Reparler de l’héritage Ben Ali et essayer de recoudre les faits est essentiel pour mieux comprendre ce qui s’est passé au cours de la décennie 2011-2020 et de là trouver les solutions adéquates capables de sauver le pays de la faillite totale qui le guette. Sachant que la personnalité de base du Tunisien ne s’embarrasse pas trop de savoir qui gouverne, l’essentiel est que ce dernier le respecte et fait en sorte qu’il puisse travailler et vivre décemment. Replacer la décennie en question dans son contexte géopolitique est une entreprise aussi vitale qu’inévitable, tant les facteurs extérieurs sont devenus très importants dans la dynamique économique sociale, politique et culturelle de chaque pays, surtout s’il est resté fortement dépendant des autres, comme c’est le cas de la Tunisie. Impossible donc de ne pas évoquer, ici, le rôle joué par l’activation des plans élaborés par la puissance américano-sioniste dans le but de détruire la Libye, la Syrie, le Soudan, le Yémen et l’Algérie (soit ce qui restait de l’ancien «Front du refus» après la destruction de l’Irak). Et aussi pour récupérer l’Iran comme allié incontournable. Et parmi les objectifs desdits plans, nous citerons celui qui visait à injecter une certaine conception de l’Islam, d’ailleurs amplifiée et instrumentalisée par eux, dans le politique et à exacerber, par là les divergences, surtout à base de conflits d’identité, en vue de la libanisation du monde arabe et d’empêcher un éventuel processus de renaissance culturelle, d’entente politique et d’intégration économique. Commençons par le commencement en rappelant le fait qu’il y avait deux revendications majeures qui s’étaient imposées, il y a dix ans, lors du soulèvement du peuple tunisien : la liberté et la dignité. Cette dernière avait pour socle, le travail décent, une administration citoyenne, une justice indépendante et compétente, des services sociaux de qualité acceptable, un environnement naturel et social sûr, la justice sociale, la justice entre les régions, bref contre le mépris et la marginalisation. Le mobile premier des contestations ayant démarré le 17 décembre 2010, à la suite de la forte médiatisation sociale du drame Bouazizi avec en filigrane les révélations de WikiLeaks qui avaient exprimé tout haut ce que le peuple pensait, restait donc essentiellement à caractère socioéconomique, avec une forte connotation d’indignation.
La réaction sanglante du régime provoqua la rage des foules. Régime qui était dirigé par les vrais meneurs au sein du clan Ben Ali (appelé par les Tunisiens, famille régnante et pour plus de fidélité pour la traduction, famille royale) désigné, sans aucun équivoque, par les spécialistes comme par l’opinion publique, comme étant responsable de l’état critique de l’économie, à cette époque-là.
Une économie devenue incapable de satisfaire la demande additionnelle d’emplois, que dire alors de pouvoir résorber le chômage devenu endémique touchant surtout les diplômés du supérieur, et le régime était devenu un obstacle majeur contre la liberté d’entreprendre en toute sécurité.
Avoir accès au travail décent, l’un des plus importants droits de l’homme, n’était donc possible qu’en écartant la mafia au pouvoir formée par le clan Ben Ali et ses réseaux souterrains et soutenue par une police à sa solde et par un parti contrôlant tout. Mafia qui a fait, qu’il n’était plus souvent possible entre autres pour un diplômé du supérieur d’espérer être embauché qu’en ayant de «solides connaissances» au sein desdits réseaux ou devant débourser des milliers de dinars sous forme de pots- de- vin. Travail décent, une revendication claire que l’on pouvait facilement déduire d’un fameux slogan, entré désormais dans l’histoire (Ach choghl istihqaq ya iissabatt essorraq). Que dire alors des autres droits ?
Malheur, aussi, à celui qui osait réfléchir à monter une affaire avec une forte valeur ajoutée. Et gare à lui s’il lui vient à l’esprit de concurrencer la mafia Ben Ali sur son «propre» terrain. Et plusieurs domaines faisaient partie de leur chasse bien gardée.
La mafia mise de Ben Ali a, en effet, fait perdre à la Tunisie d’énormes opportunités d’importants investissements directs intérieurs et extérieurs et la possibilité d’effectuer de grands bonds en avant dans plusieurs domaines dont celui des technologies de pointe. Selon certains chercheurs, la Tunisie perdait des chances d’améliorer son taux de croissance économique d’au moins 2,5%, à partir du début des années 2000.
La liberté, elle, dans sa conception individuelle, sociale et politique ne se posait, en tant que problématique que pour les élites, tous genres confondus, avec une forte demande en reconnaissance tant la marginalisation sévissait dans leurs rangs. Les élites comprenaient aussi, il ne faut pas l’oublier, celles désireuses de participer au développement de l’entrepreneuriat et à la création des richesses. Elle était également chez les jeunes une revendication, surtout en tant qu’expression de la volonté de s’affirmer par rapport à un ordre social encore conservateur, dans des villes, des quartiers et des villages étouffants et aussi en tant que terreau pour la créativité.