Ahmed Karam, ancien président de l’Association professionnelle tunisienne des banques et institutions financières, à La Presse : «Les énergies renouvelables et le tourisme, clés de voûte de la relance économique»

La nouvelle équipe gouvernementale conduite par la première femme cheffe de gouvernement de l’histoire du pays, Najla Bouden, est appelée à corriger la trajectoire d’un etat parvenu à un insoutenable stade de déliquescence. Elle a à gérer un Etat où insolvabilité, effondrement des systèmes bancaire, hospitalier et éducatif, endettement extérieur et dépréciation du dinar se conjuguent ensemble, freinant la marche d’un pays pris à la gorge. Un pays où est malmené un peuple pris en otage. Afin d’y remédier, le nouveau gouvernement devra donner un signal de présence et d’espoir. Il devra, pour ce faire, rompre avec les promesses infondées d’hier et les fourberies de la politique politicienne. La relance du pays sur la voie de la croissance et du développement aura donc pour maîtres mots : lutte contre la malversation, travail acharné et innovation, de l’avis de l’ancien président de l’Association professionnelle tunisienne des banques et institutions financières, Ahmad Karam, interviewé par La Presse.

Les chantiers à attaquer par le nouveau gouvernement ne sont pas des moindres : relance de la croissance, employabilité des jeunes, rééquilibrage de la balance commerciale, renflouement des caisses de l’État, maîtrise de la dette et restauration d’un pouvoir d’achat détérioré. Quelles seraient les priorités des priorités dans le contexte économique et social actuel, selon vous ?

Il y a, de prime abord, une grande urgence pour ce nouveau gouvernement, notamment la lutte contre le déséquilibre budgétaire. Lequel déséquilibre se veut à l’origine de tous les maux. Malgré une augmentation annuelle de 10% des dépenses de l’État, la croissance économique n’a été que de 1,1% par an. On a donc dépensé non pas pour créer des richesses mais pour gaspiller. La masse salariale et le remboursement des intérêts de la dette accaparent 65% du budget de l’État. En pâtissent les investissements publics ô  combien nécessaires pour l’amélioration du climat des affaires et la relance des investissements productifs (4% des dépenses en 2020 contre 10% en 2010).  Le déséquilibre budgétaire dont je parle a plongé le pays  dans une spirale d’endettement public très dangereuse, sachant que le montant de la dette s’élève actuellement à 99,1 milliards de dinars, contre 25 milliards de dinars en 2010.

Ici on parle d’un budget qui ne fait qu’hypothéquer l’avenir du pays, puisqu’il faut travailler des années pour rembourser cette dette. Ajoutons que ce même budget, très mal géré, n’a fait qu’empirer les choses. C’est-à-dire que l’augmentation des dépenses n’a en aucun cas contribué à réduire le taux de chômage (20%), le taux de pauvreté (20%) et les disparités régionales.

Pour moi, il y a un taux de déficit soutenable et un autre insoutenable. Un taux de déficit de 11% n’est pas soutenable, mais on peut atteindre un taux de 6% soutenable si l’on adopte un ensemble de mesures.

Voulez-vous expliciter ces mesures ?

D’abord, il faut reprendre les négociations avec le Fonds monétaire international, parce que nous avons besoin de fonds pour rééquilibrer le budget économique de 2022 et envoyer ainsi un signal positif au marché financier international. Un signal qui donnera à lire que la Tunisie renoue avec les démarches sereines.

Il faut également lever des capitaux pour la reprise et l’amorce de l’activité économique.

Une fois que le rééquilibrage du budget est atteint, on n’a qu’à revoir, dans un premier temps, la question de la masse salariale. Ici, je ne mets pas en cause  l’augmentation salariale sans doute nécessaire pour l’amélioration du pouvoir d’achat mais plutôt le nombre exagéré de fonctionnaires. D’ailleurs, le nombre des fonctionnaires en Tunisie est égal à celui de la Grande-Bretagne dont la population dépasse largement la nôtre. Les solutions ne manquent pas pour autant pour pallier ce genre d’anomalies, comme le fait d’encourager la retraite anticipée et de pousser les fonctionnaires à partir pour s’installer pour leur propre chef, via des mesures incitatives.

Sur un autre plan, il faut revoir la caisse de compensation, en privilégiant l’informatisation en vue de déterminer les vrais ayants droit. Tout autant qu’il faut s’atteler à trouver des solutions pour les entreprises publiques dont les dépenses sont énormes.

La question énergétique doit être, de surcroît, au centre des préoccupations, vu que le baril se négocie aujourd’hui à 82 dollars et devra atteindre 100 dollars prochainement. Dans ce cas de figure, on n’a qu’à privilégier l’énergie solaire et éolienne, étant donné que le coût de production est beaucoup moins cher que celui des énergies fossiles.

Puis, volet recettes, il ne faut pas perdre de vue que la Tunisie a un arriéré d’impôts constaté de 10 milliards de dinars, dont 3 à 7 milliards sont récupérables. Pour collecter ces impôts, il faut former des recouvreurs et initier des primes encourageantes.

Dans la même optique, nous savons tous que plusieurs contribuables ne déclarent pas leurs revenus ou les déclarent partiellement. Or, les nouvelles technologies permettent de reconstituer les revenus des contribuables.

On a aussi des prêts extérieurs qui n’ont pas été débloqués parce que les projets à réaliser (de l’ordre de 15 milliards de dinars) ont été suspendus pour des raisons diverses. Il faut toute une dynamique pour reprendre ces projets.

Préconiseriez-vous des actions immédiates pour la relance de la croissance économique ?

Pour relancer la croissance économique, il y a des actions à engager immédiatement, j’en conviens. D’abord, il faut maîtriser les exportations. Puis, il faut miser sur le secteur du tourisme, surtout que le pays a réussi sa campagne de vaccination.

Étant donné que ce secteur génère 6 milliards de dinars de recettes en devises, les parties concernées sont appelées à mettre les bouchées doubles afin de préparer comme il se doit la saison touristique à venir, en vue de renflouer les caisses de l’État et rembourser la dette.

Les finances publiques, la maîtrise de l’exportation, l’affinement de l’offre touristique et les énergies renouvelables sont, au demeurant, des conditions sine qua non pour la relance d’une économie en berne.

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