Quelles réponses face à l’inflation résurgente? | Réchauffement de la stagflation : Sécuriser l’approvisionnement en matières premières

Une récession stagflationniste mondiale est désormais hautement probable. Le risque majeur réside dans la réaction des marchés mondiaux face aux retombées de la crise russo-ukrainienne.

En raison du poids des deux pays sur le marché des matières premières comme l’énergie et le blé, le conflit russo-ukrainien menace de stimuler davantage les pressions inflationnistes mondiales accumulées depuis la pandémie. L’augmentation des prix, qui touche particulièrement les produits de base, est due à la perturbation des exportations des deux pays, ces derniers ont été directement touchés par l’arrêt de l’activité en raison de l’invasion, d’une part, et de l’impact des sanctions contre la Russie, d’autre part.

En termes de produits alimentaires, la Russie et l’Ukraine sont respectivement le premier et le cinquième exportateur de blé au monde. Les deux pays figurent également parmi les cinq plus grands exportateurs de céréales dans le monde. Les prix du blé ont enregistré une augmentation dès les premiers jours du conflit, et ce, en réponse à la réduction de l’offre d’exportation. Une note de la FAO présente deux scénarios sur l’évolution des prix du blé à court et moyen terme. Les prix augmenteraient de 8,7 % dans un scénario modéré et de 21,5 % dans un scénario pessimiste.

Plus de 30 économies impactées

La flambée des prix pourrait impacter plusieurs pays. En effet, plus de 30 économies dépendent des exportations en provenance de Russie et d’Ukraine qui représentent près de 30 % de leurs besoins d’importation de blé. Pour ce qui est de l’énergie, la Russie occupe le premier rang des exportateurs de pétrole au monde contre la deuxième place en 2019 avec des exportations qui s’élèvent à 8,4 millions de barils par jour, ce qui dépasse de 10% les exportations mondiales de pétrole. De plus, la Russie est également le plus grand exportateur mondial de gaz naturel, bien loin du reste du monde, avec des exportations atteignant 260 milliards de mètres cubes en 2019, soit plus du quart des exportations mondiales de gaz naturel.

La crise en Ukraine a entraîné dans son sillage non seulement une forte hausse des prix de l’énergie et du blé, mais, également, une flambée des prix des métaux, tels que l’acier, l’aluminium et le nickel. Bien que les prévisions des prix des produits liés à l’appareil productif des deux pays soient mitigées, et que les perspectives soient soumises à une extraordinaire incertitude, les conséquences économiques sont d’ores et déjà sérieuses. Ceci est d’autant plus important que cette hausse des prix pourrait conduire à une surchauffe de la stagflation. Les pressions inflationnistes supplémentaires sont de nature à provoquer un ralentissement de la croissance et à accentuer les tensions sur le marché de l’emploi. Ajouté à cela, l’impact sur la sécurité alimentaire des pays à faible revenu, qui ne sont pas encore parvenus à dépasser les répercussions directes de la crise de la Covid-19.

Ces pressions inflationnistes produiraient un effet inflationniste qui varierait selon les matières premières. Pour le pétrole dont la production mondiale est régulée et fortement influencée par les décisions politiques, l’augmentation de la production des autres pays pourrait limiter l’augmentation des prix.

Dans le même sillage, le lancement des grands programmes de production des énergies renouvelables et des moyens de transport ou de production hybrides ou électriques seraient de nature à atténuer l’impact à moyen terme. Concernant les céréales dont la production est saisonnière, la réaction attendue des différents pays consiste à augmenter leurs productions pour des besoins d’autosuffisance ou d’exportation. La Russie pourra aussi revoir sa production à la baisse en anticipant un embargo à l’exportation ou au contraire maintenir sa production pour dumper le marché. L’Ukraine risquerait de perdre une partie conséquente de sa production, faute de préparatifs pour la nouvelle saison.Le grand défi pour l’industrie mondiale est de combler le manque des industries en matières premières nécessaires tel que l’acier, le nickel et l’aluminium. La production industrielle dépendra désormais de la disponibilité des matières et non pas uniquement de la compétitivité. Il en découlera une augmentation des prix, jointe à une sous-production de plusieurs produits de par leur dépendance de ces matières. Les pays et les entreprises capables de sécuriser leurs approvisionnements, soit à l’échelle nationale, soit internationale, pourront ainsi améliorer leurs parts de marché. Cette quête de sécuriser l’approvisionnement en matières premières contribuerait au façonnage d’un nouvel ordre mondial.

