Faouzi Sbabti, ancien handballeur international de l’EST: «Chacun a ses références et ses diplômes»

Légende vivante du handball national, homme de la double détente et de la suspension dans les cimes, Faouzi Sbabti, alias «Zapata», a terminé 5e meilleur buteur des Jeux olympiques de Munich-1972 et 2e meilleur buteur du championnat du monde universitaire. Né le 7 mai 1949 à Tunis, il a signé en 1956 sa première licence pour l’Etoile Olympique Goulettoise (minimes), puis l’Avenir Sportif de La Marsa, alors que sa première licence avec les juniors de l’EST remonte à 1969. Son fabuleux palmarès comprend 14 championnats et coupes de Tunisie, et 4 coupes arabes des clubs avec l’EST, un doublé et une coupe arabe avec Ahly Jeddah (1979-1981), un titre de champion d’Afrique 1975, 3 championnats maghrébins et un championnat maghrébin universitaire. Directeur d’une société d’aménagement et d’entretien des espaces verts, l’ancien président de l’Amicale des entraîneurs de HB a entraîné les juniors de l’EST et les seniors de l’ESR et du SCBA.

Le débat sur le nom du meilleur handballeur tunisien de l’histoire est relancé. Certains votent feu Mounir Jelili, d’autres Sbabti. Comment réagissez-vous face à cette polémique ?

Chacun a ses références, ses «diplômes», comme on dit. J’ai évolué au plus haut niveau durant une très longue période, près de vingt ans, j’ai remporté 14 des 16 doublés consécutifs de l’Espérance de Tunis, j’ai été cinquième meilleur buteur des Jeux olympiques de Munich, soit le plus haut niveau, dont huit buts face à l’Espagne.

J’ai remporté la coupe arabe avec l’Espérance, puis avec Ahly Jeddah.

Les Saoudiens ont depuis engagé massivement les joueurs, entraîneurs et même kinés tunisiens. Mais au fond, on ne peut pas en même temps être juge et partie.

Il y a un jury qui doit décider s’il s’agit de choisir quelqu’un.

Et ce jury-là, ce sont les spectateurs, les férus de hand, les techniciens, les journalistes…Et puis, une telle distinction,  qu’est-ce qu’elle va m’ajouter ? Si c’est mon ami feu Mounir Jelili, félicitations.

A l’EST, il y a un tas de champions qui n’ont pas été honorés.

Par exemple ?

Un champion hors catégorie qui a été derrière le record inscrit au Guinness Book : 16 saisons consécutives de règne absolu sur le hand national. Et ce n’est pas un joueur, mais plutôt un dirigeant modèle, quelqu’un qui a éduqué et encadré des générations entières. Je parle de Moncef Ben Yahia, l’ancien président de la section handball. Pour nous, c’était un père, un frère. Superstitieux, il venait suivre avec le même costume les finales de coupe. Il a rendu le hand le premier sport à l’Espérance. Le président Hassène Belkhodja a du coup chambardé la hiérarchie : il commençait les réunions du Bureau directeur par la section hand et non pas par la section football comme le veut la tradition.

Les handballeurs de l’Espérance figurent au Guinness book pour cette série de 16 championnats et coupes consécutifs. Ils figurent tout bonnement dans l’histoire, non ?

On devrait leur ériger une statue ! J’ai pris part à 14 doublés puisque j’étais parti deux ans en Arabie Saoudite au cœur de cette hégémonie sans partage. La plus forte équipe est celle de 1971. Elle possédait quelque chose de plus sur le plan technique: c’est la génération de Razgallah, Ben Othmane, Touati, Zoghlami, Jelili, Besbès, Hammou… Mais le plus beau titre de la série, c’est toujours le dernier avec les Khenissi, Hafsi, Achour, Yagouta, Glenza….

Revenons à vos débuts. Vous avez appartenu à deux clubs avant d’arriver à l’EST : l’Etoile Olympique Goulettoise, puis l’Avenir de La Marsa…

Oui, à l’Etoile Goulettoise, il y avait les cinq frères algériens, et les autres. J’y ai signé ma première licence minimes. En fait, je suis né à Tunis, dans la Médina. Mon père est d’origine andalouse, il était arrière central du Stade Populaire. Mon cousin Hamadi était arrière central. En 1956, mon père est nommé à la direction du Port de La Goulette, et nous avons dû nous y installer. J’étais une vedette du sport scolaire: j’ai fait de la gymnastique, de la natation, du basket, de l’athlétisme. Mon record scolaire sur 4×100 mètres tient toujours ; j’ai sauté 1,60 m. J’ai fait le petit bassin avec l’entraîneur légendaire Saâd. J’ai remporté les championnats nationaux scolaires de hand et basket avec le Collège mixte de La Goulette.

Qui vous a drivé vers l’ASM ?

A l’origine, j’étais gymnaste, et c’est notre directeur, M. Denis, une connaissance de Taieb Mhiri, président d’honneur de l’ASM, qui me porta à l’Avenir. C’est un dirigeant aveniriste qui m’a porté à l’ASM. Le décès de Mhiri m’a convaincu de partir à l’Espérance, alors que j’aurais pu fort bien partir pour le Club Africain qui m’a  également contacté. Il faut dire qu’à l’ASM, nous avions battu aussi bien le CA que l’EST. Jusqu’à aujourd’hui, les Aveniristes m’appellent Monsieur l’ambassadeur ! C’est Abdelhamid Marsaoui, un parent «sang et or», qui m’a dirigé vers l’EST. Sans parler de mes parents qui sont Sang et Or. Ma mère est malade quand l’EST perd un match important. Nous étions dans la famille deux filles et trois garçons, tous des sportifs qui n’ont malheureusement pas fait une grande carrière.

