Commémoration du premier anniversaire du décès d’Ahmed Mestiri : Un itinéraire qui croise un siècle de l’histoire de la Tunisie

Pour commémorer le 1er anniversaire du décès d’Ahmed Mestiri, sa famille a réalisé un moyen métrage intitulé : «Ahmed Mestiri, une vie de convictions et d’engagements». Le documentaire de 45 mn a été projeté pour la première fois samedi dernier au Palais Essaâda, à La Marsa. Une projection qui s’est déroulée en présence de plusieurs témoins de l’histoire

Fouad Mbazaâ, Mustapha Ben Jaâfar, Ahmed Nejib Chebbi… et bien d’autres encore, qui ont bien connu Ahmed Mestiri (1925-2021) et l’ont accompagné ou croisé pendant une tranche de son long parcours politique, étaient tous là, au palais Essaâda, samedi dernier 2 juillet, date d’anniversaire de cet homme à l’itinéraire politique ancré dans les positions de principe. Le documentaire sur la vie de Mestiri a été réalisé à partir des archives familiales, et de son livre «Témoignage pour l’Histoire» (Sud Editions, 2011),  avec la collaboration technique de Hichem Ben Ammar, et la voix off de Raouf Ben Amor.

«Au départ, nous voulions faire un film de 15 mn. On s’est retrouvé en fin de compte avec une matière dépassant les 45 mn. Il faut dire qu’Ahmed Mestiri a laissé un trésor de photos et de documents, un héritage d’une valeur inestimable, qui appartient aujourd’hui au peuple tunisien et non pas seulement à la famille du défunt», explique l’un de ses fils, Moncef Mestiri.

Dirigeant de la lutte armée

Structuré, comme pour son livre «Témoignage…», autour de quatre axes, le documentaire va aborder la période  de la lutte de libération nationale, puis de l’indépendance et la participation au pouvoir et, enfin, de l’opposition. Né le 2 juillet 1925 à La Marsa dans une famille de notables originaires de Monastir depuis toujours intéressée par la chose publique, il décèdera à 96 ans dans sa ville natale, dont il adorait la mer, lieu de sa passion, la pêche, «Une école de la patience», dira-t-il. Mais la politique reste sa passion première. Dès 1942, il intègre la cellule destourienne de La Marsa. Il effectue ensuite des études de droit à Alger, de 1944 à 1948, puis à l’Institut d’études politiques de Paris et à la faculté de Droit de Paris où il obtient sa licence. Dès 1948, il exerce le métier d’avocat à la cour de Tunis tout en dirigeant dans la clandestinité la lutte armée. En 1953, sa chambre est visée par une double explosion fomentée par les forces colonisatrices.

En août 1954, il devient chef de cabinet de Mongi Slim, ministre d’État délégué par le Néo-Destour pour mener les négociations avec la France qui aboutissent à l’autonomie interne un an plus tard. En septembre 1955, il est nommé chef de cabinet de Mongi Slim devenu ministre de l’Intérieur dans le gouvernement Tahar Ben Ammar qui signe le protocole d’accord par lequel la France reconnaît l’indépendance de la Tunisie le 20 mars 1956.

Le plus jeune député de l’ANC avec Ahmed Ben Salah, il participera à la rédaction de la première constitution tunisienne. Il est également l’auteur du Code du statut personnel alors qu’il est ministre de la Justice lors du premier gouvernement post-indépendance. Doté de ce portefeuille, il aura la tâche de tunisifier le système judiciaire et de créer des tribunaux dans toute la République. En 1958, il est nommé ministre des Finances et du Commerce et en 1966, ministre de la Défense. La mission d’ouvrir des ambassades en Russie et en Algérie va également lui revenir.

Le temps de l’opposition à Bourguiba

Mais en 1968, Mestiri critique ouvertement la politique collectiviste du gouvernement. A cause de ce désaccord de fond, Mestiri présente sa démission du gouvernement et du bureau politique du PSD. Le même jour, il fait une déclaration à l’agence de presse United Press International et au quotidien Le Monde dans laquelle il exprime les raisons de sa démission. Il est immédiatement sanctionné et exclu du PSD. Et s’il réintègre le parti le 12 juin 1970 pour devenir ministre de l’Intérieur, il va très vite déchanter : les promesses de démocratisation et de libéralisation politique faites par Bourguiba dans son discours du 8 juin 1970 ne sont pas tenues. Le 11 octobre 1971, se tient à Monastir le 8e Congrès du PSD. Mestiri et ses amis, les libéraux, dominent le Congrès. Mais Bourguiba impose ses hommes, ceux de l’aile dure de son parti. Mestiri choisit alors la dissidence. Et l’opposition. Il fonde le 10 juin 1978 le Mouvement des démocrates socialistes (MDS) et rompt totalement les liens avec le PSD.

En 1981, son parti participe aux premières élections législatives pluralistes. Les listes du MDS connaissent alors un important succès. Seulement, la fraude généralisée du scrutin défigure les résultats. Dans un article intitulé «J’accuse» publié à la une de L’Avenir, l’organe en langue française du MDS, Mestiri dénonce les pratiques du régime pour détourner la volonté de son peuple.

«Le changement est inévitable, soit pacifiquement ou par la violence», annonce-t-il dans l’une de ses interviews à un média français. Deux années après la prise de pouvoir de Ben Ali, le 7 novembre 1987, il démissionne de la direction de son parti et prend distance avec la vie politique. Sollicité après la révolution sur plusieurs questions, il a tenu à rester neutre par rapport aux multiples partis, en lice pour accéder au pouvoir.

Si sa vie politique est passée par diverses zones de turbulence, le film est jalonné d’images montrant un bonheur familial sans tache, à part un épisode malheureux : la disparition de son fils aîné Driss à l’âge de 14 ans après une longue maladie. Un récit de vie entrecoupé par des photos de la mer et de la plage de La Marsa, que Mestiri aimait arpenter au quotidien jusqu’à la fin de sa vie en revisitant probablement son passé, qui croise presqu’un siècle de l’histoire politique de son pays.

«Nous pensons ouvrir une partie des archives personnelles (1943-2011) de mon père aux historiens», déclarera son fils Moncef à la fin de la projection.

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