« Un retour au pays du bon Dieu »  roman de Ridha Bourkhis, traduit en italien par Maria Teresa Fiore: Un roman à l’image de son auteur

Par Anne-Marie BENCE


La traductrice italienne Maria, Teresa Fiore, vient de traduire en italien le roman de l’écrivain tunisien francophone Ridha Bourkhis, « Un retour au pays du Bon Dieu ». Elle a publié le livre contenant cette traduction en Italie, aux éditions AGA dans la collection « L’Orizzonte ».
A cette occasion, nous publions ici l’article que Anne-Marie Bence, rédactrice en chef de la revue françaises «Missives », a rédigé sur ce roman.

Ce roman de Ridha Bourkhis est publié, en décembre 1989, à Paris, aux éditions L’Harmattan, dans la collection « Écritures arabes ». Rien de plus précieux que de tâcher d’en évoquer la substance, sachant, bien évidemment, que cela ne remplace pas la lecture des lignes de l’auteur, à l’écriture talentueuse et poétique.

Après un séjour de vingt ans à l’étranger, Abdallah revient dans son village natal. Il y retrouve ses parents qui, après ce long temps d’absence, ne sont pas remis du choc qu’a créé son départ. Pour eux, c’est une trahison, un abandon, une souillure, un dénigrement, un déshonneur…

Tout l’entourage partage ce ressenti, ce qui fait dire à Abdallah : « À leurs yeux, j’étais le détracteur des valeurs de la famille et de son prestige !… Le corrupteur !… L’enfant au cœur de pierre !… »

Lors d’un bref moment d’euphorie, la nuit de son retour, ses parents l’enlacent chaleureusement. Abdallah nous confie alors: « J’étais heureux de voir leur sourire et les larmes de joie scintillant dans leurs yeux assaillis par des rides bien creusées. Heureux de sentir leur pardon et leur amour !… Peu importait, à ce moment-là, cette tristesse aux dimensions d’une nuit incommensurable qu’ils avaient endurée dans la solitude et l’oubli !… »

Le jour du pardon et du rachat est célébré à la maison, dans la bibliothèque coranique où sont réunis famille et amis. Mais la rancœur et les reproches ne tardent pas à ressurgir. Le père se sent tenu de remettre son fils dans le droit chemin et d’exercer son autorité. Et s’il est fier lorsqu’Abdallah lui apprend que ses vingt ans d’exil lui ont valu, à force de travail, l’obtention d’un doctorat et qu’il a enseigné en tant que professeur dans des universités françaises, ce qui compte avant tout est la reconnaissance des autres, ce qu’ils disent de lui, de son fils. Pour mesurer l’ampleur de l’emprise de la communauté, il suffit de savoir qu’en raison du départ de son fils, le père, déshonoré, s’est senti dans l’obligation de se démettre de sa charge d’imam. Il n’en était plus digne ! Abdallah sait tout cela et il continue, courageusement, à s’opposer à ce qui va à l’encontre de ses convictions, quitte à affronter la désapprobation de son père et de l’entourage. Il prône l’État de droit, la laïcité du pouvoir, l’ouverture à d’autres cultures, au progrès, à la liberté, à la lumière. Il défend, ce qui, selon lui, pour l’homme est essentiel : « La certitude d’être tout à fait soi-même, d’être vrai !… La nécessité de se débarrasser de l’ambiguïté, du dédoublement. »

Il va plus loin encore en faisant ressurgir des histoires du passé et éclater la vérité sur la mort de deux femmes qui, toutes deux, lui étaient chères : Zèynèb et Jamila. La première, sa cousine, lui avait été promise, mais ni lui ni elle ne voulaient se marier. Ils se sentaient frère et sœur. Finalement, par la force des choses, Zèynèb a eu une relation clandestine et s’est trouvée enceinte sans être mariée. Elle n’est pas morte de la leucémie, comme on le prétend, mais n’a eu d’autre choix que de se donner la mort. Quant à Jamila, mariée à un homme impuissant, elle avait eu une vie sexuelle hors mariage… avec Abdallah. Son mari l’a tuée.

En rétablissant la vérité, Abdallah leur rend justice.

