre nos objectifs ambitieux, il faut améliorer la connectivité aérienne de notre destination. Elle doit être dotée d’un pavillon national fort à l’instar des destinations concurrentes, dont le pavillon a été un levier et un vecteur de croissance qui leur a permis d’atteindre leurs objectifs.