TRIBUNES: L’école tunisienne entre absence de bon sens et mauvaise gouvernance

Par Ridha Zahrouni | Président de l’Association tunisienne des parents et des élèves.


Lorsqu’on parle d’échec ou de décrochage scolaires, de redoublement ou d’affaissement de niveau, ils (nos décideurs, les acteurs de l’éducation nationale, leurs syndicats et nos spécialistes) continuent jusqu’à aujourd’hui à organiser des conférences, des journées d’études et des séminaires pour diagnostiquer les causes et pour faire des recommandations.

Ils continuent à dépenser beaucoup d’argent, le nôtre, gaspiller beaucoup de temps, nous en avons tellement besoin, et le pire, ils continuent à sacrifier des générations, nos enfants et nos petits-enfants, en les condamnant à l’ignorance et à l’exclusion.  Alors qu’il leur suffit de se poser deux questions toutes simples, et dont les réponses sont tout aussi simples.

Nos enfants seraient-ils, dans leur majorité, tentés ou obligés de choisir la rue avec tous ses risques pour partir vers l’inconnu sans aucune arme pour affronter l’avenir en quittant volontairement les bancs de l’école s’ils avaient une petite chance de réussir ? Et un enfant de seize ans pourrait réussir à l’école tout en restant suffisamment motivé avec ses parents, lors qu’il se trouve incapable, techniquement, de lire et d’écrire?

A moins qu’on continue à s’entêter à chercher à nous convaincre que le pigeon qui vole est une chèvre, les réponses devraient être évidentes et intuitives. Nos enfants décrochent et quittent l’école, essentiellement, à cause de leur inaptitude à lire, écrire et compter.

Cette évidence aurait dû être réalisée depuis très longtemps et les solutions appropriées auraient dû être, depuis, appliquées en prenant toutes les décisions nécessaires pour axer l’effort sur l’instruction des langues en bas âge et à partir des petites classes pour permettre à nos enfants d’augmenter leurs capacités de lecture, d’écriture, de compréhension et de calcul. L’allégement des programmes pour cette catégorie d’enfants aurait dû être décidé également depuis très longtemps, et plusieurs générations auraient dû être aujourd’hui dans des meilleures conditions de scolarité.

Il est à noter qu’un dinar bien investi dans les phases préscolaire et primaire, c’est-à-dire dans l’éducation de la petite enfance, rapporterait de 6 à 17 dinars dans la suite des cursus scolaire et de vie en termes de bénéfices économiques. D’après des études sérieuses faites par James Heckman et Dimtri Masterov (prix Nobel 2007), la Banque mondiale, la Conférence Board du Canada, ces économies seraient réalisées sur la réduction des taux de décrochage et de redoublement scolaires et de lutte contre la délinquance, sur la réduction des taux de chômage, de pauvreté, sur la diminution des inégalités,  etc.

En outre, l’unification de la langue d’enseignement des matières scientifiques au cours des phases préparatoire et secondaire permettrait aux enseignants et apprenants de récupérer un temps scolaire dont ils ont réellement besoin en évitant le double emploi, à cause de l’enseignement d’une partie importante des programmes de ces matières dans les deux langues, l’arabe et le français. Je me demande pourquoi les autorités compétentes ne réagissent même pas pour remédier à cette situation qui aura également pour conséquence d’augmenter les chances de réussite de nos élèves d’une façon considérable. Ils maîtriseront mieux et les matières scientifiques et la langue d’instruction.

Sur un autre plan, et en reprenant une vieille proposition faite lors du dialogue national sur la réforme de notre école de 2015 relative à l’augmentation du temps scolaire annuel, et si on prolonge l’année scolaire de trois semaines par exemple, dont deux en avançant le démarrage de l’année au début du mois de septembre et en récupérant la troisième sur les vacances scolaires, on gagnerait l’équivalent de 10 % du temps scolaire. C’est comme si on avait procédé au recrutement de 15.000 enseignants et à la construction de 650 établissements scolaires. Un temps qui servirait à l’allégement du rythme scolaire hebdomadaire, d’une part, et à l’absorption d’une partie du déficit au niveau des enseignants et de l’infrastructure, d’autre part.

En conclusion, trois décisions qui, pour être prises, ne demanderaient rien, sauf le recours au bon sens, à la vieille calculatrice du comptable et à l’esprit de bonne gouvernance, loin du sectarisme, de l’entêtement et de la démagogie. Des décisions qui, dans des délais records, doteraient nos enfants de vrais atouts pour réussir leur cursus scolaire en augmentant leurs aptitudes et leurs connaissances et amélioreraient les conditions de vie dans les établissements scolaires, d’une part, et nous feraient économiser beaucoup d’argent, des millions de dinars, d’autre part. En contrepartie, continuer à jacasser sur les principes et sur les concepts idéologiques en restant dans la coquille que la tutelle et les syndicats ont fait tout pour empêcher les autres partenaires de l’école d’y pénétrer ne peut qu’aggraver la situation de notre école et saler davantage la facture, déjà exorbitante, que devraient payer les générations présentes et futures.

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