Il réhabilite aussi sa petite sœur Mèryèm  qui, grâce à leur complicité, s’est exilée en Angleterre pour se consacrer au théâtre et au chant qu’on lui interdisait chez elle. À trente-cinq ans, elle est diplômée de l’École d’art dramatique de Londres et de l’Institut des langues et civilisations orientales. Les parents en sont fiers lorsqu’ils l’apprennent dans le livre autobiographique que Mèryèm a écrit, qui a été publié et qu’elle a envoyé à son frère. Son témoignage met en évidence que le besoin d’émancipation n’empêche pas l’attachement à la famille, au pays et au village.

Abdallah poursuit son combat contre les ténèbres, et dans ce combat, le monde des vivants n’est pas le seul obstacle. Le fantôme du grand-père hante le village. « Il y avait toujours dans la maison et dans le village son odeur, les livres qu’il privilégiait, des turbans semblables au sien et des barbes soignées et ambrées !… Il y avait sa silhouette qui, la nuit venue, circulait dans les ruelles et appelait au culte d’une lumière invisible qui n’existerait qu’au fond des grottes obscures !… Comment faire pour que mon grand-père cessât de me terroriser dans mon lit et qu’il laissât intact le petit cercle de lumière qui m’entourait et que j’essayais d’élargir de plus en plus?!. »

Bien que le grand-père soit mort pendant le séjour d’Abdallah à l’étranger, sa chambre est là, située au fond du jardin. Elle est restée intacte, comme s’il était encore de ce monde, parmi les vivants.

Abdallah, une fois de plus, a le courage d’aller jusqu’au bout de sa conviction intime :

« J’invitai à la maison tous les enfants des voisins. Je les fis asseoir par terre l’un à côté de l’autre. Je me mis au milieu du cercle qu’ils formèrent et je leur parlais longuement de cette chambre recluse dans les ombres opaques du jardin. Je leur dis qu’elle devait abriter depuis des siècles des vipères, des serpents à sept têtes et des scorpions dangereux. Je leur dis que la vie de tout le quartier était en danger de mort et qu’il était de notre devoir à tous de brûler cette chambre avant que sa porte ne s’ouvrît et que ses bêtes impitoyables ne se déchaînent contre nous et ne nous noient dans d’immenses mares de sang !… Je les persuadais très vite et fouettais leur enthousiasme. Quelques-uns avaient quand même peur en m’écoutant parler du grand feu que nous allions mettre tous ensemble à cette chambre et que tout le monde allait voir, même des champs situés à la sortie du village »…

… « J’en avais vraiment besoin pour vivre, aimer, rêver comme ces enfants, retrouver les douceurs de l’existence et être haut comme un palmier bien enraciné dans ma terre, mais avec des palmes larges et fraîches allant dans tous les sens et se laissant pénétrer par le soleil et la lumière des étoiles dans le ciel ouvert ».

Toute cette expérience de vie est confiée de la bouche d’Abdallah à celui qui est à la veille de quitter le pays pour aller dans la même ville, restée chère au cœur d’Abdallah, préparer une thèse de doctorat, « marcher sur les chemins du destin exceptionnel » … « avant de revenir à la mer et aux oiseaux de la plaine ».

Ridha Bourkhis nous livre là un roman d’une grande richesse, à l’image de l’homme qu’il est, animé d’un amour universel, généreux, amoureux de la vie et de ses semblables… et à l’enthousiasme communicatif.

A.-M.B.

                                  

«Missives », Paris, septembre 2021, N° 302, pp. 49-52

Ridha Bourkhis, « Un retour au pays du Bon Dieu », Paris, L’Harmattan, collection « Ecritures arabes », illustration de la couverture : peinture de Mahfoudh Selmi, 1989. Traduit en italien par Maria Teresa Fiore, « Un Ritorno Al Paese Del Buon Dio », Italie, AGA, collection « L’Orizzonte », illustration de la couverture : « peinture de Marjan », 2021. Ce roman dans ses versions française (2-7384-0473-1) et sa version italienne (9788893552592) se vend sur « Amazone ».

Ridha Bourkhis est professeur de l’enseignement supérieur et écrivain. Il a publié en Tunisie comme en France et en Belgique plusieurs livres et ouvrages.

Laisser un commentaire