La persistance de la hausse des prix internationaux dans un contexte de faible croissance augure d’une phase de stagflation. Ce phénomène est perceptible au niveau de plusieurs économies avancées et émergentes. Ce phénomène de surchauffe est différent de celui observé suite à la mise en place des grands plans de relance post-Covid-19 où la croissance réalisée a dépassé la croissance potentielle. (Aux Etats Unis, le plan Biden a raréfié la main-d’œuvre, augmenté les coûts de production et, par conséquent, consacré une reprise de l’inflation). L’augmentation du prix des matières premières devrait être à l’origine de plusieurs plans pour favoriser la résilience dans les économies afin d’asseoir les souverainetés nationales. C’est la solution pour contenir l’inflation, voire revenir à des niveaux modérés (mais qui restent élevés par rapport aux niveaux d’avant-conflit) et de permettre aux économies et aux entreprises de renouer avec la croissance.

En dépit des singularités des deux crises: la Covid-19 et le conflit Russie-Ukraine sont différents, la résilience à observer revêt certaines caractéristiques communes:

-Se réadapter plutôt que résister

-Agir sur le déséquilibre initial et entamer les actions correctives

-Bien étaler dans le temps des budgets est aussi important que les montants alloués

-Surveiller le comportement des agents qui peut être imprévisible après les crises

-Surveiller les effets multiplicateurs des plans gouvernementaux particulièrement sur les déséquilibres budgétaire et monétaire

-Ne pas négliger l’effet d’auto-ajustement de l’économie, surtout celle disposant de capacités d’innovation et de réactivité.

Tunisie : les voies de sortie

Les pays, comme la Tunisie, qui ne disposent pas de ressources supplémentaires pour mettre en place des programmes de résilience ambitieux et qui subissent des pressions budgétaires, frôlant avec l’austérité, rencontreront des difficultés à renouer avec une croissance saine. Dans ce contexte, une meilleure coordination nationale et l’élaboration de programmes régionaux constituent aussi des voies de sortie. Pour le gaz, la Tunisie pourrait bénéficier de l’augmentation de l’exportation algérienne à travers le territoire national et la hausse de la production de gaz liquéfié durant les prochaines années.

La Tunisie devrait se concentrer sur la préparation de la nouvelle saison céréalière par l’encouragement des agriculteurs en doublant les prix à l’achat pour la saison à venir et la mise en place d’une ligne de crédit de 100 MD pour les cultures céréalières. Ces efforts devront s’accompagner par une assistance technique, principalement pour les petits agriculteurs et la mise à disposition des semences adéquates. A défaut d’un soutien direct du gouvernement aux entreprises pour sécuriser leurs approvisionnements, les entreprises tunisiennes devraient explorer de nouveaux modes d’organisation, de groupement sous forme de centrales d’achat, etc. pour consolider leurs positions et atténuer l’impact de la crise.

Parallèlement, il importe d’adopter les mesures à même d’améliorer davantage le climat des affaires et de réduire les distorsions et les obstacles; il s’agit particulièrement de la réduction des coûts liés à la logistique (portuaire…), la simplification des procédures administratives, l’accélération des procédures douanières, l’amélioration de l’accès au financement, etc. L’économie tunisienne se trouve dans une situation de croissance atone, conjuguée à un taux de chômage qui persiste à des niveaux élevés avec une tendance haussière des prix. Cette situation est caractéristique d’une stagflation.

(Source : IACE)

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