A un certain moment, beaucoup d’Espérantistes en arrivèrent à vous faire des reproches, voire à vous détester. Pourquoi ?

En 1979, je signe pour Ahly Jeddah. Je venais de remporter quatre coupes arabes consécutives de 1976 à 1979 avec l’Espérance. Dès mon arrivée en Arabie Saoudite, nous remportons le doublé national, puis la coupe arabe au Bahreïn. En finale, nous battons justement l’EST. J’ai sorti le grand jeu dans cette édition. Le soir de la finale, notre président, un membre de la famille royale, me prévenait que je devais agir en professionnel quand bien même je devais jouer contre mon club d’origine. Je lui ai répondu que le Tunisien n’est pas un traître. Je ne l’ai pas déçu. Les Saoudiens m’ont énormément respecté, adulé même. Depuis, les compétences sportives tunisiennes allaient affluer dans le royaume saoudien, et j’y étais pour beaucoup. C’est du reste l’une de mes fiertés. J’allais revenir à l’Espérance et y jouer de nouveau entre 1982 et 1986. Avec une autre génération, celle de Zouheir Khenissi… Je faisais figure de papa au milieu de ces joueurs.

Pourquoi justement Ahly Jeddah, et pas un grand club européen ?

Un club espagnol a voulu m’engager après les Jeux de Munich. Mais le ministre des Sports de l’époque, Ahmed Chtourou, je crois, a dit non. En 1976, une équipe allemande a voulu me faire signer. Pour un même résultat. Aux JO de Munich, j’ai eu affaire à des joueurs de plus de deux mètres qui levaient des bras tels un haut poteau de signalement et qui sautent lorsque vous tirez. C’était avant l’éclatement du bloc de l’Est. Celui-ci proposait de véritables colosses sur les parquets de hand. La concurrence était impitoyable au sein de la sélection. Par conséquent, vous avez devant vous un mur de près de quatre mètres. Je devais pourtant sauter plus haut, d’où ma double détente. Le fait que je sois omnisport, que j’aie pratiqué beaucoup de disciplines m’a énormément aidé dans ces «suspensions». Vraiment, ces JO restent mon plus beau souvenir.

Et le plus mauvais ?

En 1985, la veille du derby, dans les derniers instants de la séance d’entraînement, ou plutôt du supplément de travail que je m’accordais toujours à la fin d’une séance,  j’ai été gravement blessé (ligaments croisés). Il pleuvait dehors, la salle laissait passer des gouttes de pluie. Mon pied s’était tordu en glissant. Personne ne vint me voir à la clinique. Mon club m’ignora superbement, peut-être parce que j’avais 37 ans et que l’on se disait que j’étais un joueur fini. Les frais de la clinique (1.500 dinars, je crois), je les ai payés moi-même.

Il y a fort à parier que le hand national n’a pas trop à se réjouir de son évolution depuis le Mondial tunisois de 2005 où il termina quatrième ?

Certains trouvent qu’il faut tirer l’oreille à ce hand qui n’évolue pas, qui inquiète même quelque part. La riposte est pourtant simple. Je crois que nous avons près de 600 entraîneurs qui doivent avoir droit au chapitre. Chaque région doit avoir son club représentatif. Il y a des régions négligées, et depuis les années 1960, la situation n’a pas changé. Les spécialistes doivent être au pouvoir, et le ministère doit les encourager. Il y a trop de brouillard dans le ciel de la petite sphère en Tunisie. L’éclaircie ne viendra qu’au prix de décisions courageuses.

Vous êtes bien placé pour en parler à partir de votre expérience d’ancien président de l’Amicale des entraîneurs de HB ?

Il y a une dizaine d’années, nous comptions près de 500 adhérents. Nous avons organisé des stages, honoré des sportifs, encadré des techniciens… Il faut rappeler que j’ai exercé ce métier très délicat. Je considérais cela comme un couronnement de ma carrière sportive. J’ai décroché mon premier degré puis coaché les juniors de l’EST, et les séniors de l’ES Radès et du SC Ben Arous, avant d’arrêter. Mes engagements d’homme d’affaires ne me permettaient plus d’assumer ces charges. Cela risquait de devenir improductif. Je dirige une société d’entretien et d’aménagement des espaces verts, et c’est très délicat. Pour ce qui est des stades, mes vis-à-vis sont les municipalités, de mauvais payeurs. C’est un métier à risques. Les intervenants sont nombreux. Pourtant, ma société a réussi à installer le gazon des stades retenus pour la coupe d’Afrique des nations 1994. Et cela a donné satisfaction.

Que représente pour vous la famille ?

Un refuge parfois inespéré, surtout dans les moments de déprime ou même de détresse. Et dans la vie, il y en a, bien évidemment. J’ai épousé en 1979 une ancienne basketteuse de la Zitouna Sport, Rachida Azouz. Quinze jours plus tard, je partais vers l’aventure à Jeddah. J’ai un garçon, Aymen, mécanicien d’avions, et deux filles : Rahma, médecin spécialiste de médecine physique et rééducation, et Marwa, architecte d’intérieur.

Si vous n’étiez pas dans le sport… ?

J’aurais pu devenir médecin. En fait, j’ai dû arrêter ma scolarité à cause des engagements de l’équipe nationale. C’était sans répit. Il était tellement difficile de concilier sport et études que j’ai dû laisser tomber mon rêve d’être un jour médecin. Ma fille, aujourd’hui médecin, allait réparer cette injustice du destin.

Enfin, comment voyez-vous l’avenir de la Tunisie ?

Je ne veux pas être pessimiste et ce malgré le désastre économique. L’économie de notre pays a été très impactée par l’impuissance des politiques. Gardons bon espoir, tout de même.

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